A travers l'Esquisse ...

Première approche du modèle freudien du psychisme

Olivier Douville, Alain Maruani, Monique Thurin, Jean-Michel Thurin

DISCUSSION, animée par Monique THURIN

Olivier DOUVILLE : Des deux traductions, tout le monde en connaît une: celle sur laquelle nous avons travaillé, aux P.U.F. dans "La naissance de la Psychanalyse", mais tu n'as pas précisé la seconde, celle à laquelle tu viens de faire allusion.

Alain MARUANI : Il ne s'agit que d'une traduction partielle, extraite de "Le "Projet de psychologie scientifique" de Freud: un nouveau regard", de Karl H. Pribram et Merton M. Gill, traduit de l'américain par Alain Rauzy et publié aux PUF en 1986. (L'édition américaine est de 1976). Nous avons effectivement travaillé sur "La naissance de la psychanalyse", traduit de l'allemand par Anne Berman et publié aux PUF en 1956. Le traducteur dit qu'il a repris essentiellement la traduction de Berman en y changeant de petites choses. La traduction de 1986 montre une certaine gêne lorsque l'on emploie des termes scientifiques; exemple: "fréquence réciproque" au lieu du banal "inverse d'une fréquence" (reciprocal frequency ?).

Jean-Michel THURIN - LACAN a eu accès au texte en Allemand. Malheureusement ce texte en Allemand ne se trouve que dans les anciennes versions des Gesammelte Werke.

Au risque de prolonger de quelques minutes ton cauchemar, mais nous travaillons ce texte depuis plus de deux ans, pourrais-tu revenir un peu sur les mécanismes de l'attention?

Alain MARUANI : Je n'ai retenu du mécanisme de l'attention que les aspects structurels. C'est-à-dire un mécanisme doté de deux spécificités : Une boucle de retour et un traitement non linéaire. Un traitement non linéaire se caractérise par le fait que la sortie S1,2 , correspondant à la somme de deux entrées E1 et E2 est différente de la somme S1+S2 correspondant respectivement aux entrées E1 et E2 si elles étaient seules ; exemple: si l'entrée est un nombre positif, la sortie est 1 et si l'entrée est un nombre négatif ou nul, la sortie est 0. Autre exemple, la réponse OUI/NON des indicateurs de réalité ...au fait, c'est le même exemple.
Cette idée d'introduire un truc qui dit OUI/NON est absolument fondamentale. A chaque fois que je peux dire OUI/NON, j'apporte de l'information. C'est l'introduction de ce mécanisme là qui permet de décider. FREUD a mis en oeuvre pour cela une circuiterie de neurones ou les w jouent un rôle essentiel mais je ne vous cache pas que j'y suis un peu réfractaire parce que je trouve cela trop compliqué. Encore une fois, ad hoc. Comment cela marche-t-il déjà ? Une perception extérieure alimente les neurones y qui sont chargés.... (J.MT : ils ne sont pas très chargés)... donc le moi n'est pas préparé. Il n'est pas bien configuré... w ; il joue le rôle d'un neurone banal ici ? Il ne fonctionne pas en interrupteur ici ? Jean-Michel, Help !

Jean-Michel THURIN : Vous avez une perception qui part de n'importe quoi, un stimulus qui vient du milieu extérieur et vient atteindre un neurone perceptif. Cette perception va atteindre à son tour un neurone w . Le système w est maintenant entre les systèmes y et j . Ce neurone w déclenche un indice de réalité. C'est très important parce que d'abord, cela va permettre un retour: le circuit était un peu chauffé, maintenant on va le chauffer complètement. Le MOI reçoit un signal qui signifie; "Attention! il faut envoyer de l'énergie par là. Il faut mettre ce lieu sous tension. La quantité suit la même voie, mais à l'envers; elle repasse par w, suit la voie qui existait entre w et j et ainsi tout un territoire est investi par l'attention. Cet état permet que davantage d'information soit reçue. A partir de là, la quantité qui est arrivée ici (schéma) va aller se ballader au niveau des circuits neuronaux du système y jusqu'à ce qu'elle atteigne son but c'est-à-dire suivant les types de pensées son identité soit avec un désir, soit avec une forme ou au autre mécanisme de la pensée.
Vous voyez qu'il faut pour que ce système fonctionne, il est nécessaire qu'une énergie minimale soit déjà présente en j quand le stimulus l'atteint. FREUD introduit ici une hypothèse tout à fait passionnante au sujet de l'hypnose. Il dit : "Peut-être pourrait-on considérer que l'hypnose est un mécanisme inverse, anti-attention qui coupe la voie à cet endroit là (en j), c'est-à-dire qui empêche que ces neurones soient pré-investis, ce qui aura pour effet que rien ne passe.
Alain MARUANI - C'est précisément ce genre de chose qui m'avait gêné parce-que ces neurones là sont vraiment dissymétriques. Tantôt indicateurs de réalité ils disent OUI/NON, tantôt soupapes ils transmettent ou bloquent un flux.
Le mécanisme est intelligible, mais je ne le sens vraiment pas .

Jean-Michel THURIN : Tu as tout à fait raison; le principe c'est qu'w envoie un signal. Mais en fait, ce qui se produit à la suite de cela, c'est qu'il y a une quantité qui va suivre le chemin d'un signal qui n'est définit, comme l'a précisé Alain, ni comme qualité ni comme quantité. Effectivement, cela aboutit à des choses qui, sur un plan strictement logique, sont à réexaminer. On comprend le mécanisme mais il faut qu'on admette que ce qui vient de w laisse une trace.

Alain MARUANI : Ce qui me semble bon c'est le caractère autoorganisateur du système, qui peut se structurer à partir de peu de chose. Toute cette machinerie fonctionne en fait comme un détecteur de contours, un extracteur de formes.

Marc MAJESTE : Qu'est-ce qu'on peut affirmer de ces exemples théoriques, de ces déductions, sur l'économie pulsionnelle? Exemple : pulsion du MOI, etc...
Là cela reste du domaine de la théorie pure....

Jean-Michel THURIN : Au fond, ce n'est pas du tout de la théorie pure au sens d'une abstraction, c'est effectivement une dynamique pulsionnelle qui s'organise.
Tout à l'heure on a parlé de plaisir. On voit qu'effectivement FREUD lie le plaisir à la satisfaction de la pulsion. En même temps, ce qui était sur la planche d'Alain n'était pas faux dans la mesure où ce texte contient aussi la possibilité du passage de la pulsion à quelque chose qui est organisé par le langage. La différence qu'à introduite LACAN, c'est que le désir est déjà organisé par le langage et qu'il trouve sa forme dans l'autre. Il y a passage de l'ordre pulsionnel a autre chose qui est reconfiguré par le langage et qui devient désir. Mais fondamentalement, on trouve dans l'Esquisse les éléments à partir desquels FREUD va construire son article "Pulsions et destin des pulsions" (1915). Reportez vous à ses premières pages, c'est saisissant. Il apparaît bien là que, pour lui, sa construction était plus qu'un modèle abstrait.
Ce qui manque et qui va venir après (presque au même moment, dans les "Etudes sur l'hystérie"), c'est la question du surmoi, de la censure, etc...
Pourrais-tu "actualiser" à partir de tes outils un des éléments du modèle de Freud? Est-ce possible ?

Alain MARUANI : Oui, tout à fait. Mais, justement, je me suis astreint à ne pas le faire pour ne pas rendre cet exposé trop technique. Je pensais qu'il l'était suffisamment comme çà. Mais les éléments sont là pour une formalisation. Ce serait à la fois passionnant et difficile, que de tenter ce travail; voici un exemple de piste possible:
On pose dans l'Esquisse qu'au delà d'une certaine quantité d'excitation le neurone devient perméable. Comment celà se peut-il ? Il se trouve qu'en physique, on connait des mécanismes, observables tous les jours, et qui décrivent des objets opaques en dessous d'une certaine intensité lumineuse et transparents au-dessus . Celà marche à peu près comme çà:
Imaginez que l'objet étudié soit une boîte contenant trois particules quantiques, appelons ces dernières quantons. On va supposer que ces quantons n'ont droit qu'à deux énergies possibles, représentées par ces deux traits horizontaux. L'état initial du système sera l'état de plus basse énergie: les trois quantons sont sur le niveau bas. Envoyons à présent des photons, grains de lumière, sur ce système . Le grain n° 1 va traverser le milieu et un transfert d'énergie aura lieu c'est-à-dire que le grain de lumière va donner son énergie à un quanton. Ce dernier va de ce fait passer du niveau bas au niveau haut; le photon a été absorbé; le milieu est opaque. Avant que le quanton excité ait eu le temps de redescendre vers le niveau bas, envoyons sur ce système partiellement excité un deuxième grain de lumière; il excite un deuxième quanton. Donc, le grain de lumière n° 2 ne passe pas. Puis, un troisième grain de lumière sera de la même manière absorbé; le milieu est toujours opaque Envoyons un quatrième grain de lumière. Qu'est-ce qui se passe ? Tous les quantons sont déjà saturés, ils ne peuvent plus monter donc le photon va passer. Par quoi pourrait-il être absorbé? Le photon n°4 aura l'impression de voyager dans un milieu transparent. Voilà comment on devient transparent- perméable à une certaine intensité critique. Si on enlève toute la lumière, les quantons transitent spontanément vers le niveau bas; on est ramené à la situation de départ.

Jean-Michel THURIN : C'est vraiment intéressant de suivre la transformation technologique d'un modèle . Ici il s'agit du paragraphe 1O qui s'appelle "les voies de conduction". FREUD nous présente tout un système d'écluses qui semble assez artificiel encore qu'un réalisation chimique en soit sans doute aussi possible. Je crois que cela illustre très bien un des partis que l'on peut tirer de l'Esquisse et le travail qui pourrait être fait. Je veux dire que toute description matérielle peut être considérée comme une métaphore mais aussi comme un début de formalisation d'un fonctionnement qui s'ajustera peu à peu au réel, en fonction de la progression des savoirs et des technologies. L'important reste la conceptualisation initiale à partir des faits constatés et il faut reconnaître que dans ce domaine FREUD a fait preuve de génie.
Les scientifiques ne sont pas prêts à accepter les choses comme ça; celles qui nous paraissent évidentes le sont en fait parce que corrélées par l'expérience clinique. Il y a tout ce travail d'exigence et de rigueur qui donne l'impression que notre savoir est mis en péril. On ne sait plus si finalement si tout ce dont on parle à une réalité parce que la science actuelle traite d'une matérialité primaire. Peut-être ce travail peut-il contribuer à faire avancer la recherche et, de part et d'autre, la façon de concevoir les choses.

QUESTION : Je voudrais savoir s'il peut être intéressant d'étudier le cheminement inverse. Est-ce qu'on est pas sûr que le fonctionnement du psychisme vienne d'une organisation physique?

Jean-Michel THURIN : Tout dépend de ce que l'on inclut dans cette organisation physique. Est-ce qu'on considère que l'autre, les mouvement sociaux, les informations symboliques peuvent y participer ou bien la cantonne-t'on à l'organique ? D'autre part, si l'on considère l'ensemble, on doit prendre ne compte le fait que, selon les circonstances, le système peut ne faire intervenir qu'une partie de ses éléments, ou encore fonctionner dans un certain ordre ou dans un autre. On ne peut donc pas raisonner de façon linéaire . Il y a sans doute des circonstances où certaines organisations fonctionnent quasiment exclusivement selon un ordre déterminé, par exemple en excluant le symbolique; et inversement. En résumé, selon moi, l'appréhension matérialiste de l'humain ne peut être réduite à celle d'une matière primitive extra symbolique, ni à un ensemble biologique ignorant les inter-relations entre l'homme, la nature et les autres.
Mais bien sûr, sans neurones et chimie, il n'y aurait pas de psychisme. Il s'agit là d'une condition nécessaire mais non suffisante. Il ne faut pas confondre le maillon et la chaîne.


Dernière mise à jour : lundi 6 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin