C'est à partir de l'édition de 1905 de son Traité que Kraepelin, puis son élève Lange, ont élaboré la description classique de la psychose qualifiée par eux de maniaco-dépressive, description basée sur les séries cardinales de critères suivantes :
1) Absence de cause déclenchante apparente (c'est en ce sens qu'elle est dite endogène).
2) Alternance d'accès d'excitation psycho-motrice maniaque et d'accès dépressifs dont la symptomatologie est caractérisée par le ralentissement, l'auto-accusation, la perte de poids, la sécheresse de la bouche, la constipation, l'insomnie matinale, symptomatologie atteignant son acmé le matin.
3) Absence de réactivité aux événéments extérieurs.
4) Existence d'antécédents familiaux similaires.
Le terme « mélancolie » sera désormais réservé aux seuls accès dépressifs de cette psychose qui n'est cependant pas appelée maniacomélancolique comme l'aurait voulu la logique car la question se trouve dès lors posée des relations entre ces accès là et les autres états dépressifs. En restreignant l'usage sémantique à la seule forme mélancolique de la psychose maniaco-dépressive, Kraepelin a, par contre-coup, ouvert le champ de la dépression* aux troubles non alternants de l'humeur. L'existence d'états mixtes* est au contraire retenue comme la preuve de l'unité et même de l'identité de la manie et de la mélancolie qui dans la conception kraepelienne ne sont que l'expression de deux formes opposées d'une seule et même psychose.
L'argument décisif reste cependant toujours l'évolution à long terme favorable dans tous les cas.
Ce postulat de l'identité de la manie et de la mélancolie n'est pas remis en cause par la psychanalyse dont l'originalité, sur ce point, consiste à faire de la psychose maniaco-dépressive le pivot de son propre système taxinomique.
C'est son étude qui permet à Abraham de tracer en 1924 son « esquisse d'une histoire du développement de la libido » où il distingue deux étapes lors de la phase sadique-anale de ce développement correspondant aux régressions observées dans la mélancolie et dans la névrose obsessionnelle, et deux étapes lors de la phase orale correspondant elles à l'introjection mélancolique et à la forme primitive du sadisme*.
La différence entre manie et mélancolie ne porte pas sur le niveau de régression mais sur la relation avec l'Idéal du Moi (angl. Ego idéal, all. Ichideal, esp. Idéal del yo) : « le maniaque secoue la domination de son idéal du moi... il s'est dissout dans le moi ». C'est le parallèle métapsychologique entre deuil* et mélancolie qui a conduit Freud à distinguer au sein de cette instance le Sur-Moi (angl. Superego, all. Uber-Ich, esp. Superyo) qui, dans les états de deuil pathologique et la mélancolie, se manifeste par l'auto-accusation. La deuxième topique freudienne est directement issue de la clinique de la psychose maniacodépressive telle que l'avait décrite la nosographie kraepelinienne.
Celle-ci a été remise en cause depuis un quart de siècle sur les arguments suivants :
1) La mise en évidence de l'effet sur l'humeur dépressive des produits dits anti-dépresseurs, inefficaces pour le traitement des états maniaques fait formuler l'hypothèse de deux mécanismes ou d'un mécanisme double du point de vue biologique.
2) La distinction de deux formes : l'une monopolaire (Leonhard), dépression récidivante sans antécédents personnels maniaques ; l'autre bipolaire où l'on retrouve au contraire ces antécédents personnels. Les antécédents familiaux étant similaires pour chacune de ces deux formes.
3) Les différences des résultats préventifs obtenus par les sels de lithium dans les différentes formes, meilleurs dans celle bipolaire que dans l'unipolaire mais encore appréciable dans des états dits « schizophrénies dysthymiques »* considérés jusque là comme hors du cadre de la psychose maniaco-dépressive, ont estompé les limites extrêmes et les délimitations internes de celle-ci.
INSERM : Il existe une catégorie Psychoses maniaques et dépressives 01 dont l'organisation taxinomique est difficilement compréhensive. En effet, après qu'ait été indiqué « ne plus classer ici les états d'éxcitation ou de dépression atypique... les états dépressifs symptomatiques d'une étiologie organiques... les états dépressifs névrotiques et les dépressions réactionnelles non psychotiques » il est ajouté : « Doivent être classés dans cette catégorie tous les états psychotiques de type maniaque ou mélancolique non symptomatiques d'une étiologie organique démontrable, y compris ceux à symptomatologie délirante et ceux survenant éventuellement chez des névrotiques. » Seule l'exclusion des états symptomatiques d'une étiologie organique est cohérente ; pour le reste il y a une double contradiction dans l'exclusion des états atypiques et l'inclusion de ceux à symptomatologie délirante délirante et dans l'exclusion des états dépressifs névrotiques et des dépressions réactionnelles non psychotiques et l'inclusion de ceux survenant éventuellement chez les névrotiques.
En outre à l'intérieur même de la catégorie si les quatre premières correspondent bien à la conception classique de la psychose maniacodépressive .0 Accès mélancolique, .1 Accès maniaque, .2 Etat mixte, forme circulaire, .3 Mélancolie d'involution*, la surprise augmente avec les suivantes : .4 Psychose dépressive réactionnelle et .5 Etat d'excitation maniaque réactionnel. Que faut-il entendre par .6 Dépression psychotique de type maniaque non classable en 0, 2, 3 ou 4 et par .7 Etat d'excitation de type maniaque non classable en 1, 2 ou 5 ?
CIM 9 : Sous la dénomination « Psychoses affectives » figure une catégorie 296 qui, mis à part l'inclusion pour des raisons pratiques de troubles légers de l'humeur (hypomanie) reprend sept formes d'épisodes maniaques ou dépressifs : .0 forme maniaque, . 1 forme dépressive, .2 forme circulaire en période maniaque, .3 forme circulaire en période dépressive, .4 forme circulaire, mixte, .5 forme circulaire état actuel non précisé, .6 Psychose maniaque dépressive sans autre précision (on remarquera que pour un même malade des épisodes successifs seront codés dans des rubriques différentes).
CIM Proj. rév. : Il est proposé de réduire dans la catégorie Troubles (affectifs) de l'humeur ce qui reste de la psychose maniaco-dépressive à trois rubriques Episode maniaque F30, Episode dépressif F31 et trouble affectif bipolaire F32.
D.S.M. III : La catégorie Troubles affectifs (troubles thymiques) est subdivisée en trois : 1) Troubles affectifs majeurs : A - Trouble bipolaire et B - Dépression majeure. 2) Autres troubles affectifs spécifiques. 3) Troubles affectifs atypiques. Dans la première subdivision, la psychose maniaco-dépressive a disparu pour laisser la place au trouble bipolaire et à la dépression majeure. A - Il existe trois forme de Trouble bipolaire : mixte 296.6x, Trouble bipolaire maniaque 296.4x et Trouble bipolaire dépressif 296.5x. B - La dépression majeure comprend deux formes Episode isolé 296.2x, et Dépression majeure récurrente 296.3x. Il s'agit là de la forme unipolaire (on ne comprend pas que le terme ne soit pas utilisé alors que la notion réciproque de trouble bipolaire est au centre même de cette conception des troubles affectifs. Le glossaire ne les définit d'ailleurs ni l'un, ni l'autre).
Il est bien souligné que « la catégorie : Etat maniaque n'existe pas dans cette classification ». Par contre, la Mélancolie persiste avec une définition très particulière donnée à propos de « l'utilisation du cinquième chiffre » qui « permet de préciser certaines caractéristiques de l'épisode actuel comme la présence de caractéristiques psychotiques et dans le cas d'un épisode dépressif majeur, la présence de Mélancolie » dont une note dit : « Terme ancien qui, dans ce manuel, est utilisé pour désigner une forme sévère typique de dépression réagissant particulièrement aux thérapeutiques biologiques. La clinique de ce syndrome a pu faire qualifier d'endogène. Etant donné que le terme d'endogène implique pour beaucoup d'auteurs l'absence de stress déclenchant, caractéristique qui n'est pas toujours liée à ce syndrome, le terme "endogène" n'est pas utilisé dans le D.S.M. III. »
D.S.M. Ill-R : L'intitulé correct de cette catégorie Troubles de l'humeur est rétabli. Elle est désormais subdivisée en :
- Troubles bipolaires caractérisés par un ou plusieurs épisodes de manie ou d'hypomanie qui regroupent avec les formes mixte, maniaque et dépressive, la cyclothymie 301.13 et des troubles bipolaires non spécifiés 296.70 tel celui décrit comme bipolaire Il.
- Troubles dépressifs qui regroupent eux la dépression majeure 296, isolée 2x ou récurrente 3x, et la dysthymie (ou dépression névrotique) 300.40. Le terme unipolaire n'est pas toujours pas utilisé.
Bibliographie :
ABRAHAM K. - Esquisse d'une histoire de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux (1924). OEuvres complètes (tome III). Payot, Paris 1966.
FREUD S. - Deuil et mélancolie. In : Métapsychologie, Gallimard, Paris, 1968.
KRAEPELIN K. - Introduction à la psychiatrie clinique. Traduction française 1907 de la 21 éd., réed. Navarin, Paris, 1984.
Dernière mise à jour : jeudi 28 mars 2002 16:56:57 Dr Jean-Michel Thurin |
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