Pour Kielholz (1973), elle se définit comme un « processus dépressif se manifestant en premier lieu sur le plan somatique » alors que les symptômes psychiques n'apparaissent qu'en arrière-plan. Les symptômes physiques les plus fréquents en sont les troubles digestifs, les troubles cardio-vasculaires et diverses douleurs alors que sur le plan psychique l'inhibition, l'insomnie et la perte de l'intérêt en particulier sexuel contrastent avec l'absence de tristesse.
Si l'existence de tableaux cliniques caractérisés par une telle symptomatologie est indiscutable, l'hypothèse que ces manifestations somatiques dévoilent la nature dépressive de l'affection qui provoque leur apparition tout en dissimulant la face cachée thymique mérite elle d'être discutée. N'est-ce pas une absurdité intrinsèque que de parler de dépression sans troubles psychiques ? C'est pourquoi il n'est pas dit que ceux-ci n'existent pas mais qu'ils s'effacent au profit de ces plaintes corporelles qui donnent à cette thymopathie cette singulière apparence. Mais dans ce cas quels sont les facteurs qui font prendre à une dépression cette forme aberrante ? On a pu faire remarquer que toute dépression connaît un bouleversement somatique et végétatif que Kraepelin intègre dans sa définition de la mélancolie, et d'autre part que le vécu dépressif est d'un point de vue phénoménologique toujours ressenti dans et par le corps. La dépression dite masquée serait alors la plus authentique des dépressions, celle où plaintes et doléances corporelles témoignent bas les masques de ce vécu et de ce bouleversement.
Angst par une analyse transculturelle de la dépression masquée a montré que les symptômes dépressifs universellement rencontrés sont, outre une modification plus ou moins marquée de l'humeur, des symptômes somatiques, troubles de l'appétit, de la libido, de la puissance sexuelle, ce qu'il appelle « troubles dépressifs vitaux de la sensibilité interne » alors que les symptômes que nous considérons comme typiquement dépressifs, tels que la culpabilité et l'auto-accusation seraient propres à la culture dite occidentale. Collomb décrivant le masque noir de la dépression a montré que les états dépressifs psychotiques en Afrique sont caractérisés par la somatisation qui s'accompagne d'un vécu persécutif alors que les idées de culpabilité et de suicide sont rares.
L'argument thérapeutique avancé en faveur de la nature dépressive de ce tableau qui est effectivement amélioré sous l'influence des antidépresseurs apparaît tautologique s'il est isolé : certains psychotropes sont dits anti-dépresseurs car ils réduisent l'humeur dépressive ergo tout symptôme amélioré par eux est dépressif. Cette amélioration peut être le résultat d'une action autre de ces molécules par exemple antiantalgique. Cet argument a été utilisé pour répondre à la question qui se pose dès qu'est admis qu'il s'agit bien là d'un équivalent dépressif, à savoir à laquelle des deux grandes catégories traditionnelles endogènes ou psychogène elle peut être rattachée. Lopez-lbor qui dès 1950 soutenait qu'il fallait considérer comme des « équivalents thymopathiques » des symptômes somatiques essentiellement des douleurs-céphalées, penchait pour la première. Les arguments invoqués sont l'existence d'un fonds dépressif, l'évolution cyclique des troubles et l'efficacité du traitement d'essai. Par la suite, de nombreuses autres manifestations somatiques en particulier dermatologiques ont été incluses dans ces équivalents en s'appuyant sur l'existence d'antécédents familiaux de troubles évoluant de manière cyclique. Il est évident que ceci aboutit à considérer que la dépression masquée est exclusivement endogène. Pour Kielholz au contraire la dépression masquée peut être endogène mais aussi psychogène. Le malade dans son discours inverse souvent la proposition étio-pathogène affirmant qu'il est déprimé parce qu'il a mal, que la cause de la dépression est la douleur.
Nous trouvons finalement derrière le masque l'énigme de la somatisation. Ce terme est mal défini et désigne outre cette dépression somatisée des mécanismes aussi divers que ceux observés dans les troubles psychosomatiques*, les troubles fonctionnels, la conversion*, l'hypocondrie* et les pathomimies.
INSERM : La dépression et les états dépressifs sont classés conformément à la nosologie traditionnelle. La dépression masquée figurera donc soit parmi les psychoses maniaques et dépressives 01 à la rubrique .6 Dépression psychotique de type mélancolique, soit parmi les Etats dépressifs non psychotiques 13 à Etat dépressif non psychotique .9.
Mais elle pourrait aussi l'être en fonction de sa symptomatologie en 14 ou 15. La catégorie 14 a la particularité d'être à double entrée : Troubles psychosomatiques mais aussi Troubles somatiques vraisemblablement psychogènes. Les rubriques correspondent à une énumération des appareils proposant donc une taxinomie anatomo-physiologique.
C'est dans la catégorie Troubles isolés non classables ailleurs 15 que l'on trouve une rubrique .7 Cephalalgies et autres psychalgies.
CIM 9 : La dépression masquée n'est ni indidividualisée ni mentionnée. Il existe par contre une catégorie Troubles du fonctionnement physiologique d'origine psychique 306 différenciés de l'hystérie* et des troubles psychosomatiques*. Les différents modes de somatisation sont donc distingués. Les troubles sont ici aussi groupés par système. Ainsi à 306.3 Cutané on trouve prurit psychogène. C'est dans la catégorie Symptômes ou troubles spéciaux non classés ailleurs 307 que figurent les psychalgies 307.8.
CIM Proj. rév. : Il apparaît une rubrique Somatisation F 45 où figure Syndromes douloureux sans cause organique spécifique mais à l'exclusion des douleurs au cours des troubles dépressifs.
D.S.M. Ill : La profonde révision de la nosologie des Troubles affectifs qu'il propose complique encore plus les choses. C'est un excellent exemple de la manière dont la schématisation opérée dans le but de définir des groupes homogènes de malades aboutit au résultat contraire « l'ensemble des "équivalents dépressifs" et des "dépressions masquées" sortent automatiquement du cadre des troubles dysthymiques et se retrouvent dispersés dans diverses catégories diagnostiques en fonction de leur symptôme prévalent, que celui-ci soit d'ordre anxieux, somatoforme, psychosexuel, etc. Cela rendra difficile toute recherche clinique portant sur les états dépressifs dont la symptomatologie n'est pas typique, états qui correspondent pourtant à une réalité clinique indiscutable, même si les frontières de celle-ci ont pu, au cours des dix dernières années, être considérées par certains comme trop floues et variables selon les auteurs (Guelfi 1985) ». C'est effectivement sans doute à une partie de la nouvelle catégorie introduite par le D.S.M. III Troubles sornatoformes* que correspondent les équivalents dépressifs. Mais à laquelle ? Quatre troubles hétérogènes y sont regroupés : le Trouble : Somatisation (Syndrome de Briquet*) 300.81, Trouble de conversion* 300.11, l'hypocondrie* 300.70 étudiés aux articles correspondants et 300.80 Douleur psychogène qui ne paraiÎt pas correspondre aux algies de la dépression masquée bien qu'on note parmi les caractéristiques associées « Une humeur dysphorique est fréquente » et au diagnostic différentiel : « Des individus présentant un trouble : Somatisation, des troubles dépressifs et une schizophrénie peuvent se plaindre de douleurs et de maux variés, mais la douleur domine rarement le tableau clinique. » Or c'est justement là la question en ce qui concerne les manifestations algiques de la dépression masquée.
D.S.M. III-R : A ces cinq troubles somatoformes est ajouté un Troubles somatoforme indifférencié 300.70 se manifestant par des plaintes somatiques qui ne répondent pas aux critères du Trouble : Somatisation, associé à l'anxiété et à l'humeur dépressive évoluant de manière récurrente ou limité à un seul accès qui pourrait correspondre à la dépression masquée mais cette notion n'est toujours pas admise.
Bibliographie : KIELHOLZ P. - La dépression masquée. Huber, Berne, 1973.
Dernière mise à jour : jeudi 28 mars 2002 18:27:08 Dr Jean-Michel Thurin |
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