Université Pierre et Marie Curie Année universitaire 2002-2003
Faculté de médecine
Pitié Salpétrière
Mémoire de Diplôme Universitaire :
Stress, traumatisme et pathologies
__________
Claire Bonafons
__________
Sous la direction du Docteur Louis Jehel
Responsable de l'Unité
de Psychiatrie et Psychotraumatisme
CHU Tenon, PARIS
Université Pierre et Marie Curie Soutenu en octobre 2003
Faculté de médecine
Pitié Salpétrière
Harcèlement moral au travail et état de stress post-traumatique
Mémoire de DU :
Stress, traumatisme et pathologies
__________
Claire Bonafons
__________
Sous la direction du Docteur Louis Jehel,
Responsable de l'Unité
dePsychiatrie et Psychotraumatisme,
CHU Tenon, PARIS
Je tiens à remercier Monsieur le docteur Louis JEHEL, Responsable de l'Unité de Psychiatrie et Psychotraumatisme du CHU Tenon pour sa compréhension et son aide précieuse pendant l’élaboration de ce mémoire. Je tiens également à remercier ma famille pour son soutien et particulièrement ma fille Sophie, ainsi que Madame le Docteur Marie-France HIRIGOYEN, médecin psychiatre, pour le temps et l’attention qu’elle a bien voulu consacrer à mes demandes d’indications.
Je remercie également, pour le temps qu’ils ont bien voulu me consacrer et pour les informations précieuses qu’ils m’ont apportées au cours de mon enquête :
Monsieur le Docteur Jean-Paul Alard
Maître Alain Coroller-Bequet
Monsieur le Docteur Louis Crocq
Monsieur le Docteur Nicolas Dantchev
Monsieur le Docteur Philippe Davezies
Madame Michèle Drida
Monsieur le Docteur Gérard Lopez
Madame Aline Mauranges
Madame le Docteur Marie Pascual
Madame le Docteur Marie Peze
Madame le Docteur Marie-Christine Soula
Madame Stéphanie Vasseur
Madame Anne Waddington
ainsi que
Monsieur Marc Brussieux
Madame Claire Feildel
Madame Brigitte Le Floc’h
Madame le Docteur Maillard,
pour l’aide et les conseils qu’ils m’ont prodigués.
INTRODUCTION
1. LE HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL
1.1. Historique
1.2. Définitions actuelles
1.3. Différentes formes de harcèlement
moral
1.4. Les agissements caractéristiques
1.5. Evolution et quantification du
phénomène
1.6. La définition juridique
1.6.1. une loi votée dans l’urgence
1.6.2. le harcèlement moral
au regard de la loi:analyse de la définition
1.6.3. de la difficulté d’apporter des preuves
1.7. Diagnostic différentiel : ce
qui relève du harcèlement moral et ce qui n’en relève pas
1.7.1. les stress
1.7.2. les agressions ponctuelles
1.7.3. les conflits
1.7.4. les contraintes
professionnelles, les obligations normales du travail
1.7.5. la maltraitance
manageriale
1.7.6. les mauvaises
conditions de travail
1.7.7. les troubles de la
personnalité
2. CONSEQUENCES SUR LA SANTE : ESPT ou SYMPTOMES S’APPARENTANT A CEUX D’UN ESPT ?
2.1. Introduction
2.2 Qu’est-ce qu’un ESPT ?
2.2.1 une brève histoire du diagnostic d’ESPT
2.2.2 critères pour un diagnostic d’ESPT
2.2.3 évaluation de l’ESPT
2.2.4 évolution de l’ESPT
2.3. Discussion autour
de la présence du critère A
2.4. Harcèlement moral au travail
et ESPT : les enquêtes
2.4.1 introduction
2.4.2. les enquêtes à
l’étranger
USA
Canada
Norvège
Belgique
les enquêtes en France
Consultation “Souffrance
et travail”, Hôpital M. Fourestier
Consultation “Souffrance et travail”, Hôpital R. Poincaré
Consultation “Souffrance et travail”, FNATH
conclusion
2.5. Harcèlement moral au
travail : recueil de l’avis de spécialistes français
2.5.1. interviews p.53
a. Dr MF Hirigoyen p.54
b. Dr N. Dantchev p.60
c.
Mme A. Mauranges p.65
d.
Dr L. Crocq p.70
e. Mme A. Waddington p.75
f.
Dr M.C. Soula p.80
g.
Dr M. Peze p.85
h. M. Drida p.90
i.
Dr P. Davezies p.96
j.
Dr M. Pascual- Mme S.
Vasseur p.101
k.
Dr G. Lopez p.106
l.
Dr J.P. Alard p.110
2.5.2.
synthèse
2.6. Conclusion
3. APPLICATION DES DONNEES RECUEILLIES A
L’ANALYSE D’UN CAS CONCRET
3.1. Introduction
3.2. Présentation
d’une situation de harcèlement moral au travail
3.3. Les agissements
caractéristiques de cette situation
recensement des
agissements subis
agissements non répertoriés
3.3.2. commentaires
3.3.3. analyse des
résultats obtenus
3.4. Analyse
des réactions et tentatives d’adaptation
3.4.1.
3.4.2. stratégies
d’adaptation selon les différentes phases du processus
3.5. Evaluation des conséquences sur la
santé
3.5.1. les premiers
signes : la phase d’alerte
3.5.2. la
phase de décompensation en deux temps
3.5.3. application
au cas concret
3.5.4. facteurs
de risque et de protection
3.5.5. le
rôle de la résilience
3.6 Le
rôle du contexte professionnel
3.7 Conclusion
4. PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION
C’est avec la parution du livre Le Harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen en 1998[1]
que les victimes de harcèlement moral en France ont, pour la première fois, eu
la possibilité d’attribuer un nom et un concept à leur souffrance. Néanmoins,
ceci ne constitue que le premier impact de cet ouvrage, dont la parution a
largement contribué à soulever un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, il fait clairement apparaître le vague qui plane sur la
notion même de harcèlement moral ; en effet, il n’existe pas de définition
claire de ce concept autour de laquelle on pourrait trouver un consensus, la
notion de harcèlement faisant actuellement figure de variable qui soulève les
débats les plus passionnés entre différents spécialistes. L’ouvrage de Marie-France Hirigoyen évoque un second problème, qui réside
dans le contraste entre, d’une part, de petits agissements pouvant être somme
toute considérés comme anodins et, d’autre part, les conséquences dramatiques
qu’ils ont sur la victime. En effet, comment croire qu’une parole
désobligeante, une indifférence soigneusement affectée ou un regard mal placé
puissent posséder un tel pouvoir destructeur ? Il est parfois difficile à
certaines personnes de ne pas évoquer une prétendue faiblesse de caractère de
la victime, cette supposition étant généralement accentuée par le fait que le
harcelé, n’ayant d’autre recours face à la douleur qu’on lui inflige, se rende
régulièrement chez le médecin ou chez le psychologue. Ainsi, la victime, en
plus de la souffrance générée par le harcèlement moral, doit parfois subir un
certain nombre d’attaques personnelles, se voyant attribuer des
caractéristiques psychologiques peu flatteuses. On voit là apparaître l’un des problèmes majeurs posés par le harcèlement
moral, à savoir la part subjective qui, jusqu’à présent, semble
indéfectiblement liée à toute analyse de cette notion ; le but de ce
travail est donc, dans une certaine mesure, d’alléger ce problème grâce à
l’établissement de critères objectifs basés sur une corrélation entre certains
agissements et le développement de symptômes caractéristiques. Dans son livre Malaise dans le travail,
harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Marie-France Hirigoyen affirme : « Le harcèlement moral constitue
incontestablement un traumatisme.(...) Se constituent des névroses traumatiques,
plus rarement des psychoses traumatiques, ce qui correspond dans le DSM-IV, à
l’état de stress post-traumatique. Le tableau est le même, quelle que soit
l’origine du traumatisme. »[2] Pouvons-nous établir une relation
quasi-systématique entre le harcèlement moral au travail et l’état de stress
post-traumatique (ou ESPT) ou convient-il d’adopter un point de vue plus
réservé, évoquant des symptômes ne faisant que s’apparenter à ceux de
l’ESPT ? Face à la difficulté que présente la mise
en place d’une étude sur le terrain à propos de la relation qui existe entre
harcèlement moral au travail et ESPT, j’ai choisi de recueillir les avis de
spécialistes, d’une part dans le domaine du harcèlement moral, et d’autre part
dans le domaine des névroses traumatiques. Cette compilation d’opinions sera suivie
de l’étude d’un cas concret caractéristique de harcèlement moral au travail.
1.1.
Historique Avant d’analyser le concept de harcèlement moral, il convient d’établir
un état des lieux des diverses définitions et dénominations qui lui ont été
attribuées jusqu’à présent. On trouve dans la terminologie anglophone les
termes de mobbing et de bullying, dont l’utilisation elle-même fait l’objet de
controverses. Le mot mobbing, qui
traduit le fait d’assaillir, a été employé au départ par Konrad Lorenz au tout
début des années 1970 afin de décrire comment de petits animaux se regroupaient
et conjuguaient leurs efforts afin d’en attaquer un plus gros. Le terme a été
repris en 1972 par le médecin suédois Peter-Paul Heinemann[3],
qui l’applique cette fois au domaine de l’enfance, désignant par là des
comportements destructeurs à l’école d’un groupe d’élèves envers un de leurs
camarades. Heinz Leymann estime que le phénomène de harcèlement moral au
travail relève des mêmes processus, et le désigne donc également sous le terme de
mobbing. C’est aussi le terme
qu’emploient les chercheurs américains et européens (sauf les Anglais). Le
vocable bullying (intimidation
violente, brimade, brutalité) est, quant à lui, utilisé depuis un certain temps
par les chercheurs anglais et australiens, mais Leymann estime qu’il convient
plus au comportement des enfants à l’école qu’à celui des adultes sur leur lieu
de travail, en raison de sa connotation brutale ; en effet, s’il n’est pas
rare que les élèves recourent à la violence physique, cela l’est beaucoup plus
chez des personnes d’âge mûr. Ceci dit, les termes de mobbing et de bullying n’ont été pendant longtemps employés que dans certains contextes qui
s’éloignent quelque peu de notre propos. Ce n’est qu’en 1976 que l’on entend
pour la première fois parler du phénomène de harcèlement moral au travail, dans
l’ouvrage de Carroll M. Brodsky The Harassed worker[4]. L’auteur le définit comme des « tentatives
répétées et persistantes d’une personne afin de tourmenter, briser la
résistance, frustrer ou obtenir une réaction d’une autre. » Néanmoins,
l’ouvrage de Brodsky ne produisit guère d’émoi dans le public lors de sa
parution, car il mêle le harcèlement moral à d’autres souffrances nettement
plus fréquentes liées au travail, telles les accidents industriels, la
pollution chimique sur le lieu de travail, ou encore le stress dû à certaines
tâches fatigantes. De plus, Brodsky considérait que le travailleur en
souffrance n’était finalement que la victime de sa propre faiblesse, tombant
ainsi dans le travers que nous évoquions ci-dessus. Néanmoins, on ne peut lui dénier le mérite d’avoir été le
premier à publier certains cas de harcèlement moral au travail. 1.2.
Définitions actuelles Pour Heinz Leymann, « le concept de mobbing définit l’enchaînement, sur une assez longue
période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou
plusieurs personnes envers une tierce personne (la cible). Par extension, le
terme s’applique aussi aux relations entre les agresseurs et leur victime ». A des fins de recherche, il a concrétisé sa
définition en fixant précisément 45 actes de mobbing visant la victime et a précisé les notions de
fréquence et de durée avec des données concrètes : « Il y a mobbing lorsqu’un ou
plusieurs des 45 actes de mobbing
définis plus loin se répètent au moins une fois par semaine et sur une durée
minimale de 6 mois »[5]. Enfin, c’est avec Marie-France Hirigoyen que l’on voit employé pour la
première fois le terme de harcèlement moral,
en 1998. Elle le définit ainsi : « Le harcèlement moral se définit comme
toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude...) qui porte
atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à
l’intégrité psychique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou
dégradant le climat de travail. »[6]. Pour Michèle Drida (1999), qui préside l’association Mots pour Maux au
Travail, « le harcèlement moral est un ensemble de conduites et de
pratiques qui se caractérisent par la systématisation, la durée et la répétition
d’atteintes à la personne ou à la personnalité, par tous les moyens relatifs au
travail, ses relations, son organisation, ses contenus, ses conditions, ses
outils, en les détournant de leur finalité, infligeant ainsi, consciemment ou
inconsciemment, une souffrance intense, afin de nuire, d’éliminer, voire de
détruire. Le harcèlement est donc une forme particulière de maltraitance au
travail. Il peut s’exercer entre hiérarchiques et subordonnés, de façon
descendante ou remontante, mais aussi entre collègues, de façon transversale »[7]. L’analyse de ces définitions permet de dégager
plusieurs aspects importants : -
d’une part, la durée du processus[8]
et, d’autre part, la répétition d’agissements portant atteinte à la dignité
qui, pris indépendamment les uns des autres, pourraient presque sembler
insignifiants -
le détournement de la finalité de l’organisation du travail -
l’intention de nuire, consciente ou inconsciente[9] -
Les effets néfastes sur les victimes Enfin, une personne victime de harcèlement moral se trouve dans
l’incapacité de se défendre contre ces actes. Généralement, elle est
constamment tourmentée et importunée et a le sentiment de ne pouvoir riposter à
armes égales. 1.3
Différentes formes de harcèlement moral au travail Ces quatre caractéristiques sont donc des éléments constitutifs du
harcèlement moral, lequel peut apparaître sous trois formes principales telles
que définies par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme[10]:
-
un harcèlement institutionnel qui participe d’une stratégie
de gestion du personnel, certaines formes d’organisation au travail utilisant
une sorte de « lutte pour la vie » à l’intérieur de l’entreprise en
mettant des salariés en concurrence sur les mêmes fonctions et en déstabilisant
les collectifs de travail. L’objet est finalement l’élimination de certains
salariés par leurs collègues tout en obtenant des garanties quant à la docilité
et au conformisme de ceux qui restent[11]. -
un harcèlement professionnel organisé à l’encontre d’un
ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les
procédures légales de licenciement. -
un harcèlement individuel pratiqué dans un but purement
gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir. Une récente enquête a été menée auprès de 151
patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches[12]
entre 1999 et 2001 et identifiés comme victimes de harcèlement moral au
travail. Elle fait apparaître que le harcèlement individuel est la forme la
plus fréquemment rencontrée (61 % des cas). Le harcèlement moral de type
organisationnel concerne 23 % des patients et celui de type institutionnel 16
%. 1.4 Les agissements caractéristiques Ceci étant établi, restait aux différents chercheurs à étudier les
manifestations concrètes du phénomène de harcèlement moral au travail. Dans
cette optique, Heinz Leymann a établi une liste de quarante-cinq agissements
caractéristiques, qui a été reprise par de nombreuses personnes travaillant sur
le harcèlement moral, chacune répartissant ces agissements selon ses propres
rubriques.[13] Parmi
elles, Marie-France Hirigoyen a pour sa part regroupé les agissement hostiles
en quatre catégories, en allant du plus difficile à repérer au plus
évident : -
les atteintes aux conditions de travail -
l’isolement et le refus de communication -
l’atteinte à la dignité -
la violence verbale, physique ou sexuelle Dans notre travail d’enquête auprès de divers spécialistes en matière de
harcèlement moral, c’est cette classification qui servira de base. Enfin, il existe également une liste d’agissements établie par Marie
Pezé, qui répertorie diverses techniques de harcèlement[14],
et qui a été utilisée en France par divers organismes s’intéressant au sujet. Pour conclure, même si ces agissements demeurent globalement les mêmes,
on peut constater une certaine variabilité du concept de harcèlement selon les
pays, qui s’exprime ne serait-ce qu’à travers la terminologie employée (mobbing en Suède, bullying en Grande-Bretagne, psycho-terror au Portugal, harcèlement psychologique au Canada, terror ou harrassment aux Etats-Unis ...). 1.5 Evolution et
quantification du phénomène A la question de savoir si
le harcèlement moral est un phénomène nouveau, Christophe Dejours[15]
, psychiatre, Directeur du Laboratoire de Psychologie du Travail au CNAM,
répond par la négative : « Le harcèlement, l’injustice, la
discrimination au travail existent depuis très longtemps. Ce qui est nouveau,
c’est l’accélération du phénomène. De plus en plus de salariés en souffrent,
avec des conséquences qui vont de l’insomnie à la dépression et même au
suicide ». Les médecins du travail
situent l’augmentation de la souffrance morale au travail dans les années
90-95. Le Docteur Castel précise, lors d’un colloque consacré à ce sujet en
mars 2002 à Quimper : « Sur ce terrain de souffrance au travail, est
apparu au cours de cette période un syndrome particulier, différent des
précédents. Le tableau est alors caricatural : il s’agit d’une personne
que le médecin du travail voyait depuis plusieurs années, qui ne s’était jamais
plainte de ses conditions de travail et qui, un jour, « craque » dans
notre bureau : elle pleure, exprime son incompréhension, son sentiment
d’incompétence, sa honte. »[16] Dans un rapport de
recherche réalisé en 2002, C. Mancel et Y. Montoya [17]
ont interrogé 186 médecins, contrôleurs et inspecteurs du travail afin de
quantifier leur perception de l’augmentation de la violence au travail. A la
question : « Avez-vous l’impression que les cas de violence ont
augmenté ces quatre dernières années ? », 39 % des personnes
interrogées ont répondu « beaucoup », et 6 %
« énormément ». S’agissant de définir si
cette violence était d’ordre moral, 54 % ont répondu « souvent » et
32 % « toujours ». Il existe très peu de
données internationales concernant la prévalence du harcèlement moral en milieu
de travail, mais les données les plus récentes indiquent que le phénomène
serait répandu. Selon les études, elle varie de moins de 5 % à plus de 20 % de
personnes exposées. Il semble cependant
difficile de comparer les résultats, tant la définition, l’instrument
d’évaluation et l’échantillon étudié fluctuent d’un auteur à l’autre. Diagnostiquer une
situation de harcèlement moral au travail s’avère être une tâche longue et
compliquée, peu adaptée aux enquêtes à grande échelle. Au niveau international,
l’enquête International Crime
Victime Survey, menée en 1996 par le
BIT (Bureau International du Travail) indiquait que les employés français
étaient ceux qui estimaient le plus souvent avoir été victimes de violences sur
leur lieu de travail (ces violences incluant, outre le harcèlement moral, les
agressions verbales, physiques, les menaces et le harcèlement sexuel) :
12,9 % des hommes et 8,9 % de femmes déclaraient avoir été agressés lors de
l’année précédente. Au niveau européen,
les seuls chiffres ayant permis d’évaluer l’importance du harcèlement moral au
travail sont ceux issus de la troisième enquête sur les conditions de travail
par la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de
travail. L’étude a été conduite auprès de 21 500 travailleurs de l’Union
Européenne représentatifs de la population active. A la question :
« au cours des 12 derniers mois, au travail, avez-vous été l’objet d’une
intimidation ?», 9 % des salariés européens répondent par l’affirmative.
La France se situe parmi l’ensemble des pays à pourcentage peu élevé (avec 5 %
des travailleurs répondant de façon positive à cette question). L’interprétation de ces
résultats est toutefois assez délicate dans la mesure où d’une part, ils
expriment un ressenti de harcèlement moral et non pas l’existence d’une
situation de harcèlement moral avéré, et d’autre part, ils concernent les
violences au travail et non pas spécifiquement le harcèlement moral au travail. Une autre enquête quantitative
a été menée en Belgique durant les années 2001-2002 auprès de 2000
travailleurs. Les interviews ont été réalisées par téléphone au moyen d’un
questionnaire, version révisée du questionnaire LIPT (Leymann Inventory of
Psychological Terror). Un critère de fréquence était introduit: pour chacun des
agissements cités, la personne devait répondre : rarement, parfois, la
plupart du temps ou toujours. 11,5 % des personnes
interrogées se sentaient victimes d’au moins un comportement hostile la plupart
du temps ou toujours. En France, la
SOFFRES a effectué en juin 2001 un sondage sur la perception du harcèlement
moral au travail auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la
population française. Après un rappel de la définition telle que présentée dans
le texte de loi relatif au harcèlement moral au travail, 20 % des personnes
interrogées estimaient être ou avoir été harcelées. Par ailleurs, une enquête
sur l’évaluation du harcèlement moral a été menée dans un cadre universitaire[18]
avec la participation de l’association Mots pour Maux au Travail[19]
et les centres de médecine du travail d’Alsace. Sur 1210 salariés auxquels
ont été distribués des questionnaires, 9,6 % répondaient aux critères de
harcèlement. Ces critères étaient les suivants : - la présence d’au moins
un agissement constitutif du harcèlement, au moins une fois par semaine (à
partir de la liste des 45 agissements d’H. Leymann) - la présence d’au moins
un critère de vécu douloureux face à ces agissements. Pour conclure, on peut dire
que selon les études, lorsqu’on analyse l’opinion des salariés, 20 à 30 %
pensent avoir été harcelés ; lorsque l’on recherche le harcèlement à
l’aide de critères dans une population générale, le pourcentage de harcèlement
est environ de 10 %. 1.6 la définition juridique 1.6.1 Une
loi votée dans l’urgence Face au problème, devenu aujourd’hui phénomène de société, les
institutions, les politiques et les juridictions se sont emparés du phénomène
pour tenter d’y apporter des solutions par la loi et la réglementation
destinées à guider les juges dans leur discernement et leur réflexion. La principale difficulté dans la conception d’une définition juridique
réside dans l’élaboration d’une juste définition du harcèlement moral. Il
existe en effet deux risques : d’une part, celui d’aboutir à une
définition trop large pouvant entraîner une judiciarisation des relations de
travail, et d’autre part celui de parvenir à une définition trop restrictive
risquant de laisser de côté un grand nombre de victimes. En matière de législation sur le harcèlement moral, la Suède a joué un
rôle de pionnier en se dotant d’une réglementation dès 1993. Le mouvement a été
suivi par la France, la Belgique et le Canada qui viennent d’adopter des
législations spécifiques.[20]. Le parlement européen a également adopté une résolution sur ces questions
en septembre 2001. Dans leur rapport[21],
les deux auteurs précisent d’emblée qu’il n’existe pas de désignation
universellement acceptée du phénomène du « harcèlement moral au
travail », et qu’en conséquence, il n’existe pas non plus de définition
générale applicable à tous les cas. Après avoir analysé les définitions existantes, les auteurs concluent que
pour pouvoir être qualifié de harcèlement moral, un comportement doit être
adopté : -
de façon répétée -
pendant une longue période -
sans atteinte physique -
avec un effet humiliant sur la personne harcelée. De même, O. Neuberger déclare qu’il « n’existe pas de définition
véritable ou exacte » de ce problème. [22] En France, c’est incontestablement la parution du premier ouvrage de
Marie-France Hirigoyen[23]
qui a alerté et sensibilisé l’opinion sur cette forme de souffrance au travail.
Par la suite, une proposition de loi sur le harcèlement moral fut déposée
en décembre 1999 par le groupe communiste à l’Assemblée nationale. L’origine
immédiate de cette proposition se trouvait dans le débat parlementaire sur le
conflit social à l’usine Daewoo en Lorraine. Celui-ci avait révélé des
pratiques de gestion incompatibles avec la dignité humaine. En particulier, des
membres du personnel (surtout ceux qui revenaient de congé de maternité, de
congés payés ou d’un arrêt maladie) étaient contraints de passer des journées
entières dans des chambres de section, sans rien faire, ou étaient affectés à
des tâches dévalorisantes telles que le ramassage de mégots de cigarettes. Le témoignage d’un de ces salariés, victime d’un grave accident du
travail (chute avec fracture et ligaments déchirés ayant nécessité une
interruption d’un an) est éloquent : « A mon retour, je me suis retrouvé en No Division. A mon grand
étonnement, je n’ai pas retrouvé de poste de mécanicien, mais j’ai été affecté
aux tâches subalternes où je suis toujours. Mes nouveaux secteurs : les
espaces verts, la zone déchets ou encore rien, des journées à ne rien faire, à
attendre. Ces journées-là, interminables, je les passe dans le grand bureau des
cadres et de la maîtrise. On me met à une table, sur une chaise, on fait comme
si je n’étais pas là, sauf quand on a besoin de ma place. Ce qu’il y a de plus humiliant,
c’est que même alors on ne me parle pas. On me pince à la manche. C’est pour me
faire comprendre que je dois me mettre ailleurs. » [24] Puis, en avril 2001, le Conseil Economique et Social a adopté un avis qui
a exercé une influence très importante sur l’élaboration de la législation. Celle-ci a vu le jour dans le cadre de la Loi de Modernisation Sociale du
17 janvier 2002[25]. Les principales dispositions concernent : -
la définition du harcèlement moral -
les mesures de prévention -
les mesures de protection des victimes et des témoins -
les sanctions 1.6.2 le harcèlement
moral au regard de la loi : analyse de la définition Dans le cadre de ce
mémoire dont l’objet est d’établir des liens entre une situation de harcèlement
moral et ses conséquences sur la santé, il conviendra d’étudier plus
particulièrement la définition donnée par le législateur, même si les mesures
de prévention devraient contribuer à soulager les victimes. A ce sujet,
contrairement à d’autres pays comme la Belgique ou le Canada qui ont instauré
des politiques de prévention très précises et détaillées, il est simplement
spécifié : « il appartient au chef
d’entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les
agissements visés à l’article L. 122-49 » ; en outre, « le chef
d’établissement doit protéger la santé physique et mentale des salariés »
(Art L 230-2 du Code du travail). La loi ne propose pas de définition du harcèlement moral au regard des
actes ou comportements constitutifs du harcèlement : en matière de comportements
prohibés, c’est seulement au vu de leurs effets que le harcèlement moral
(également pénalement répréhensible) est précisé. Le nouvel article L 122-49 du code du travail dispose
qu’ « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement
moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de
travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer
sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel. »[26] Essayons, pour mieux comprendre, d’illustrer les éléments de cette
définition qui semble de prime abord un peu abstraite. -
les agissements répétés :
cette notion est induite par la définition même du mot
« harcèlement »[27].
Le harcèlement moral implique un effet d’accumulation. Il ne résulte pas d’une
agression isolée et extrêmement violente, mais du cumul, de l’empilement, jour
après jour, de petites conduites agressives qui, considérées isolément,
semblent anodines. Le harcèlement moral, c’est la répétition inlassable, persistante,
de micro-traumatismes. Ainsi donc, quand un licenciement se passe mal, que l’employeur prie
sèchement l’employé de rassembler ses affaires et de disparaître sans adresser
la parole à quiconque, c’est certainement un comportement vexatoire, mais qui
ne relève pas du harcèlement moral étant donné qu’il ne s’est produit qu’une
fois. En revanche, si, systématiquement on oublie de
convoquer un salarié aux réunions, si personne ne le salue le matin, si de
façon ostensible, on ne lui adresse jamais la parole, on se trouve bien devant
des agissements répétés. -
ayant pour objet ou pour effet : avoir pour « objet » de nuire à quelqu’un, cela veut
dire clairement « le faire exprès » ; « avoir pour
effet » vise les situations où l’on ne pensait pas forcément que le
comportement adopté aurait de pareilles conséquences. En définitive, le législateur ne subordonne pas la qualification de
harcèlement à l’intention de nuire. Cette notion peut sembler surprenante car elle est en contradiction avec,
d’une part, la proposition de loi qui souhaitait mettre en exergue la volonté
de nuire de l’auteur des actes de harcèlement en visant une
« dégradation délibérée des conditions de travail », et d’autre
part, l’avis des spécialistes de la question. Citons M.F. Higoyen dans son ouvrage Le
harcèlement moral dans la vie professionnelle :
« Il est important de faire une distinction entre les situations qui
ressemblent à du harcèlement mais qui n’en sont pas, essentiellement parce
qu’il n’y a pas de volonté de nuire. »[28].
On peut également mentionner un reportage diffusé sur LCI en octobre
2002 où elle affirme : « il est extrêmement important pour que l’on
parle de harcèlement qu’il y ait à la fois des agissements hostiles répétés qui
portent atteinte à la santé de la personne, mais aussi qu’il y ait
effectivement une intentionnalité. Ce n’est pas très clair dans la loi, mais ça
l’était dans le projet ». Citons enfin Chrispophe Dejours[29] :
« Une conduite est violente lorsqu’elle met à exécution une intention de
destruction ou d’altération de l’objet ou de la personne désignée pour cible.
Il y a donc intention, mais pas seulement intention. Il y a aussi mise en
acte. », Valérie Langenvin, psychologue du travail : « dans le
harcèlement moral, il y a intention de nuire, même si le législateur n’a pas
retenu cette notion d’intentionnalité dans sa définition »[30],
ou encore le rapport de l’INRS qui
spécifie : « dans le harcèlement moral, il y a une intention de
nuire. L’objectif est, d’une manière ou d’une autre, de se débarrasser de la
personne parce qu’elle gêne »[31]. Cette question de l’intentionnalité prend toute son
importance quand on sait que certains comportements peuvent entraîner une
grande souffrance chez une personne donnée alors qu’ils n’auraient aucun effet
sur la plupart... Certes, le caractère intentionnel du harcèlement, à
moins d’être clairement exprimé par son auteur, est des plus difficiles à
démontrer et constitue donc un frein à l’efficacité opérationnelle d’une
définition. Néanmoins, le caractère délibéré de la dégradation des conditions
de travail pourra s’apprécier à la lumière de l’absence totale de justification
des comportements incriminés au regard de l’intérêt de l’institution. Dans la pratique, la jurisprudence a jusqu’ici fait
fréquemment référence à la volonté manifeste de l’auteur des agissements de
nuire à sa victime. Elle insiste sur le caractère abusif ou excessif du
comportement de l’employeur ou de la mauvaise foi que ce comportement révèle.
Ainsi, lors du premier procès devant la juridiction pénale depuis la promulgation
de la loi, les juges ont-il affirmé : « Le harcèlement moral n’est en
soi ni le stress, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou
non, ni les contraintes de gestion. C’est autre chose qui touche à la volonté,
affichée ou non de détruire une personnalité ».[32]
-
la dégradation des conditions de travail : le harceleur agit en effet par une mise en
échec permanente de l’employé et par une non reconnaissance systématique de la
qualité de ce qui est produit. Cela peut prendre la forme d’exigences trop
importantes, dénuées de sens ou délibérément vagues afin de pousser le salarié
à commettre une faute, ou de privations du matériel utile à la réalisation du
travail. Mais la plupart du temps, cela se traduit par
l’isolement du salarié, c’est à dire par le refus de lui donner une tâche à
effectuer. L’objectif est alors de donner au salarié le sentiment qu’il est
inutile et de l’amener à remettre en cause son rôle au sein de l’entreprise. -
l’atteinte aux droits et à la dignité : la référence aux droits doit se comprendre
en référence aux dispositions de l’article L 120-2 du Code du Travail qui pose
le principe selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes
et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but
recherché. ». En effet, le harcèlement ne vise pas l’accomplissement de la
tâche, mais la personne. Ainsi, un changement d’horaires imposé à des vendeuses
en raison de la modification de l’activité de l’entreprise ne relèvera pas d’un
agissement constitutif de harcèlement moral, même si les dits-horaires leur
conviennent moins bien que les précédents. En revanche, s’il n’y aucun changement dans l’activité
de l’entreprise, aucune raison objective de modifier les horaires, et que de
plus, une seule vendeuse est concernée par ces modifications, il pourra s’agir
d’une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux
droits de la salariée. Le respect de la dignité est un principe fondamental à
valeur constitutionnelle qui a également été repris au niveau européen par la
charte sociale européenne. Les exemples d’atteintes à la dignité en matière de
harcèlement moral se rapportent souvent à des humiliations devant témoins, des
mises au placard ou à l’exécution des tâches dans des conditions
particulièrement humiliantes ( local insalubre, sans téléphone...). Il s’agit, selon le CES [33]
d’une « remise en cause de la personne même de la victime, par la négation
de ce qui la constitue comme une personne à part entière, c’est à dire,
reconnue dans sa réalité humaine ». - le
mot « susceptible » suggère
que les juges devront imaginer les conséquences qu’auraient pu entraîner les
agissements constatés s’ils avaient perduré. Or, le
mal occasionné par un comportement donné varie selon la personnalité de la
victime... Béatrice Lapérou suggère que « l’on considère que les pressions
dénoncées, pour pouvoir recevoir le qualificatif de harcèlement moral, doivent
être ressenties par un individu normalement sensible comme insupportables ou
tout au moins pénibles. » [34] -
l’altération de la santé physique et mentale : les conséquences des situations de
harcèlement sur la santé des victimes étant particulièrement importantes, nous
aborderons ce thème dans la suite de ce mémoire. L’intérêt de cette disposition
est donc de permettre aux victimes de contribuer à la reconnaissance du
harcèlement dont elles ont été l’objet en produisant des attestations
médicales. A cet égard, la chronique des Cahiers prud’homaux [35]consacrée
au harcèlement moral en 2003 résume la position des juges en matière de
production de certificats médicaux : « Quand le salarié invoque le
harcèlement comme cause d’ennuis de santé, le constat dressé par un médecin ne
saurait dépasser ce qu’il a pu voir (cf .Cons.Prud.Paris, section
activités diverses, 6 mai 2002). En clair, le médecin n’est pas habilité à certifier,
qui plus est unilatéralement, un harcèlement moral sans outrepasser ses
attributions... et donc, risquer d’engager sa propre responsabilité. C’est
précisément au juge d’apprécier si les conditions sont bien réunies au vu des
faits apportés en ce sens par le salarié, puis par l’employeur, sans être lié
par les « opinions du médecin » (cf Cour d’Appel d’Angers, ch.soc.,
14 octobre 2002 où la Cour stigmatise le comportement d’un
« spécialiste » qui se prononce non contradictoirement sur la cause
du licenciement). En revanche, des rapports d’expertise décrivant et
analysant la souffrance vécue par une salariée, sans se contenter de conclure à
partir de déclarations unilatérales ont emporté la conviction des juges[36] :
« ...c’est bien la répétition et la systématisation d’attitudes, de
paroles, de comportements qui pris séparément peuvent paraître anodins,
mais sont destructeurs à la longue. Qu’à cet égard, le rapport du Docteur P. est
particulièrement édifiant qui décrit une salariée présentant un effondrement
anxio-dépressif sévère, une désorganisation psychosomatique, un tableau de
névrose traumatique majeure désormais identifiée comme spécifique du
harcèlement avec sidération des fonctions du Moi, insomnies, cauchemars
répétitifs, irritabilité, sentiments de terreur, pleurs, restrictions de la vie
sociale, atteintes cognitives, troubles relationnels avec son mari et son fils,
un effondrement identitaire centré sur un sentiment de dévalorisation, une
intense culpabilité à s’être laissée faire, à s’être retrouvée destinataire de
cette situation . Le rapport décrit également une dépression par
épuisement des mécanismes de défense ; amaigrie, effondrée, vidée de tous
repères moraux, profondément déstabilisée dans son identité personnelle, cette
patiente doit être hospitalisée et bénéficier d’une prise en charge
psychothérapique spécialisée. Le sentiment de dévalorisation est désormais intériorisé,
toute résistance est abolie, toute compréhension de la situation aussi. Le rapport indique enfin que la situation d’impasse
est majeure et parle de situation de danger psychique majeur. Que ce rapport, dans sa description et son analyse de
la souffrance vécue par Mme G., ne se contente pas de conclure à partir de
déclarations formulées par la salariée, mais au contraire établit de façon
précise le lien entre les situations humiliantes vécues dans le cadre d’une
relation dominant-dominé où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre
et à lui faire perdre son identité, et les effets de cette conduite sur
l’intégrité à la fois physique et psychique de la salariée.» -
l’avenir professionnel compromis: si l’on entend cette phrase au sens large, il s’agira non seulement
de la perte d’une chance de parvenir à une qualification supérieure ou du
risque de devoir quitter l’entreprise mais également du fait que le
découragement, la démobilisation, les conséquences sur la santé liés au
harcèlement dont le salarié fait l’objet pourront également être très
préjudiciables à son évolution de carrière. Un travail de recherche mené entre 1999 et 2001 au
Centre de Pathologie Professionnelle de Garches sur le devenir des patients
victimes de harcèlement moral au travail[37]
montre que près de la moitié des 99 patients (répondant aux critères de
harcèlement moral) ayant participé à l’enquête sont au chômage en juin 2002. En résumé, toute la difficulté sera de démontrer
devant les juges que le salarié a subi des agissements non indispensables à la
bonne exécution du travail[38]. Or, la démonstration de tels agissements s’avère
extrêmement délicate, car le harcèlement se met en place par un processus
insidieux, se développant dans le temps et dans la plupart des cas, les
collègues ne sont guère disposés à témoigner, craignant, à juste titre, d’avoir
à en subir les conséquences. L’examen de plusieurs décisions prud’homales récentes[39]
montre des conseillers réticents à admettre le harcèlement moral sur la
foi de simples allégations : « on ne constate pas, chez les
conseillers prud’homaux, une énorme différence entre l’approche du harcèlement
moral telle qu’elle se faisait jour en 2001 et celle qui se pratique en
2002 ». 1.6.3 De
la difficulté d’apporter des preuves... Face à la difficulté d’apporter la preuve
d’agissements répétés de harcèlement, nous proposons de recenser, à partir de
la liste des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen, ceux d’entre eux
qui peuvent être considérés comme des critères objectifs de harcèlement moral
au regard de la loi et pour lesquels des preuves pourront éventuellement être
apportées. Ce travail a été réalisé en collaboration avec Maître
Coroller-Becquet, avocat à Quimper et par ailleurs membre de l’association Mots
pour Maux au Travail. Il est présenté dans son intégralité en annexes, pages 11
à 16. Maître Coroller-Becquet précise que globalement, aucun
des agissements cités, s’il est envisagé indépendamment du contexte de travail,
ne pourra apporter la preuve d’un harcèlement : la présence d’un agissement, même répété, n’a en soi aucune
signification et il semble dangereux de s’en remettre uniquement aux résultats
d’un questionnaire de ce type pour décider de la présence ou non d’une
situation de harcèlement. Pour
chacune des situations énoncées ci-dessus, diriez-vous en cas de procès que la
preuve d’un harcèlement moral serait retenue ? Tout à fait d’accord : 5 Plutôt d’accord : 4 Ne sait pas : [40] 3 Pas d’accord : 2 Pas du tout d’accord : 1 A1 : On
retire à la victime son autonomie 1 A2 : On
ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche 1 A3 : On
conteste systématiquement toutes ses décisions 1 A4 : On
critique son travail injustement ou exagérément 1 A5 : On
lui retire l'accès aux outils de travail ( téléphone, fax, ordinateur...) 4 A6 :On
lui retire le travail qui normalement lui incombe 4 A7 : On lui donne en permanence des tâches nouvelles 3 A8 : On lui attribue volontairement et
systématiquement des tâches inférieures à ses compétences 4 A9 : On fait pression sur elle pour qu'elle ne fasse
pas valoir ses droits ( congés, horaires, primes) 3 A10 : On fait en sorte qu'elle n'obtienne pas de
promotion 3 A11 : On lui attribue contre son gré des travaux
dangereux 4 A12 : On lui attribue des tâches incompatibles avec
sa santé 4 A13 : On occasionne des dégâts à son poste de travail 4 A14 : On lui donne délibérément des consignes
impossibles à exécuter 3 A15 : On ne tient pas compte des avis médicaux
formulés par le médecin du travail 4 A16 : On la pousse à la faute 4 B1 : On interrompt sans cesse la victime 3 B2 : Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne
lui parlent plus 4 B3 : On communique avec elle uniquement par écrit 3 B4 : On refuse tout contact même visuel avec elle 3 B5 : On l'installe à l'écart des autres 4 B6 : On ignore sa présence en s'adressant
exclusivement aux autres 3 B7 : On interdit à ses collègues de lui parler 4 B8 : On ne la laisse plus parler aux autres 3 B9 : La direction refuse toute demande d'entretien 3 C1 : On utilise des propos méprisants pour la
qualifier 4 C2 : On utilise envers elle des gestes de mépris ( soupirs,
regards méprisants, haussements d'épaules 3 C3 : On la discrédite auprès des collègues, des
supérieurs ou des subordonnés 4 C4 : On fait courir des rumeurs à son sujet 4 C5 : On lui attribue des problèmes psychologiques (
on dit que c'est une malade mentale) 4 C6 : On se moque de ses handicaps ou de son physique;
on l'imite ou on la caricature 4 C7 : On critique sa vie privée 3 C8 : On se moque de ses origines ou de sa nationalité 4 C9 : On s'attaque à ses croyances religieuses ou à
ses convictions politiques 3 C10 : On lui attribue des tâches humiliantes 4 C11 : On l'injurie avec des termes obscènes ou
dégradants 4 D1 : On menace la victime de violences physiques 3 D2 : On l'agresse physiquement, même légèrement, on
la bouscule, on lui claque la porte au nez 3 D3 : On hurle contre elle 3 D4 : On envahit sa vie privée par des coups de
téléphone ou des lettres 3 D5 : On la suit dans la rue, on la guette devant son
domicile 3 D6 : On occasionne des dégâts à son véhicule 3 D7 : On la harcèle ou on l'agresse sexuellement (
gestes ou propos) 3 D8 : On ne tient pas compte de ses problèmes de santé 4 Figure 1 : recensement des critères objectifs
de harcèlement moral au regard de la loi (d’après la
classification des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen) L’analyse de ce recensement d’agissements et des
commentaires présentés en annexes tend à
prouver qu’un nombre important d’entre eux fait appel à des notions
subjectives, de l’ordre du ressenti, et
dont la preuve sera extrêmement difficile à apporter. Il apparaît également que si nombre d’entre eux
peuvent être constatés par l’inspecteur du travail[41],
les faits montrent que, bien souvent, les personnes harcelées n’ont plus la
capacité de juger ce qui est digne et ce qui ne l’est pas et ne se défendent
pas. Les enquêtes tendent en effet à prouver que de nombreuses personnes
réellement harcelées n’en sont pas conscientes. L’une d’elles, menée récemment
auprès de 3220 salariés suisses[42],
indique que parmi les 243 personnes répondant aux critères de mobbing selon
Leymann, seules 31,3 % d’entre elles s’estiment harcelées. Marie Pezé, experte spécialisée dans le domaine du harcèlement moral au
travail, affirme également : « Il n’y a pas véritablement de prise de
conscience : les personnes ne se rendent pas compte de ce qui leur
arrive ; elles n’ont pas de recul par rapport à cette situation d’attaques
répétées liées au geste de travail. On pourrait presque dire que si les
personnes en ont conscience, c’est qu’elles ne sont pas véritablement
harcelées, même si depuis la médiatisation du harcèlement moral, la prise de
conscience a été un peu facilitée. »[43] Dans cette perspective de constatation par un huissier
ou l’inspection du travail, d’autres écueils apparaissent : ainsi,
faudra-t-il encore prouver que les agissements constatés ont bien un caractère
répétitif ; d’autre part, leur venue dans l’entreprise, à la demande du
salarié, risque fort d’envenimer la situation, d’entraîner une recrudescence du
harcèlement de façon encore plus insidieuse, voire d’empêcher toute poursuite
du contrat de travail. D’autres types d’agissements peuvent être objectivés
lors d’enquêtes[44]
réalisées suite à un dépôt de plainte.
Il se peut alors que « les langues se délient » et que le collectif
de travail témoigne d’agissements, de comportements qu’il avait tus jusqu’à
présent. Enfin, la preuve de certaines pratiques en rapport
avec les conditions de travail est plus facile à apporter dans les entreprises
où les procédures ont été définies de
façon précise suite à la mise en place d’une démarche qualité, ce qui ne
concerne encore qu’une faible proportion d’entreprises. En conclusion,
non seulement les agissements caractérisant le harcèlement moral font pour la
plupart appel à des notions subjectives de l’ordre du ressenti, mais de plus,
ils peuvent se retrouver dans d’autres types de souffrance au travail ne
relevant pas de situations de harcèlement, et que nous allons recenser dans le
chapitre suivant. 1.7 diagnostic
differentiel: discerner ce qui releve du harcelement moral et ce qui n’en
releve pas Un rapport très récent du
Secrétariat à l’Economie Suisse[45]
révèle que sur un échantillon représentatif de la population active occupée de
Suisse de 4319 personnes, 4,4 % des personnes interrogées par téléphone se
déclaraient victimes de mobbing. Il leur était alors proposé de remplir un
questionnaire (version révisée du LIPT[46]).
A l’issue de l’analyse des questionnaires, plus de la moitié des personnes (2,4
%) ne répondaient pas aux critères de la définition du mobbing. Toutes les
personnes se sentant harcelées ne le sont pas pour autant...Bien souvent, ces
personnes sont victimes d’autres types de souffrance au travail que nous allons
recenser dans ce chapitre. Faute de ce discernement, ce qui est éprouvé
subjectivement ou toute insuffisance au travail risquerait d’être
automatiquement rapporté au harcèlement moral en portant forcément préjudice
aux véritables victimes qui risqueraient de ne plus être entendues. 1.7.1 Le stress Le stress est le
phénomène le plus souvent confondu avec le harcèlement moral. Une responsable
d’un service formation, sans cesse interrompue dans sa tâche d’élaboration de
dossiers par des appels téléphoniques, des visites impromptues me
déclarait : « je suis victime de harcèlement ». Harcelée,
peut-être, mais sans doute pas victime de harcèlement moral... Le terme de stress
a été introduit par Hans Selye, médecin endocrinologue canadien. Pour lui, il
s’agit d’une « réponse non spécifique que donne le corps à toute demande
qui lui est faite » [47]. Il est à l’origine
du concept de Syndrome Général d’Adaptation : face à un stimulus,
l’organisme réagit en trois phases qui sont la réaction d’alarme, la phase
de résistance et la phase d’épuisement. Dans sa conception actuelle, le stress est
un processus qui implique l’interaction entre un stressor (événement
déclenchant) et un organisme produisant un effet (physiologique ou
pathologique). Les recherches ont
évolué vers une analyse toujours plus précise des corrélations qui existent
entre trois sortes de variables qui concernent : 1)
l’événement ou la situation : ses caractères, ses
qualités et notamment sa durée, son intensité. 2)
l’individu : l’âge, la fatigue, la maladie, mais
également la vulnérabilité, la réactivité, les facteurs de contexte :
génétiques, biographiques (sensibilisation), sociaux, familiaux (histoire
familiale), neurocognitifs et intellectuels, psychophysiologiques,
psychopathologiques et de personnalité et la façon de faire face à l’événement
(coping). Dans son ouvrage, Stress,
pathologies et immunités, J.M Thurin
précise que chaque événement ou situation est interprété en fonction de ce
qu’il signifie pour la personne. Ce qui concerne le
sentiment d’existence et de dignité (sentiment mis à mal dans les situations de
harcèlement moral avéré) a un impact plus important qu’un événement lié à une
catastrophe naturelle par exemple. Il faut également
souligner l’importance de l’état de la personne au moment où se produit l’événement
(dépressif, d’épuisement...) qui peut conduire à ressentir tout ce qui se passe
comme une agression.[48] 3)
les caractéristiques de l’environnement social : il
peut, pour toutes sortes de raisons être plus ou moins présent. C’est un
élément pratiquement aussi important que les deux précédents[49].
L’interaction de
ces multiples facteurs va être susceptible d’entraîner des répercussions
psychologiques et somatiques. Concernant le domaine
spécifique du stress au travail, d’après l’Agence Européenne pour la Sécurité
et la Santé au Travail, le stress « survient lorsqu’il y a déséquilibre
entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son
environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire
face ».[50] Hormis la partie française
des enquêtes européennes, il n’existe pas d’études françaises nationales
spécifiques sur le stress au travail. Ainsi, d’après la troisième enquête sur
les conditions de travail, 28 % des travailleurs évoquent des problèmes de
stress (ils étaient 25 % lors de la précédente enquête en 1995). La France fait
désormais partie du groupe des 6 pays les plus touchés par le stress au
travail. Si les facteurs
personnels jouent un rôle fondamental, le stress ne peut s’y réduire : il
dépend bien souvent des conditions de travail.[51]
Il constitue ainsi un
véritable processus psychologique complexe, susceptible d’avoir, à plus ou
moins long terme, des incidences sur la santé dont il convient d’étudier les
origines. Philippe Davezies,
enseignant-chercheur spécialiste des relations entre organisation au travail et
santé explique l’augmentation du stress par plusieurs facteurs : 1)
une accentuation
générale de la pression au travail due à la montée en puissance des
exigences financières et à l’ajustement au plus près de la demande du client. 2)
une évolution de
l’organisation du travail (absence de prévisibilité, contrôles de la
performance effectués sur des critères de plus en plus abstraits,
rigidification des contrôles, fonctions de gestion décontextualisées :
hiérarchies non issues du métier...) se traduisant par une perte du pouvoir
d’agir.[52] 3)
une individualisation
des relations de travail Le modèle
« demande psychologique/latitude décisionnelle » de Karasek,
aujourd’hui dominant dans la littérature internationale, propose une
explication du stress au travail en croisant deux types de facteurs de
stress : -
la demande psychologique, associée aux contraintes liées à
l’exécution de la tâche (quantité, complexité, contraintes de temps, etc.) -
la latitude décisionnelle qui recouvre d’une part le contrôle
que l’on a sur son travail et d’autre part l’utilisation de ses compétences. DEMANDE PSYCHOLOGIQUE Faible Elevée Faible Elevée 2="Travail passif" 4="Travail surchargé" 1="Travail détendu" 3="Travail dynamique" Tableau
2 : modèle de Karasek La situation exposant le plus
au stress est celle qui combine à la fois une demande psychologique élevée et
une faible latitude décisionnelle (situation n° 4). Par la suite, une troisième dimension a été introduite dans
le modèle de Karasek. Il s'agit du soutien social au travail , qui module
le déséquilibre [demande psychologique/latitude décisionnelle] : une situation
combinant une demande psychologique élevée et une faible latitude décisionnelle
(situation n°4) est mieux supportée si la personne est soutenue par son
entourage professionnel. En conclusion, une
situation de pression, d’intensification du travail n’est pas en elle-même
génératrice de stress ; c’est la perte du pouvoir d’agir et le sentiment
d’isolement qui y sont associés. Philippe Davezies
souligne par ailleurs que «dans l’entreprise, le mot ’stress’ est
particulièrement commode pour exprimer de façon synthétique les difficultés, la
souffrance au travail et ses conséquences en matière de santé. Il est, dans
cette fonction, relativement interchangeable avec une série d’autres
expressions telles que surcharge, surmenage, intensification, harcèlement,
souffrance... »[53].
Cette assertion est
corroborée par l’enquête de C. Mancel et Y. Montoya [54] :
si 88 % des 186 institutionnels interrogés (médecins, inspecteurs et
contrôleurs du travail) pensent qu’il existe une différence entre le
harcèlement moral et le stress, à peine plus de la moitié des 1016 salariés
interrogés ( 56 %) pensent qu’il n’y a pas de différence entre les deux... Nous pensons
néanmoins qu’il est nécessaire d’opérer une distinction entre le stress lié aux
contraintes organisationnelles de l’entreprise (délais déraisonnables, charges
de travail ingérables, mauvaise organisation, etc...) qui n’est pas sous-tendu
par une volonté de nuire, et le stress engendré par les atteintes contre la
personne en tant que telle, les injonctions paradoxales, la répétition d’actes
malveillants caractéristiques du harcèlement moral. C’est donc avec cette
catégorie de stress (stress lié à des contraintes organisationnelles
défavorables, ne visant pas une personne de manière ciblée et prolongée) qu’il
convient de comparer les situations de harcèlement moral. Dans un souci de
clarté, nous utiliserons une présentation sous forme de tableaux comparatifs.
Ces tableaux peuvent servir de repères en ayant conscience que nous sommes
parfois face à des situations limites, moins caricaturales que ce qui est
présenté... STRESS HARCELEMENT MORAL L’agression porte sur les
conditions de travail (surcharge de travail, mauvaise organisation etc..) Pas de lien entre les
impératifs de travail et le stress imposé. Pas de malveillance, d’attaque
à la personne, de volonté de nuire. Volonté de nuire
personnellement au salarié. Augmentation de la charge de
travail Augmentation, diminution ou
changement dans la charge de travail Repos réparateur. Atteintes physiques et
psychiques durables. But : amener le salarié à
produire plus But : mettre le salarié
en difficulté, le pousser à la faute, l’amener à douter de lui, le détruire. Il conviendrait, pour conclure ce chapitre de signaler que les
contextes de travail stressants tels que définis pour notre comparaison, s’ils
ne relèvent pas du harcèlement moral, peuvent néanmoins constituer un terrain
favorable à sa mise en place. En effet, le stress pouvant
être lié à l’émergence de nombreux problèmes de santé mentale, certains
salariés risquent de se trouver dans une position de fragilité favorable au
développement de harcèlement. Il peut également avoir un impact sur les conditions de travail affectant
la collaboration entre les employés. Enfin, dans de telles situations, les salariés et leurs supérieurs ont
moins de temps pour aborder les situations conflictuelles de manière
constructive... 1.7.2 Les agressions ponctuelles La différence avec le harcèlement moral est qu’il se caractérise
précisément par la répétition. C’est la répétition et la systématisation des comportements, des propos
qui détruisent la personne visée. Il faut cependant noter qu’il peut arriver qu’à l’occasion d’une
agression ponctuelle particulièrement violente et injustifiée, le salarié
prenne conscience de phénomènes d’humiliation, de rejet, dont il était victime
depuis plusieurs années. AGRESSION
PONCTUELLE Acte
isolé Constitué de
multiples agressions Souvent, pas
de notion de préméditation ; caractère impulsif de l’agression Système
élaboré, prémédité. 1.7.3 Le conflit Le conflit est une autre confusion relativement fréquente
avec le harcèlement moral. Sur ce point, les opinions de Marie-France Hirigoyen et
d’Heinz Leymann divergent : alors que Marie-France Hirigoyen pense que le
harcèlement naît de situations pour lesquelles aucun conflit n’a vu le jour[55],
Heinz Leymann pense en revanche que lorsqu’un conflit n’est pas résolu, que
personne n’intervient pour y mettre fin, il peut être à l’origine de mobbing[56].
Il précise néanmoins que seul un petit nombre de conflits dégénère en mobbing. La différence essentielle entre ces deux situations est que dans un
conflit, les reproches sont nommés alors que dans une situation de harcèlement,
tout est dans le non dit, les propos paradoxaux,
incompréhensibles. « Dans le harcèlement moral, ce qui pose problème
n’est pas apparent ; l’agresseur refuse toujours le dialogue »[57] Théoriquement, dans un conflit, on reconnaît l’autre comme
interlocuteur ; les deux parties peuvent s’exprimer, contribuant ainsi, en
principe, à l’évolution de la situation. C’est cette relation symétrique qui est inexistante dans les cas de
harcèlement : « on est alors dans le cadre d’une relation
dominant-dominé où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre, à lui
faire perdre son identité »[58]. CONFLIT HARCELEMENT
MORAL Relation
symétrique, les deux parties ont la possibilité de réagir La
victime est dans l’impossibilité de réagir Reproches
nommés Tout
est dans le non-dit, les propos paradoxaux, incompréhensibles. Peut
être une source de renouvellement, de réorganisation, de mise à plat des
problèmes. Situation
non évolutive. 1.7.4 Les contraintes
professionnelles, les obligations normales du travail Certaines personnes, parce qu’on leur demande
de faire leur travail, d’arriver à l’heure, ou encore à la suite d’un rappel à
l’ordre ou d’un entretien d’évaluation... peuvent ressentir un sentiment
d’injustice et se sentir harcelées. Or, les contraintes sont la plupart du temps
prévues dans le contrat de travail, dans le règlement intérieur ou la
convention collective et sont donc clairement établies. De plus, elles sont
inhérentes au bon fonctionnement du poste pour lequel la personne a été
embauchée et sont donc légitimes. Cette confusion peut se rencontrer dans le
cas de personnes dont on n’a pas clairement et précisément défini les tâches et
les fonctions. OBLIGATIONS
NORMALES DU TRAVAIL HARCELEMENT
MORAL La
finalité d’une décision ou d’un agissement est d’exécuter de bonne foi le
contrat de travail La
finalité d’une décision ou d’un agissement n’a pas de rapport avec l’intérêt
de l’entreprise. Pas d’intention
de nuire. Intention
de nuire personnellement. 1.7.5 La maltraitance
manageriale C’est le cas de certains dirigeants caractériels qui adoptent un style de
gestion du personnel autoritaire, violent et irrespectueux. Ce type de comportement, souvent très caricatural, est repérable par tous
(y compris par les délégués du personnel), alors que les procédés du
harcèlement moral sont occultes. De plus, tous les salariés sont indifféremment maltraités, ce qui laisse
entrevoir des issues possibles (action collective). On ne retrouve pas la
dimension de l’isolement, très caractéristique des situations de harcèlement
moral ; les victimes finissent par se sentir responsables de ce qui se
passe : elles doutent d’elles-mêmes et éprouvent un sentiment de
culpabilité. Dans les cas de maltraitance manageriale, les personnes impliquées
ont les moyens de repérer où sont les limites de leurs responsabilités et où
commencent celles de leur manager. A ce propos, Marie-France Hirigoyen déclarait lors d’une conférence
donnée à Quimper : « Ce qui me paraît extrêmement important, en
terme de santé des personnes, c’est de savoir qu’on est beaucoup plus atteint
lorsqu’on pense que l’on est responsable de ce qui ne va pas ou que l’on a des
doutes sur soi-même. Dans les cas de maltraitance manageriale, quand on sait
que c’est « l’autre » qui pose problème, on va finalement beaucoup
mieux »[59]. Néanmoins, ces situations sont, comme dans le cas du
stress, un terrain favorable à l’émergence de harcèlement moral : il se
peut que le responsable, tout en adoptant un comportement tyrannique à l’égard
de l’ensemble des salariés, vise les faiblesses de chaque personne ou qu’il
adopte une stratégie visant à monter les salariés les uns contre les autres,
essayant de casser les alliances pour garder un peu plus de pouvoir. La
frontière entre maltraitance manageriale et harcèlement moral est donc parfois
floue. MALTRAITANCE
MANAGERIALE HARCELEMENT
MORAL L’ensemble
du groupe est visé Une personne
est spécifiquement visée Comportement
repérable par tous Agissements
occultes Le
salarié ne doute pas de lui-même, de sa propre santé mentale Le salarié
doute de lui-même et se sent coupable Possibilité
d’une réaction de groupe Salarié isolé. En
général, atteintes physiques et psychiques réversibles Atteintes
physiques et psychiques durables 1.7.6 Les mauvaises
conditions de travail Une surcharge de travail, des mauvaises conditions de travail ( matériel
inadapté, manque de confort, etc...), ne relèvent du harcèlement moral que si elles
ont un caractère humiliant spécifiquement dirigé vers une personne du groupe. MAUVAISES CONDITIONS DE
TRAVAIL HARCELEMENT MORAL En général, tout le groupe de
travail est concerné Une seule personne est visée Pas de volonté de nuire Volonté manifeste, consciente
ou inconsciente, de nuire 1.7.7 Les troubles de
la personnalité (personnalité paranoïaque, borderline...) Une personnalité est pathologique quand « un profil caractériel est
statistiquement rare et que les attitudes et le comportement sont une cause de
souffrance pour le sujet lui-même et pour son entourage ».[60] La notion de la souffrance paraît essentielle : en effet, ces
sujets, comme tout un chacun, doivent faire face à des conflits, mais ils ne
peuvent s’y adapter, ce qui complique les relations à l’autre, notamment en
milieu de travail. On assiste généralement à une répétition d’échecs
relationnels rendant ces personnes vulnérables à toutes les épreuves de
l’existence. La médiatisation du
harcèlement moral a parfois entraîné, pour ces personnes, un rattachement de
leur souffrance à ce concept. Philippe Davezies analyse ce phénomène de façon
très juste : «l’expression de la souffrance apparaît donc tributaire des formes
langagières socialement légitimées à un moment donné »[61]. Cependant, l’existence de tels troubles n’exclut pas, à priori, la mise
en place de harcèlement psychologique. En revanche, elle en complique
l’analyse. Il paraît donc important de ne pas analyser trop vite les situations
comme étant le fait de harcèlement moral en risquant de passer à côté de la
véritable cause de souffrance. On peut légitimement se poser la question de la
fiabilité des diagnostics de harcèlement moral actuellement réalisés pour les
enquêtes sur la base de questionnaires de type LIPT[62]. consequences sur la sante : espt ou symptomes d’apparentant à ceux d’un
espt ? 2.1. Introduction En matière de diagnostic d’ESPT, le DSM-IV
tient lieu d’autorité quasi-absolue. Or, le concept d’ESPT a évolué à travers
de nombreuses dénominations et de nombreuses étapes ; afin de comprendre
l’inadéquation des critères du DSM-IV à certaines situations, un bref résumé de
l’histoire de ce syndrome se révèle utile. 2.2.
Qu’est-ce qu’un espt ? 2.2.1. Une brève
histoire du diagnostic d’ESPT Il est important de bien comprendre
l’histoire de l’ESPT, car les psychiatres, les avocats et les juges doivent
connaître sa nature évolutive. L’expérience clinique précède et contredit
souvent le manuel et elle sert de base aux modifications que l’on apporte à ce
dernier. L’ESPT n’est pas un nouveau
syndrome : des symptômes semblables à ceux du DSM-IV ont été décrits
depuis l’antiquité et il existe une documentation claire dans la littérature
médicale historique à ce sujet.[63]Il
n’est que la dénomination récente d’un ensemble de symptômes particulièrement
observés et étudiés sous différents vocables, depuis un siècle. Ainsi, en 1989, Oppenheim créa le terme de
« névrose traumatique » afin de désigner la symptomatologie présentée
par des accidentés de chemin de fer. A la même époque, Charcot remarque des
symptômes similaires chez ses patients de la Salpetrière et se consacre, ainsi
que Freux et Janet, à l’étude de cette « névrose hystérique ».[64] Par la suite, la Seconde Guerre Mondiale,
celles de Corée et du Vietnam ont provoqué un regain d’intérêt pour la
pathologie traumatique. Les séquelles psychologiques graves démontrées par les
vétérans ont entraîné de nombreuses études épidémiologiques rigoureuses et
fiables qui ont abouti à une description précise de l’ESPT et son intégration
nosologique au sein du DSM[65]
en 1980 et de la CIM[66]
en 1992. L’ESPT diffère de la
plupart des autres catégories diagnostiques car il inclut dans ses critères la
cause présumée du traumatisme (critère A1). La définition du critère
A1 trouve son origine dans des expériences de guerre ; elle s’est ensuite
élargie aux catastrophes, aux abus sexuels, aux agressions et à la maltraitance
et induit toujours l’idée qu’il s’agit d’évènements exceptionnels. Cependant, le concept
d’ESPT évolue toujours : différentes études récentes[67]
attirent l’attention sur le fait que de nombreux évènements de vie au cours
desquels le sujet n’a pas vu sa vie ou son intégrité physique (ou celle
d’autrui) menacée (critère A1 du DSM-IV) peuvent être à l’origine du
développement d’un ESPT, telle l’accumulation de facteurs de stress discontinus[68]. Par ailleurs, la présence
d’un ESPT est associée à un certain nombre de désordres biologiques dont
l’étude est l’objet de travaux de recherche récents[69]. 2.2.2. Critères de diagnostic pour un ESPT Même si les critères du
DSM-IV sont aujourd’hui largement critiqués en raison de leur caractère
réducteur, généralement, ils constituent un terrain d’entente et une référence
en matière de recherche. Nous allons donc préciser ces critères : DSM IV (1994) Critères diagnostiques du F43.1 Trouble Etat de Stress
post-traumatique §
critere
a : le sujet a été exposé à un évènement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents : -
1 : le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à
un événement ou à des évènements durant lesquels des individus ont pu mourir
ou être très gravement blessés ou
bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou
celle d’autrui a pu être menacée. -
2 : la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur[70]. §
critère
b : l’événement traumatique est constamment revécu de l’une (ou de
plusieurs) des façons suivantes : - 1 : souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées, ou des
perceptions.[71] -
2 : rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse.[72] -
3 : impression ou agissements soudains « comme
si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des
illusions, des hallucinations et des épisodes dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au
cours d’une intoxication).[73] -
4 : sentiment intense de détresse psychique
lors de l’exposition à des indices
internes ou externes évoquant ou ressemblant à un des aspects de l’événement
traumatique en cause. -
5 : réactivité physiologique lors de l’exposition
à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de
l’événement traumatique en cause. §
critère
c : Evitement persistant
des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité
générale (ne préexistant pas au
traumatisme), comme en témoigne la présence d’au
moins trois des manifestations suivantes : - 1 : efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associées au
traumatisme. -
2 : efforts pour éviter les activités, les endroits
ou les gens qui éveillent des
souvenirs du traumatisme. -
3 : incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme. -
4 : réduction nette de l’intérêt pour des
activités importantes ou bien
réduction de la participation à des mêmes activités. -
5 : sentiment de détachement d’autrui, ou bien de devenir étranger par rapport aux autres. -
6 : restriction des affects[74]. -
7 : sentiment d’avenir bouché[75]. §
critère
D : présence de symptômes persistants traduisant une
activation neuro-végétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en
témoigne la présence d’au moins deux des
manifestations suivantes : -
1 : difficultés d’endormissement ou sommeil
interrompu. -
2 :
irritabilité ou accès de colère -
3 : difficultés de concentration -
4 : hyper vigilance -
5 : réaction de sursaut exagérée §
critère
E : la perturbation (symptômes des critères B, C et D)
dure plus d’un mois. §
critère
F : la perturbation entraîne une souffrance
cliniquement significative ou une altération
du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. Spécifier si aigu : la durée des symptômes est de moins de 3 mois ou chronique : elle est de 3 mois ou plus. Spécifier si survenue différée : le début des symptômes survient au moins 6
mois après le facteur de stress. 2.2.3. Evaluation de
l’ESPT L’évaluation
psychométrique permet aux professionnels d’adopter un langage commun dans le
cadre de la recherche clinique. C’est dans cette perspective que nous nous
situerons, en gardant à l’esprit le caractère subjectif du ressenti émotionnel
lié à l’événement traumatisant : au-delà du seul événement, le
développement des troubles décrits dans le DSM-IV s’inscrit dans un contexte
pré, péri et post-traumatique qu’il conviendra d’étudier dans une perspective
thérapeutique. Il existe principalement
deux types d’outils d’évaluation : - les outils d’auto-évaluation
(questionnaires, inventaires), très structurés : le patient répond aux
questions proposées à l’aide d’une grille de réponses possibles sans espace de
liberté possible. - les outils
d’hétéro-évaluation (échelles, entretiens semi- structurés ou structurés)
utilisés par des cliniciens qui interrogent les patients. Les résultats
obtenus à l’aide de ces deux types d’outils sont assez proches[76]. Dans le cadre des
enquêtes réalisées sur la corrélation entre harcèlement moral et ESPT que nous
recenserons dans le chapitre suivant, les principaux outils utilisés en France
sont des outils d’auto-évaluation : -
l’IES-R[77]
(Impact of Event Scale-Revised) construit Weiss et coll.(1997) pour lequel
il existe une version française validée[78].
Cet outil permet, en 22 items, de recenser et de mesurer la sévérité des
symptômes post-traumatiques. Un score supérieur ou égal à 36 suggère la présence d’un trouble de stress
post-traumatique. -
Le PTSD I (PTSD
interview) construit par Watson et coll. (1991) a été traduit en français[79]
et adapté en auto-questionnaire par Jehel [80]
(QSPT 1999). Il permet une mesure dimensionnelle de l’ESPT par un score de
sévérité des symptômes selon les critères du DSM-IIIR. Ces critères peuvent
donc être observés et décrits dans une population, même en l’absence d’ESPT
complet, dans le cas où tous les critères ne sont pas réunis. Outre la mesure
dimensionnelle et catégorielle, il précise si l’ESPT est actuel ou passé. Le cut-off étant compris entre 3 et 4 pour chacun des 17 items,
le score seuil pathologique peut être fixé à 51 ou 68. 2.2.4. Evolution de
l’ESPT Il est précisé dans le
DSM-IV que les symptômes et l’importance relative de la reviviscence, de l’évitement
et des symptômes d’hyperéveil peuvent varier dans le temps. Leur durée est variable
avec une guérison complète survenant en trois mois dans environ la moitié des
cas alors que de nombreux autres sujets ont des symptômes qui persistent plus
de 12 mois après le traumatisme. Les études de Kessler
indiquent que 9 mois après la survenue de l’événement traumatisant, 42 % des
individus présentent encore un ESPT et que ces troubles persisteront durant des
années pour 15 à 25 % des sujets ayant été soumis au traumatisme.[81]. Si le soutien
social, les antécédents familiaux, les expériences durant l’enfance, les
troubles mentaux préexistants et bien sûr, la présence ou non d’un suivi
thérapeutique peuvent influencer le développement de l’ESPT, il est précisé
dans le DSM-IV que ce trouble peut se développer chez des sujets ne présentant
aucun facteur prédisposant, surtout si le facteur de stress a été
particulièrement important. 2.3.
Discussion autour du critère A De nombreux auteurs se
rejoignent pour affirmer que la constitution d’un ESPT est intimement liée à la
perception subjective par l’individu de l’événement traumatisant et ce,
beaucoup plus souvent qu’aux caractéristiques objectives de l’événement. Dans un article sur
l’ESPT dans le cadre du travail[82]
Ravin et Boal affirment que le DSM, à cause de son héritage militaire et lié
aux accidents, ne parvient pas à identifier correctement les problèmes de
travail qui causent pourtant des ESPT dans des proportions épidémiques chez les
travailleurs américains. Les auteurs sont convaincus que l’événement stressor tel que défini par le DSM est fallacieux et qu’il
peut être en fait constitué d’une série d’évènements, aucun d’eux n’étant
bouleversant en soi, mais dont le dernier mènerait à l’éclatement de
l’équilibre psychologique déjà précaire du travailleur, causant ainsi un ESPT. En admettant qu’un
diagnostic d’ESPT ne puisse être donné que si le critère A1 est rempli, Scott
et Tradling[83] ont proposé
un diagnostic supplémentaire : le Prolonged Duress Stress Disorder (PDSD) pour lequel les symptômes de stress résultent
de l’accumulation de petits incidents qui, pris individuellement, ne menacent
pas la vie.[84]. La
symptomatologie et l’évolution du PDSD semblent être la même que celles de
l’ESPT. Il semble que le PDSD
puisse potentiellement naître de n’importe quelle période prolongé de stress
négatifs au cours de laquelle certains facteurs sont présents, et notamment
l’aspect de captivité (l’individu qui vit le traumatisme est incapable
d’échapper à la situation). Ces situations incluent
le harcèlement moral, les abus, les violences conjugales, les carences
affectives précoces, les conflits non résolus, etc.). Ceci étant, malgré
l’existence de preuves empiriques indiquant que les situations que nous venons
de décrire, et notamment le harcèlement, peuvent être traumatisantes, nous ne
savons toujours pas exactement pourquoi. Dans une étude récente, S. Enarsein et M. Mikkelsen, posent
l’hypothèse que l’ESPT faisant suite à des situations de maltraitance au
travail pourrait être du à l’endommagement de certaines idées fondamentales que
les victimes avaient d’elles-mêmes, des autres et du monde. Des exemples de
telles hypothèses sont « je suis une personne compétente », ou encore
« les gens font attention aux autres ». Les auteurs pensent que
ces sentiments, développées dès l’enfance, permettent aux personnes de
fonctionner au quotidien et de les aider à garder une sensation
d’invulnérabilité. Les résultats de leur étude semblent rendre viable
l’hypothèse selon laquelle les symptômes de la victime seraient dus à
l’ébranlement des hypothèses précédemment décrites. D’autres auteurs, comme
Groeblinghoff et Becker[85],
pensent que les personnes exposées à une menace prolongée et persistante au
travail peuvent, suite à une anxiété profonde, sentir que leur vie est menacée
et qu’un malheur peut leur arriver à n’importe quel moment. 2.4.
Harcèlement moral au travail et espt : les enquêtes 2.4.1
Introduction Malgré l’absence du
critère A1 pour effectuer un diagnostic d’ESPT « pur » dans les situations
de harcèlement, Ravin et Boal, en 1989, furent vraisemblablement les premiers
auteurs américains à affirmer qu’il existe une corrélation entre harcèlement au
travail et développement d’un ESPT[86].
En Europe, Heinz Leyman évoquera en 1996 une possible « réaction
post-traumatique » [87]faisant
suite à un harcèlement. Par la suite, dans son premier ouvrage[88],
en 1998, Marie-France Hirigoyen indiquera clairement que certaines victimes
peuvent développer toute une série de symptômes qui se rapprochent de la
définition de l’ESPT du DSM-IV. Les enquêtes dans ce
domaine sont donc très récentes et peu nombreuses. Avant d’interroger les
spécialistes français à ce sujet, nous proposons ci-après un recensement des
travaux de recherche sur ce thème. 2.4.2 Les enquêtes à l’étranger Année Echantillon Sélection Méthode % PTSD parmi les victimes 2000 N
= 1335 Recrutement
par Internet de personnes estimant qu’elles sont victimes de bullying Questionnaire
et réponses via Internet 26 % Tableau 3 :
US. Hostile Workplace Survey 2000[89] Définition du harcèlement retenue : On
entend par bullying une
maltraitance illégitime et répétée d’un employé visé par une ou plusieurs
personnes. Cette maltraitance est caractérisée par des actes négatifs qui
portent atteinte à la santé physique et psychologique de la cible ainsi qu’à sa
sécurité économique. Mode
d’évaluation de l’ESPT: les participants du sondage ont complété une checklist de 35 items sur la santé (un tableau indiquant les
pourcentages rapportés pour les catégories les plus fréquemment rencontrées est
présenté en annexe p 17). Toutes les
catégories de symptômes (critères B, C, D) du DSM-IV ont été inclues dans la check-list. Ont été considérés comme étant en état de stress
post-traumatique les individus qui présentaient les trois symptômes
suivants : - hypervigilance
(sursaute facilement, se tient sur ses gardes, se sent énervé, paranoïa) - pensées
intrusives (cauchemars, flashback,
souvenirs récurrents) - évitement/dissociation
(« engourdissement » des pensées, des sentiments, besoin d’éviter les
lieux traumatisants) Année Echantillon Sélection Méthode % PTSD parmi les victimes 2001 n
= 86 Personnes remplissant les critères de harcèlement du
LIPT et dont la situation répondait à la définition du harcèlement ci-après. Envoi
et retour de questionnaires par la poste 47,5
% Tableau 4 : enquête auprès des travailleurs
affiliés à la CSQ (Centrale
des Syndicats du Québec) [90] Définition du harcèlement retenue :
le harcèlement psychologique au travail peut se
définir comme toute action (geste, parole, comportement, attitude, etc.) qui
porte atteinte, par sa répétition ou sa gravité, à la dignité ou à l'intégrité
d'une travailleuse ou d'un travailleur. Il peut être exercé tant par une ou un collègue de
travail que par un supérieur hiérarchique. Il peut prendre différentes
formes et se traduire notamment par des insultes, des humiliations, des
menaces, du chantage, des accusations parfois ouvertes, parfois exprimées à
demi-mot, des insinuations non fondées, des représailles injustifiées, des
critiques constantes portant plus sur la personnalité que sur le travail
accompli. Mode d’évaluation de l’ESPT :
auto-questionnaires (IES[91]
et PTS-10[92]) Année Echantillon Sélection Méthode % PTSD parmi les victimes 2001 N =118 Auto-sélection
par réponse à des news-letter,
puis sélection des personnes remplissant les critères de harcèlement du NAQ[93]
et dont la situation répondait à la définition du harcèlement indiquée
ci-après. Envoi
et retour de questionnaires par la poste 90
% Tableau
5 : étude sur les symptômes de Stress post-traumatique chez les victimes
de bullying au travail (S. Enarsein, E. Mikkelsen)[94] Définition du harcèlement retenue : le
concept de bullying se réfère à
des situations dans lesquelles, pendant une certaine période, une personne est
exposée à des actes négatifs de façon répétitive (abus verbaux, remarques
offensantes, tournée en dérision, diffamation, exclusion sociale), venant de
ses collègues, de ses chefs ou de ses subordonnés (Enarsein 2000) Mode d’évaluation de l’ESPT :
auto-questionnaire : PDS[95]
dans une version modifiée (suppression des items concernant la nature de l’état
traumatique) Année Echantillon Sélection Méthode %
PTSD parmi les personnes ayant été victimes et n’étant plus exposées à la
situation de harcèlement 2001 N
= 131 Personnes
ayant été victimes de harcèlement recrutées par le biais d’une
enquête téléphonique. Sélection ultérieure suite à des entretiens en face à
face + questionnaires Pour
l’évaluation de l’ESPT : envoi d’auto-questionnaires par la poste 61
% (dans
cette étude, la présence d’un ESPT est non significativement liée aux
variables temporelles : le temps ne guérirait pas les symptômes
occasionnés par le harcèlement...) Tableau
6 : Violences au travail : enquête qualitative en Wallonie et à
Bruxelles[96] Définition du harcèlement retenue : on
appelle harcèlement moral au travail les conduites abusives et répétées de
toute origine, externe ou interne à l’entreprise ou l’institution, qui se
manifestent notamment par des comportements, des paroles, des intimidations,
des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet
de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou
psychique d’un travailleur (ou d’une personne à qui la loi s’applique) lors de
l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un
environnement intimidant, hostile, dégradant ou offensant Mode d’évaluation de l’ESPT :
auto-questionnaire : QE- PTSD[97] 2.4.3. Les enquêtes en France Année Echantillon Sélection Méthode %
PTSD parmi les victimes 2000-
2001 N
= 94 Salariés
accueillis à la consultation « Souffrance et Travail » pour
lesquels un diagnostic de harcèlement a pu être établi à la suite
d’entretiens cliniques prolongés et d’une collaboration entre M. Pezé[98]
et le médecin du travail. Expertises
65
% Tableau
7 : étude quantitative d’une cohorte de 96 patients harcelés (C. de
Gasparo, M. Pezé) Repérage du harcèlement : par l’étude des
mécanismes utilisés pour harceler (techniques relationnelles, d’isolement, de
persécution, d’attaque du geste de travail et punitives) utilisés de façon
répétitive[99]. Les expertises visent à reconstituer le parcours professionnel
du salarié, les évènements importants de sa vie, la chronologie de la
dégradation de la situation de travail, à repérer les techniques de harcèlement
et à identifier une névrose traumatique. Mode d’évaluation de l’ESPT: entretiens
cliniques + recensement des informations concernant les répercutions du
processus de harcèlement sur la santé à l’aide d’une trame.[100] Année Echantillon Sélection Méthode %
PTSD parmi les victimes 1999 à 2001 N
= 84 Salariés
adressés à la consultation pour harcèlement moral par le médecin du travail,
et pour lesquels le diagnostic de harcèlement a pu être confirmé à la suite
d’entretiens cliniques Entretiens cliniques 65
% Tableau
8 : étude rétrospective de patients adressés à la consultation de
pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral[101] Repérage du harcèlement : par l’étude des
mécanismes utilisés pour harceler (techniques relationnelles, d’isolement, de
persécution, d’attaque du geste de travail) utilisés de façon répétitive[102].
Mode d’évaluation du PTSD : entretiens
cliniques et référence à la sémiologie décrite dans le DSM IV. Année Echantillon Sélection Méthode % PTSD parmi les victimes 2001-2002 N
= 168 Salariés
adressés à la consultation pour harcèlement, majoritairement par le médecin
du travail. Confirmation du diagnostic de harcèlement suite à des entretiens
cliniques Entretiens
cliniques + grille d’analyse+ travail en pluridisciplinarité (psychologue,
médecin du travail, sociologue, juriste) 6
% Tableau
9 : rapport d’activité de la consultation « Souffrance et
Travail » de la FNATH Définition du harcèlement retenue :
définitions de la Commission Nationale consultative des Droits de l’Homme. Mode d’évaluation du PTSD : repérage des
symptômes correspondant aux critères diagnostiques B et C du DSM-IV lors des
entretiens cliniques. 2.4.4. Conclusion Nous pouvons donc conclure que les
résultats de ces enquêtes varient de façon très significative, de 6 à 90 %, en
fonction : -
de la définition retenue -
de l’importance de la
cohorte -
des moyens d’évaluation
de l’ESPT (auto-questionnaires validés, grilles spécifiques, évaluation lors
d’entretiens cliniques) -
du mode interrogatoire
(Internet, téléphone, courriers, entretiens) -
des buts de l’enquête
(obtenir simplement des données quantitatives ou effectuer un rapport de
consultations spécialisées dans ce domaine) -
de la durée du
harcèlement Afin d’approfondir notre analyse, nous
avons recueilli les avis de 12 spécialistes. 2.5. Harcelement
moral au travail : recueil de l’avis de spécialistes français Les questions suivantes ont été
posées : Concernant la situation de
harcèlement moral au travail : 1) Comment
définiriez-vous le harcèlement moral au travail ? 2) En se
référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement
moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier
les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ? 3) Quels
types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ? 4) Quels
sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ? 5) Avez-vous
retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral
au travail ? 6) Quelles
sont les conséquences pour la famille ? 7) Quelle
est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes
présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en
comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? 8) Pensez-vous
qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de
travail par exemple) Concernant l’Etat de Stress
Post-Traumatique : 1) Les
victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ? 2) Quelle
est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va
développer un ESPT ? 3) Quels
sont les critères du DSM-IV les plus souvent retrouvés chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau
d’ESPT ? Médecin
psychiatre, psychanalyste. Auteur de deux
ouvrages majeurs dans le domaine du harcèlement moral : Le
harcèlement moral, la violence au quotidien,
Editions Syros, 1998. Le
harcèlement moral dans la vie professionnelle, démêler le vrai du faux, Editions
Syros,2001. Entretien du
12 juin 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? La définition que j’en donne est la suivante : « Le harcèlement moral au travail se définit comme toute conduite
abusive (geste, parole, comportement, attitude...) qui porte atteinte, par sa
répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou
physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le
climat de travail ». C’est une violence à petites touches, qui ne se repère pas, mais qui
est très destructrice. Chaque attaque prise séparément n’est pas vraiment
grave, c’est l’effet cumulatif des microtraumatismes fréquents et répétés qui
constitue l’agression. 2)
En se référant votre liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail, pourriez-vous identifier les
8 agissements les plus fréquemment retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On critique
son travail injustement ou exagérément (A4) On lui donne
délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14) On ignore sa
présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6) On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1) On la
discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3) On lui
attribue des tâches humiliantes (C10) En ce qui concerne la fréquence des agissements,
sans pour autant avancer un chiffre, 1 ou 2 items retrouvés chaque semaine ne
suffisent pas, loin s’en faut, à qualifier une situation de harcèlement moral. 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? La souffrance la plus intense est retrouvée dans les atteintes à la
dignité (car les personnes ne peuvent s’en défendre) et les techniques
d’isolement (qui génèrent un sentiment d’humiliation). La violence verbale ou
physique est plus ouverte et entraîne généralement une souffrance de moindre
intensité 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Les personnes harcelées éprouvent un sentiment
d’humiliation, de dévalorisation associée à une culpabilité (elles ont
l’impression qu’elles ont peut-être mérité cette situation), dont l’intensité
est en rapport avec la personnalité (on retrouve également ce sentiment dans
les situations de viol ; il est dû au fait que les personnes n’ont pas pu
réagir). Les personnes concernées se demandent toujours si « elles n’y
sont pas pour quelque chose », si elles ne sont pas comme il faudrait être
(le fait d’être trop vieux ou d’être une femme par exemple), même si ces
raisons sont sans rapport avec la personnalité. Dans le cas des traumatismes avec événement unique, les attentats par
exemple, cette notion de culpabilité est remplacée par quelque chose de l’ordre
de la fatalité (« pourquoi ai-je pris ce métro-là ? ») car
l’origine du traumatisme vient de l’extérieur. On retrouve également un sentiment d’absurdité (« pourquoi me
harcèle-t-on ? Je fais un bon chiffre, je travaille bien, pourtant...; on
m’empêche de travailler, et en plus, on n’hésite pas à porter préjudice à
l’entreprise ») et d’incohérence. Les personnes ayant subi un attentat éprouvent également ce sentiment
d’absurdité, mais il est à nouveau
lié à un sentiment de fatalité (« je me trouvais là par hasard). Je rajouterais deux autres sentiments éprouvés de façon systématique :
l’injustice et l’impuissance à faire face à la situation. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? Oui, ce sont des personnes généralement hyper-investies dans leur
travail, scrupuleuses, des personnes qui ont déplacé leur identité dans le
travail. Par ailleurs, ces personnes ont souvent de grands
principes et sont peut-être un peu rigides au plan de la morale. En tout état
de cause, utiliser l’autre ne fait pas partie de leurs valeurs. Ce sont
généralement des personnes intègres, droites. Et elles éprouvent d’autant plus de souffrance face aux attaques
perverses dont elles sont l’objet qu’elles sont précisément attachées à leurs
valeurs éthiques. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Vivre une situation de harcèlement moral change
l’équilibre du couple. Il y a certainement un risque de crise conjugale. Ces situations sont encore plus difficiles à
vivre quand c’est le mari qui est victime
(en général, les femmes se
font protéger par leur conjoint). Cependant, il arrive parfois que le soutien du
conjoint s’opère dans un registre fusionnel... En ce qui concerne les relations avec les
enfants, il y a également des difficultés car généralement, la personne
harcelée est devenue irritable, moins patiente, intolérante avec ses
enfants : elle s’énerve pour un rien tout en se rendant compte qu’elle se
comporte de façon injuste avec eux. Par ailleurs, les enfants ont parfois une vision
négative de leur père quand il est victime de harcèlement. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Je pense qu’en cas de harcèlement moral, le soutien social
devient encore plus important. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Je ne pense pas qu’un individu puisse harceler un groupe de travail
car la notion d’isolement n’est pas présente. Cependant, il arrive que
certaines personnes utilisent des procédés visant à monter les personnes les
unes contre les autres, cassant ainsi les alliances possibles, tout en visant
individuellement plusieurs personnes et en s’attaquant précisément à leurs
points faibles respectifs. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Je m’élève contre le rapport effectué entre
harcèlement moral et ESPT pour plusieurs raisons : - le
diagnostic d’ESPT n’est pas toujours évident, il peut être confondu avec
d’autres pathologies. - le
lien avec la situation de travail n’est pas toujours évident non plus. - il
existe des situations de travail qui déstabilisent, mais ne relèvent pas pour
autant de harcèlement moral. Ce sont par exemple des situations de non-respect,
de non-reconnaissance ou d’humiliations qui peuvent réactiver des traumas
anciens. Il faut donc être très prudent avant d’effectuer ce rapprochement. Par ailleurs, le critère A (1) du DSM IV[104]
n’est pas présent dans les situations de harcèlement. Cependant, même si la description des événements
ne correspond pas à celle du harcèlement au cours duquel de multiples
situations sidèrent la personne (humiliations, peur pour son avenir, peur
physique), je pense, que ces deux situations peuvent être considérées comme
équivalentes. En ce qui concerne le critère A (2), le sentiment
d’impuissance est constant, la peur toujours présente, de même que le sentiment
d’horreur (« comment a-t-on pu me faire cela ? ») La grande difficulté est de distinguer le passage de l’état de stress
aigu à celui de stress post-traumatique. Ce passage n’est pas aussi net que
dans les traumas classiques : en cas de harcèlement moral, il y a une
continuité sans scission nette. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? Je ne pourrais le dire. 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
La détresse
psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’évènement (B4) La réactivité
physiologique à un stimulus évocateur de l’évènement (B5) La réduction
d’intérêt pour les activités antérieures (C5) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Les
difficultés de concentration (D3) Commentaires : - critère
C1 (éviter les pensées et les sentiments évocateurs) : il peut parfois
s’agir de fascination. 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Cela dépend des
personnes. La prise de conscience s’effectue désormais plus tôt du fait de la
médiatisation du harcèlement moral. 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? La dépression n’est
pas systématiquement associée à l’ESPT. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau
d’ESPT ? La sévérité, la gravité
et la violence des agissements ainsi que la durée du processus et la proximité
avec l’agresseur sont incontestablement des facteurs de risque importants. Les expériences
négatives de l’enfance sont des éléments de fragilisation : les troubles
seront plus intenses. Par contre, les personnes ayant une bonne confiance en
elles tiennent plus longtemps. Par ailleurs, lorsque
les personnes ont entamé une thérapie ou qu’il existe des solutions
envisageables, elles ont moins de risques de développer un ESPT. Je constate que je vois
de plus en plus d’ESPT, ceci étant probablement du à la conjoncture économique
qui n’est pas favorable à la résolution des situations. Praticien
hospitalier, unité de psychiatrie, Hôtel-Dieu, Paris Entretien du
26 juin 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Tout d’abord, il me semble qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de
plaintes de harcèlement moral au travail, mais qu’en réalité, peu soient
fondées : il s’agit en effet plutôt de situations liées à la maltraitance
au travail (maltraitance managériale en particulier). Pour être certain qu’une
personne est victime de harcèlement moral avéré, il serait idéalement
nécessaire d’effectuer une enquête dans l’entreprise. On peut aussi repérer ce
type de situation par rapport au contexte dans lequel la personne se trouve
(personne mise en inaptitude par la médecine du travail, déclaration en maladie
à caractère professionnel, action prud’homale). En ce qui concerne la définition du harcèlement moral, je peux vous
citer quelques exemples éclairants : Le premier concerne une
personne travaillant comme femme de service dans un établissement
d’enseignement depuis 25 ans. Le lycée ayant décidé de faire désormais appel à
une entreprise de restauration extérieure, cette dame a été poussée à la
démission, vraisemblablement en raison des indemnités élevées qui lui auraient
été dues en cas de licenciement. On lui a donc demandé
d’effectuer des tâches humiliantes, par exemple de ramasser tous les jours les
excréments de chiens sur le trottoir. Quand elle avait terminé, la directrice
lui faisait remarquer « qu’elle était dégueulasse » et « qu’elle
puait ». Cette dame, pourtant très perturbée par sa situation, a
« tenu » pendant 3-4 ans, sans prendre d’arrêt de travail. Puis, son
médecin lui a prescrit des arrêts maladie qui se sont prolongés durant 3 ans.
Elle vient d’être licenciée. Dans le deuxième exemple,
un employé de banque sans problème, marié, avec des enfants, s’est vu un jour
convoqué par son directeur. Ce dernier lui a alors proposé une relation
sexuelle en le menaçant de refuser son crédit immobilier s’il s’y opposait. Le
directeur a fini par abuser de lui. Ce monsieur est donc rentré chez lui
mortifié et a porté plainte dès le lendemain. Le directeur fut retrouvé mort par suicide le surlendemain et l’on
appris qu’il avait violé plusieurs personnes depuis une semaine. Au sein de son agence, cet employé a alors été complètement mis à
l’écart, ignoré, humilié, accusé implicitement d’avoir provoqué le suicide du
directeur. Malgré une demande de mutation, il était toujours dans son agence un
an ½ après les évènements, le directeur ayant émis un avis défavorable.
Cette personne était accusée par l’ensemble du collectif d’avoir jeté
l’opprobre sur l’agence. Il est toujours dans un état de grande souffrance bien qu’il ait enfin
pu être muté. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? Voici les critères que j’ai fréquemment retrouvés
lors des entretiens que j’ai pu avoir avec mes patients victimes de harcèlement
moral : On lui
attribue volontairement et
systématiquement des tâches inférieures à
ses compétences (A8) On la pousse à la faute (A16) On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux
autres (B6) On utilise
envers elle des gestes de mépris (C2) On fait
courir des rumeurs à son sujet (C4) On lui
attribue des problèmes psychologiques (C5) On lui
attribue des tâches humiliantes (C10) J’ai également retrouvé les agissements suivants : On lui retire
le travail qui normalement lui incombe (A6) On fait
pression sur elle pour qu’elle ne fasse pas valoir ses droits (A9) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Les atteintes à la dignité et l’isolement
génèrent une grande souffrance. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? L’humiliation, l’injustice et l’impuissance sont des sentiments
ressentis de façon intense. Certains éprouvent également un sentiment de
culpabilité. Les personnes qui sont harcelées n’arrivent pas à se distancier, à
prendre du recul par rapport à la situation qu’elles vivent au travail. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Les conséquences familiales sont fréquentes, mais
pas forcément les divorces. Au bout de quelques temps, on observe de la part
des familles, soit un sentiment de lassitude, soit une attitude de
surprotection. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Le soutien social est important, bien sûr, mais je ne puis établir de
comparaison avec les personnes victimes d’un trauma unique. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) A mon avis, un individu ne peut harceler un groupe de travail dans son
intégralité ; dans ce cas, il s’agit plutôt de maltraitance. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Je pense que les personnes victimes de
harcèlement moral présentent une dépression chronique d’épuisement d’intensité
sévère avec une composante post-traumatique (cauchemars, flash-backs,
ruminations, angoisse, évitement). Mais on ne peut pas parler d’ESPT. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
- La
réduction d’intérêt pour les activités antérieures (C4) - Le
sentiment de détachement d’autrui (C5) - Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Commentaires : Il
me semble que les rêves répétitifs ne sont pas de même nature que ceux que l’on
observe dans les vrais ESPT. De même, l’hyper vigilance est moins sévère. 4)
Quel est habituellement le délai entre la prise de
conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un
ESPT ? Les troubles psychiques s’installent de façon progressive. 5)
Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? Pour moi, il s’agit d’une dépression. 6)
Dans les situations de harcèlement moral au travail,
avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place
d’un tableau d’ESPT ? Oui, plus le harcèlement durera, plus la probabilité de voir
s’installer des troubles psychiques sera importante. De même, la survenue d’un
autre événement susceptible de provoquer un traumatisme (effet cumulatif) aura
une incidence Psychologue
clinicienne Conseillère en
ressources humaines à la direction de l’hôpital Tenon. Entretien du
26 juin 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Le harcèlement moral est une situation que l'on peut qualifier de
persécutante, provenant souvent d'une stratégie managériale ou construite sur
des conditions de travail dysfonctionnelles. Il me semble, au vu de la définition donnée par la loi, que l’impact
de l’histoire singulière du sujet est plus important que celui des
évènements ; il est donc difficile de systématiser, d’identifier des
éléments déclencheurs de harcèlement moral. A mon sens, le harcèlement moral est une notion trop subjective pour
être incluse dans une démarche juridique. Il y a eu exploitation d’un thème porteur, avec le risque de s’exposer
à de nombreuses dérives. Pour savoir si une personne est réellement victime de harcèlement
moral, une vérification concrète et objective est nécessaire ; la seule
solution serait d’effectuer une enquête au sein de l’entreprise. Je pense qu’il
faut analyser le harcèlement moral sous un angle systémique : même s’il y
a eu effectivement harcèlement, je ne peux jeter l’anathème sur le harceleur
sans avoir étudié les conditions de travail. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On lui retire
le travail qui normalement lui incombe (A6) On ne tient
pas compte des avis médicaux formulés par le médecin du travail (A15) La direction
refuse toute demande d’entretien (B9) On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1) On la
discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3) On lui
attribue des problèmes psychologiques (C5) On lui attribue des tâches humiliantes (C10) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Cela dépend vraiment des personnes. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Systématiquement, un sentiment d’injustice, de
culpabilité et d’impuissance. Puis, selon le degré d’estime que l’on a de soi,
il peut y avoir un sentiment d’humiliation. Les personnes vivent la situation de l’intérieur, donnent prise aux
évènements, et il peut exister également un sentiment d’absurdité, de gâchis. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Je pense qu’un environnement institutionnel à caractère affectif, une
certaine lourdeur hiérarchique peuvent favoriser la mise en place de telles
situations. Dans ce contexte, certaines personnes peuvent éprouver un ressenti de
harcèlement moral : -
les personnalités borderline, que nous rencontrons de plus
en plus souvent, et qui sont sensibles à tout ce qui peut déstabiliser la
situation relationnelle, -
les personnalités narcissiques car leur attente est dans la
reconnaissance et leurs repères sont brouillés ; il leur faut se
construire sur des bases différentes de celles de leur fonctionnement habituel. -
les personnes introverties ayant des stratégies
d’adaptation ne faisant pas forcément appel au support social. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Il y a incontestablement des répercutions sur
l’environnement direct dues à la dépressivité permanente et aux troubles
thymiques. Les personnes victimes de harcèlement peuvent
réagir de deux manières : soit elles se replient sur elles, soit elles en
parlent énormément. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Je pense que l’importance du soutien social est
la même dans les deux cas. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Tout d’abord, le critère A1 n’est pas présent,
puisque dans le cas du harcèlement moral, nous avons plusieurs évènements qui
s’étalent dans la durée. Cela dit, dans le développement de la situation, il se
peut qu’un événement parmi d’autres réveille un trauma antérieur. Je ne sais pas, en matière de harcèlement moral,
ce qui va déclencher les symptômes. Je me pose la question, comme Freud, de l’existence du trauma :
celle des représentations, du fonctionnement imaginaire qui peuvent générer une
situation traumatique. Il faut également tenir compte du seuil de tolérance par rapport à des
évènements bouleversants. En conclusion, pour ma part, je ne parlerais pas de situation
post-traumatique, en tous cas pas dans le sens du DSM IV. J’aurais plutôt
tendance à considérer le harcèlement comme une situation qui aboutit à un
épuisement professionnel. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
Eviter les
pensées et les sentiments évocateurs (C1) Le fait
d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) L’irritabilité
(D2) Les
difficultés de concentration (D3) Les réactions
de sursaut exagérées (D5) Commentaires :
- critère
B1 (souvenirs répétitifs avec détresse) : je pense que le terme de
« détresse » est inapproprié dans le cas du harcèlement : il
s’agit plutôt d’une fragilité, d’une anxiété et d’une vulnérabilité extrêmes,
voire même d’une dépression. Cela étant,
la présence de ces troubles n’est pas systématique, cela dépend des personnes. - critère C1 : (évitement des pensées et sentiments
évocateurs) : c’est un comportement d’ajustement relatif au style de
coping. Ces personnes se sentent très mal, mais leur énergie est mise au
service de la gestion dépressive, ne leur permettant pas, parfois, de mettre en
place des stratégies d’évitement. - critère C3
(incapacité de se souvenir d’un aspect...) : cette incapacité est en lien
avec le refoulement. Ce n’est pas surprenant. - critère C5 (sentiment de détachement d’autrui) :
pour moi, il ne s’agit pas d’un sentiment de détachement : la pensée
entièrement occupée par la situation traumatisante, ne laisse plus place à
l’autre. Il y a une limitation pour les sentiments qui se situent hors de la
sphère du problème, mais ce n’est pas du détachement. - critère C6
(restriction des affects) : bien au contraire, la sphère émotive est au
premier plan. - critère D4
(hypervigilance) : cela dépend à la fois des moments et des personnes. 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Il peut s’écouler
plusieurs années entre le début des agissements et la prise de conscience de la
situation. Mais, une fois que cette dernière a eu lieu, la décompensation
intervient en général dans un délai rapide. Cependant, certaines personnes
savent se protéger longtemps ou rebondir...les personnes qui adoptent des
stratégies actives, qui ont un tempérament plutôt combatif supportent plus
longtemps que d’autres ces situations. 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? On retrouve des éléments dépressifs qui font suite à la situation
d’impasse, d’incapacité à trouver une solution. Les personnes harcelées ont des réactions d’isolement et de repli sur
elles-mêmes. 6) Dans les
situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs
prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ? Les antécédents
familiaux, les expériences de l’enfance et les variables de la personnalité
jouent certainement un rôle très important dans l’apparition, ou non, d’un état
de stress post-traumatique. Psychiatre des
armées Professeur
associé de psychologie pathologique à l’université Paris V Ancien Président
de la section militaire de l’Association mondiale de psychiatrie Fondateur du
réseau de cellules d’urgence médico- psychologique Entretien du
9 juillet 2003 Le médecin Général Crocq étant un spécialiste des
traumas psychiques, et notamment de ceux concernant les guerres, certaines
questions touchant spécifiquement les réactions de victimes de harcèlement
moral au travail, ne lui ont donc pas été posées. Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? C’est soumettre un sujet de manière répétitive, voire sans répit à des
excitations par le biais d’une action à laquelle l’homme participe, pas
forcément volontairement. En cas de harcèlement volontaire, intentionnel, les agressions peuvent
prendre la forme de demandes contradictoires, infaisables et surtout
incessantes, d’humiliations quotidiennes (par exemple dire chaque jour à une
personne « qu’elle est nulle »), visant systématiquement un individu. Etre l’objet de dispositions mal intentionnées, délibérées (comme, par
exemple, ne plus donner de travail à un salarié), ne relève pas du
harcèlement : le harcèlement est une accumulation d’agissements
nuisibles ; l’esprit n’a jamais de répit. Une personne peut être mise « au placard », sans
sollicitations ni agressions incessantes ; si, tout en se rendant compte
que l’on veut lui nuire, elle passe ses journées à ressasser ses problèmes, on
ne peut pas dire qu’elle soit victime de harcèlement moral ; elle se
harcèle elle-même, ou encore, il s’agit d’un harcèlement en négatif, car on la
met sans arrêt dans une situation propre à la désespérer. Surmenage, épuisement et harcèlement moral sont des situations
semblables, la différence étant l’intention, délibérée ou non, de nuire
présente dans le harcèlement. A mon sens, il conviendrait de définir plusieurs formes de
harcèlement au travail: - un harcèlement physique : dans ce cas, la personne est
sans arrêt sollicitée par des travaux physiques d’une intensité très forte. Ce
peut être également le cas dans des environnements de travail très bruyants, où
les employés sont sans cesse dérangés par une lumière agressive, des
vibrations, etc...et un chef mal intentionné peut faire exprès d’affecter un
subordonné soumis à de telles nuisances (le harcèlement physique se double de
l’intention de nuire) - un harcèlement psychique : ici, la personne est
continuellement occupée à des tâches intellectuelles, sans qu’il y ait
nécessairement une intention de nuire. Mais ce peut être aussi le cas d’un
patron qui trouve un malin plaisir à surcharger sa secrétaire de travail pour lui
reprocher son efficience insuffisante. - un harcèlement moral : . soit la personne qui vous harcèle fait continuellement
appel à votre morale, votre sens de la justice. Ce pourrait être le cas d’une
collègue qui se plaindrait continuellement auprès de vous, vous interromprait
sans arrêt dans votre travail pour vous relater des humiliations qu’elle aurait
subies. . soit la
personne qui vous harcèle le fait dans l’intention de vous nuire, de vous
détruire. Dans ce cas, les demandes d’exécution de tâches sont incessantes,
contradictoires ou infaisables. Par ailleurs, il faut également distinguer le harcèlement vertical
(qui vient du dirigeant), horizontal (qui vient d’un collègue) et des
subordonnés (ce peut être le cas d’employés qui vous demandent sans arrêt des
ordres ou des précisions). En conclusion, le harcèlement moral a deux composantes : - l’intention (délibérée ou non) qu’a une personne de nuire à une
autre, - de multiples agissements, exercés sans répit 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On occasionne
des dégâts à son poste de travail (A13) On lui donne
délibérément des consignes impossibles à effectuer (A14) On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux
autres (B6) On se moque
de ses handicaps ou de son physique ; on l’imite ou on la caricature (C6) On lui
attribue des tâches humiliantes (C10) On menace la
victime de violences physiques (D1) On envahit sa vie privée par des coups de téléphone ou des
lettres (D4) Et il faut
bien sûr que ces agissements soient répétés. 3)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Plusieurs personnes peuvent effectivement être harcelées par une
autre : certains « dictateurs » peuvent harceler tous les
salariés, par exemple en leur donnant plus de travail qu’ils ne peuvent en
faire, en vérifiant sans arrêt, en les interrompant incessamment (avez-vous
terminé ceci, ou cela, etc.), de façon intentionnelle ou non. Que ces personnes agissent ainsi en cherchant à faire du mal,
gentiment, ou bien par mépris, ou encore parce qu’ils sont tatillons et
pointilleux, cela relève du harcèlement moral. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Non, car un trauma potentiel est une confrontation
directe, par surprise, inopinée, avec la mort ou avec une menace de mort
physique ou psychique, qui entraîne une effraction des défenses de soi. Par le terme « menace de mort psychique », on entend ce que
la personne ne peut accepter psychiquement (par exemple, pour un pompier, la
vision d’un enfant éventré). On peut dire toutefois que le harcèlement moral peut correspondre à
l’ancienne névrose traumatique, c’est à dire que ses conséquences sont un état
psycho- traumatique postérieur à un stress vécu comme un trauma. Lorsqu’une personne est soumise à une agression ou à une menace, elle
y répond immédiatement par une réaction de stress. On peut vivre cet événement sur le mode d’un stress adaptatif
(l’organisme se met alors en état d’alerte, d’organisation et ultérieurement de
défense). C’est une réaction immédiate (biologique, physiologique et
psychologique) d’alarme, de défense et de mobilisation, face à une agression ou
une menace. Cette réaction est éphémère et non pathologique. Si le stress est trop intense, répété ou prolongé, on se rabat sur un
des quatre modes de stress dépassé (réaction de sidération, d’agitation
désordonnée, de fuite panique ou d’action automatique). Ces réactions de stress dépassé débouchent parfois sur un syndrome
psychotraumatique, transitoire ou durable. Il semble que la surprise, la frayeur, l’impossibilité d’exercer une
maîtrise sur la situation, le désarroi et le vécu de détresse soient des
indices évocateurs d’un vécu traumatique du stress. L’expérience semble montrer
qu’un sujet qui est capable de comprendre la situation ne la subit pas
complètement, tandis qu’un sujet qui ne peut la comprendre la subit passivement
et est submergé par elle.[105] L’installation de ce syndrome psycho- traumatique se fait avec
l’apparition de symptômes qui ne relèvent plus du stress mais du trauma. Je me demande si l’on peut réellement assimiler le harcèlement moral
au trauma ou si ce n’est pas plutôt « quelque chose de l’ordre du
trauma ». En effet, les critères du DSM-IV qui exigent que le sujet ait vu
sa vie menacée sont insuffisants : dans le harcèlement moral, c’est
l’intégrité psychique et non la vie qui est menacée (...). Peut-être la torture
répétée dans le temps est-elle la situation qui se rapproche le plus du
harcèlement. Mais la violence n’est pas la même. Il ne faudrait pas étendre
abusivement le concept de trauma comme certains analystes l’ont fait il y a 50
ans en parlant de traumas en chaîne, de traumas répétitifs et de traumas
silencieux.[106] A mon avis, il y a abus dans l’utilisation du terme ESPT pour indiquer
les conséquences du harcèlement moral : la sémiologie ne fait que
chevaucher partiellement celle décrite dans le DSM-IV. Il conviendrait plutôt
de se référer à la classification de la CIM-10[107] 2)
Quels sont les critères du DSM IV les plus souvent
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
3)
Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? Le harcèlement moral donne lieu à des états qui se rapprochent de la
dépression, de l’anxiété et de l’ESPT sans, pour ce dernier diagnostic, en être
toutefois car il manque la confrontation avec la mort associée à une effraction
des défenses. e. Madame A. WADDINGTON Psychologue
clinicienne Hôpital Charcot,
Plaisir Service Mobile
d’Urgence Médico- Psychologique Madame
Waddington est l’auteur d’un article récemment paru dans la revue l’Encéphale, traitant des différents aspects de l’état de stress
post-traumatique, et notamment de celui lié aux situations de harcèlement sur
le lieu de travail. Entretien du
9 juillet 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Nous pouvons nous référer à la définition donnée par la loi. Les
personnes victimes de harcèlement vivent, de façon répétée et systématique, des
évènements stressants, difficiles, qui ont des effets traumatiques. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On lui
attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses
compétences (A8) On lui
attribue contre son gré des travaux dangereux (A11) On lui donne
délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14) On ignore sa
présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6) On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1) On fait
courir des rumeurs à son sujet (C4) On hurle
contre elle (D3) Une des limites de la définition proposée par la loi, qui évoque des
agissements répétés, est que l’on a énormément de mal à apporter la preuve de
ces agissements. Or, comme les personnes harcelées sont souvent éprises de
justice, cette impossibilité de se défendre, ce sentiment d’impuissance, les
amènent à décompenser. A mon sens, la seule façon d’établir un diagnostic de harcèlement
moral avéré est d’effectuer une enquête au sein de l’entreprise ou de
l’institution. En tout état de cause, le diagnostic ne peut se faire au niveau
médical puisqu’il n’apporte pas de preuves. 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Cela dépend des cas. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Un sentiment d’humiliation, d’absurdité, d’injustice, d’impuissance,
de culpabilité, d’irréalité, sans oublier un sentiment de grande solitude, car
ils ont l’impression de ne pas être accompagnés dans leur souffrance :
l’entourage va certes aider à trouver des solutions, mais ne comprend pas que
la souffrance dure si longtemps. De ce fait, dans la plupart des cas,
l’entourage finit par se lasser. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Oui.
Toutes les personnes que j’ai vues ont des valeurs et des priorités de justice.
Elles aiment les choses bien faites et sont souvent très investies dans leur
travail. Ce
sont en général des personnes franches, justes, honnêtes. D’une
façon générale, elles ont l’impression de pouvoir contrôler leur existence, que
s’elles font les choses bien, elles n’ont rien à craindre. Ce
sont des personnes qui, fondamentalement, ne savent pas se protéger. Il s’agit
bien souvent de valeurs acquises au cours leur propre histoire familiale :
le fait de se battre pour la liberté et la justice, de ne pouvoir compter que
sur elles, et d’être « propres ». J’ai
en tête l’exemple d’une personne d’origine cambodgienne qui pensait que si elle
était juste et loyale envers son patron, celui-ci le serait en retour avec elle
et saurait la protéger. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? La famille est toujours
« éclaboussée ». Des changements s’opèrent au niveau de la dynamique
familiale : il y a souvent une inversion des rôles quand c’est l’homme qui
est victime de harcèlement. Si l’on rajoute les problèmes d’irritabilité, le
conjoint se retrouve souvent seul face à ses propres difficultés. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Je pense que le
soutien social est aussi important dans un cas comme dans l’autre. Or, je
constate que sur le long terme, la situation devient insupportable pour les
familles qui ont du mal à comprendre pourquoi les personnes ne peuvent
« tourner la page ». 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Il s’agit alors plutôt de maltraitance managériale car il n’y a pas de
techniques d’isolement. Et les personnes s’en remettent beaucoup mieux. Ce qui
caractérise les entreprises dites « harceleuses », c’est qu’elles ont
leur propre loi qui est une loi interne, les lois externes n’ayant aucune valeur.
Si l’on n’accepte pas la loi interne, on devient « celui qui a
trahi » et l’on risque de se retrouver en proie à une situation de
harcèlement. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
Les souvenirs
répétitifs avec détresse (B1) Les rêves
répétitifs (B2) La détresse
psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement (B4) La réactivité
physiologique à un stimulus évocateur de l’événement (B5) Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens
évocateurs (C2) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Les
difficultés de concentration (D3) L’hypervigilance
(D4) Commentaires :
- critère B1 (souvenirs répétitifs avec détresse) :
ce sont plus des ruminations que des flash-back. 4)
Quel est habituellement le délai entre la prise de
conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un
ESPT ? Ce délai est d’autant plus important que les valeurs de justice sont
présentes chez la personne : elle mettra en général du temps à se rendre
compte qu’elle n’est pas l’unique responsable de la situation. 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? Des anti-dépresseurs
sont souvent prescrits ; ils répondent aux problèmes d’évitement, mais en
même temps, le patient a l’impression que l’on s’occupe moins de lui, puisqu’on
lui prescrit un médicament. Cette thérapeutique peut aider, mais elle est loin
d’être suffisante. 6) Dans les
situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs
prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ? La sévérité, la
violence ou la gravité des agissements ne sont absolument pas prédictifs. C’est
la façon dont la personne va les percevoir qui importe. Nous sommes dans un
domaine subjectif. Par contre, la durée
du harcèlement peut favoriser la
mise en place d’un ESPT, bien que certaines personnes « tiennent »
longtemps, jusqu’à 4-5 ans. A ce moment, elles sont dans un état d’épuisement
intense et s’écroulent en présentant effectivement les signes cliniques
caractéristiques d’un syndrome post-traumatique. La proximité du
sujet avec l’agresseur peut également un être facteur favorisant. Par ailleurs, il
arrive parfois qu’un événement tout à fait mineur (une mauvaise note rapportée
par un enfant par exemple) puisse être le point de départ d’une décompensation,
chez des personnes qui subissaient depuis longtemps des agissements
caractéristiques de harcèlement moral et avaient « tenu » jusque-là. Médecin
inspecteur régional du travail, DRTFP d’Ile de France En outre, elle a
dirigé les travaux de nombreux internes en médecine du travail[108],
notamment sur la base d’une cohorte de 151 patients adressés pour des
pathologies liées au harcèlement moral entre 1999 et 2001 par leurs médecins du
travail. Entretien du
15 juillet 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1) Comment
définiriez-vous le harcèlement moral au travail ? Il faut qu’il y ait une répétitivité, d’ailleurs plutôt une
accumulation de faits avec des techniques différentes sur au moins 3 mois
corrélés à des symptômes psychiques induits par le harcèlement.
L’intentionnalité des actes n’est pas nécessaire. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On lui retire
l’accès aux outils de travail (A5) On lui retire
le travail qui normalement lui incombe (A6) Ses
supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus (B2) On l’installe à l’écart des autres (B5) On la
discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3) On critique
sa vie privée (C7) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Cela dépend vraiment des situations. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Un sentiment d’humiliation, d’injustice,
d’impuissance, de culpabilité (sans que les victimes en soient toujours
conscientes) et, dans une moindre mesure, un sentiment d’absurdité. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? Oui.
Ce sont des personnes qui ont souvent une grande éthique personnelle et
professionnelle. Ceux
qui ont une forte personnalité, ne plient pas l’échine, ne se taisent pas. Dans
une équipe, ce n’est jamais le faible qui est harcelé. Ces
personnes ont des valeurs personnelles et professionnelles et ne vont pas
hésiter à dire, par exemple, qu’il y a des malversations. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Les conséquences familiales sont fréquentes, mais
pas forcément les divorces. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? On a beaucoup de mal
à mobiliser le soutien social. Au début, on a l’impression que les proches se
demandent si la personne n’est pas un peu responsable. Le travail mobilise
des données externes et internes (personnalité). Les attentats, des données
uniquement externes. Donc, au travail, on se sent pris en défaut par rapport à
ce qu’on a mobilisé depuis notre petite enfance. Il est beaucoup plus
difficile de mobiliser les familles sur un problème de harcèlement moral au
travail que sur un problème d’attentat. Beaucoup n’osent pas en parler (on va me
remettre en question, moi, en tant qu’homme au travail). 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Souvent, il s’agit d’une équipe en souffrance dans laquelle va se
développer une situation de harcèlement sur une personne ; il s’agit alors
de harcèlement transversal : on désigne un bouc émissaire, on stigmatise
la souffrance de l’équipe sur une personne. Il peut aussi s’agir de maltraitance. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? On retrouve des signes cliniques d’ESPT chez beaucoup de patients
victimes de harcèlement moral au travail, mais tous ne présentent pas
l’intégralité des signes et pendant la bonne durée. C’est une nosologie que l’on emploie car elle est facile
d’utilisation. Par rapport à la définition typique, et notamment en ce qui concerne
le critère A1, l’origine des troubles n’est pas un événement unique : il y
a une succession d’évènements, un crescendo qui peut s’améliorer pendant un
temps, puis repartir ; de ce fait, les personnes sont de plus en plus
hypervigilantes et arrivent à développer un ESPT. C’est une pathologie à part, qui devrait avoir une dénomination à
part ; on ne l’a pas trouvée pour l’instant, il n’y a pas de consensus. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
Les souvenirs
répétitifs avec détresse (B1) Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens
évocateurs (C2) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Les
difficultés de concentration (D3) Commentaires :
- critère
D2 (irritabilité) : la plupart du temps, c’est l’inverse : ce sont des
personnes qui sont surinvesties dans la recherche de soutien social et qui sont
donc plutôt « gentilles ». 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Cela dépend des
personnes : cela peut aller de 3 à 6 mois jusqu’à 4-5 ans. Mais pas en
dessous de 3 mois. 5)
Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? La dépression n’est
pas systématiquement associée à l’ESPT ; certains patients sont beaucoup
moins dépressifs que d’autres. J’ai constaté qu’une
dépression très faible présente chez certains patients pouvait évoluer vers une
dépression secondaire très forte après une mise en inaptitude. 6)
Dans les situations de harcèlement moral au travail,
avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place
d’un tableau d’ESPT ? La sévérité, la
gravité et la violence des agissements ne vont pas forcément être des
facteurs prédictifs. Il peut s’agir de petites choses (ne pas dire bonjour,
donner beaucoup moins de travail qu’à ses collègues par exemple) La durée du
harcèlement n’est pas non plus un facteur prédictif de développement
d’ESPT ; cela dépend des personnes : certains peuvent tenir pendant
4-5 ans. En revanche, la
proximité de la victime avec l’agresseur et la survenue d’un autre événement
susceptible de provoquer un traumatisme vont favoriser la mise en place d’un
tableau d’ESPT. Docteur en
psychologie et psychanalyste, spécialisée dans les problèmes de souffrance au
travail et notamment de harcèlement moral. Auteur de
l’ouvrage Le deuxième corps, Paris, La Dispute, 2000. Entretien du
15 juillet 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? C’est l’utilisation répétée de mécanismes visant à obtenir la
reddition émotionnelle d’un sujet. J’ai établi une liste de ces
mécanismes [109]: - les
techniques relationnelles, qui assoient la relation de pouvoir - les
techniques persécutives, qui passent par la surveillance des faits et gestes de
la Cela
dit, la définition donnée par la loi me paraît bonne, même si elle n’était pas
nécessaire. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? Tous les items sont pertinents s’ils sont suffisamment nombreux, s’ils
font système, donc, je ne puis opérer de sélection parmi eux. Par ailleurs, je pense que
tout ce qui est de l’ordre des agressions physiques n’a pas lieu de figurer
dans cette liste d’agissements : nous ne sommes plus dans le cadre du
harcèlement moral, mais dans celui de la maltraitance. D’autre part, il me semble que certains items devraient être rédigés
d’une autre manière, notamment ceux de la rubrique « atteintes aux
conditions de travail ». C’est le cas du critère que vous avez intitulé
A7 : « on lui donne en permanence des tâches nouvelles » :
c’est le type de fonctionnement des nouvelles organisations sans pour autant
que l’on puisse parler de technique de harcèlement moral. Enfin, il serait opportun d’indiquer que nous n’avons qu’un point de
vue, celui de la personne qui déclare être en proie à ces agissements. Pour ma part, je pense que l’utilisation des injonctions paradoxales a
une grande importance : c’est une technique spécifique visant à détruire
l’autre et à mon sens, c’est le « nœud » du harcèlement moral. Pour conclure, je rajouterai que pour faire un diagnostic de harcèlement
moral, il est nécessaire d’avoir des avis pluridisciplinaires ; un
questionnaire ne suffit pas. 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Les attaques du geste de travail sont certainement les plus délétères.
Ce sont ces attaques qui vont faire décompenser les personnes. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Les sentiments d’humiliation, d’injustice, d’impuissance, de
culpabilité et d’absurdité sont tous systématiquement présents. Il faudrait y rajouter un critère majeur : le sentiment de peur
(certaines personnes vomissent tous les matins avant d’aller au travail... ou
sont en proie à une crise de panique si dans la rue, un passant porte une veste
de la même couleur que celle de leur agresseur...) 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Systématiquement, ce sont des personnes très authentiques dans leur
travail, qui ne « lâchent » pas. Elles ont besoin de réaliser
correctement leur travail quand bien même le reste du collectif le bâclerait un
peu. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Il y a certainement des répercutions familiales,
notamment pour les enfants, qui peuvent être conséquentes. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? L’essentiel est que ces personnes reçoivent les soins en rapport avec
leur névrose traumatique et soient incluses dans un réseau de prise en charge
spécialisée comprenant le médecin généraliste, le médecin du travail, le
médecin inspecteur du travail, le juriste ou l’avocat et bien sûr le
psychothérapeute connaissant le monde du travail. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Il s’agit le plus souvent d’une équipe en souffrance dans laquelle va
se développer une situation de harcèlement moral visant une personne ; il
s’agit alors de harcèlement transversal : l’équipe désigne un bouc
émissaire, souvent celui qui dénonce le travail mal fait, pour
« tenir » des conditions de travail devenues trop difficiles. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Je n’utilise pas le terme d’« ESPT », mais celui de
« névrose traumatique » , concept étayé par une autre
théorisation qui me convient mieux: Ces personnes présentent une névrose traumatique avec, de surcroît,
une dimension de souffrance éthique. Il y a un véritable désarroi identitaire,
une perte des repères moraux, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le
bien et mal, que l’on ne retrouve pas dans le DSM IV. Ces atteintes sont dues
aux injonctions paradoxales qui entraînent une effraction du psychisme et une
atteinte du lien du patient au réel. En ce sens, je trouve que le DSM-IV est
très réducteur. Je rajouterai que dans une situation de harcèlement moral, on attaque
le geste de travail d’une personne. Or, dans le lien de subordination qui lie
un employé à son employeur, il n’y a pas d’échappatoire possible, car la
démission fait perdre tous ses droits sociaux. Et face aux injonctions
paradoxales, le travail habituel d’élaboration mentale ne peut se mettre en
place. Les salariés dont le geste de travail est quotidiennement attaqué se
sentent en danger de mort. D’ailleurs, si la situation de harcèlement moral est poursuivie trop
longtemps, les séquelles psychiques et somatiques peuvent être définitives. Un
travail devra se faire sur les atteintes identitaires, l’effondrement dépressif
et la décompensation somatique, sans oublier ce qui fait la spécificité d’un
tel tableau : énoncer le vrai et le faux, le juste et l’injuste à un
patient dont l’organisation éthique a vacillé au contacts de valeurs
institutionnelles devenues contradictoires. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
4)
Quel est habituellement le délai entre la prise de
conscience de la situation de harcèlement
moral et l’apparition d’un ESPT ? 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT ? Il ne s’agit pas, dans les cas de harcèlement moral, d’une dépression
au sens strict du terme. C’est un effondrement, une dépression d’épuisement,
mais qui n’a rien à voir avec le burn-out et sa dimension d’anesthésie
émotionnelle qui n’est pas présente chez les personnes en situation de
harcèlement moral. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau
d’ESPT ? La sévérité, la
gravité et la violence des agissements ne sont pas forcément des facteurs
prédictifs. Ce sont plutôt les impasses dans lesquelles les gens se sentent
piégés et le fait de ne pas pouvoir répondre. Présidente de
l’association Mots pour Maux au Travail Psychosociologue du travail. - tenter de faire évoluer la reconnaissance
juridique de cette forme de violence au travail Entretien du
21 juillet 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? La définition que je propose est celle issue des observations des
membres de l’association Mots pour Maux : « c’est un ensemble de
conduites et de pratiques qui se caractérisent par la systématisation, la durée
et la répétition d’atteintes à la personne ou à la personnalité, par tous les
moyens relatifs au travail, en les détournant de leur finalité, infligeant
ainsi, consciemment ou inconsciemment, une souffrance intense, afin de nuire,
d’éliminer, voire de détruire ». Ce qui est visé, ce n’est pas l’accomplissement d’une tâche, c’est la
personne. Je pense que le harcèlement est vraiment une pathologie de
l’isolement, un état ultime de dégradation du lien social. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On lui donne
délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14) : les personnes
qui harcèlent utilisent de façon quasi-systématique les injonctions ou les
attitudes paradoxales. Ses
supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus (B2) On refuse
tout contact, même visuel avec elle (B4) On l’installe
à l’écart des autres (B5) On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux
autres (B6) On ne la
laisse plus parler aux autres (B8) On lui
attribue des tâches humiliantes (C10) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Ceux qui ont rapport avec l’isolement ; le fait de se sentir
exclu du travail et du contexte social, de ne plus se sentir utile. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Les sentiments d’humiliation, d’injustice, d’impuissance, sont
éprouvés de façon systématique. Un sentiment d’absurdité est également souvent
éprouvé, mais de façon moins systématique. Il existe également un sentiment de culpabilité à partir du moment où
ils ont pris conscience de la situation ; ils se demandent alors ce qui se
passe et s’ils y sont pour quelque chose. C’est une façon d’exprimer une
incompréhension : il arrive que des personnes victimes de harcèlement
me disent : « j’ai agi ainsi parce que j’ai des valeurs et que j’y
tiens...et j’ai eu tort de défendre mes valeurs... »: ils disent cela avec un
peu d’ironie ; ce n’est pas réellement un questionnement. Par contre, alors que dans les premiers temps ils se demandent tous ce
qu’ils ont fait de mal, à partir du moment où ils commencent à élaborer une
compréhension, ce sentiment disparaît. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Pour moi, il n’y a pas de profil, en tous cas, pas de profil
psychologique type. Ce que je peux dire, c’est qu’en général, ce sont des gens qui
tiennent à ce qu’ils sont. Ce sont des personnes assez affirmées, qui ont un
sens de l’honneur et une idée assez élevée d’eux-mêmes et de ce qu’ils font.
Ils défendent un certain nombre de choses et tiennent bon. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Les personnes victimes de harcèlement moral au travail sont beaucoup
moins disponibles pour leur famille et cela peut avoir des conséquences, sans
toutefois aller forcément jusqu’au divorce. A cet égard, le rôle du conjoint
est absolument déterminant, en tant que premier soutien social. Il a parfois
une position ambivalente, à savoir qu’il n’est pas forcément à l’écoute de
l’autre : il le soutient tout en se référant à sa propre idée du problème. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Oui, mais il faut qu’il y ait une stratégie d’isolement et que chaque
personne soit spécifiquement visée, indépendamment des autres. Cette situation
peut se rencontrer dans des groupes de travail où l’on « divise pour mieux
régner » et où peuvent alors se mettre en place, de façon simultanée, des
stratégies d’isolement visant plusieurs personnes. La mise en place de tels processus est facilitée par le contexte de
l’emploi, la peur : les stratégies d’isolement misent sur la peur des
autres : certaines personnes, pour se protéger, « sauver leur
peau », en arrivent à agresser la personne visée par le harceleur. Néanmoins, je pense que dans ces situations, une coalition est
toujours possible. C’est donc une situation limite. A mon avis, le harcèlement
est avant tout une pathologie de la solitude, aboutissant à un isolement total
de la personne en cause. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Je tiens avant tout à préciser que je ne suis ni
psychiatre, ni spécialisée dans le domaine des traumas psychiques. Néanmoins, il me semble que les gens qui subissent un harcèlement
moral présentent un tableau clinique particulier ressemblant à ce qui est
décrit comme étant un ESPT. Mais à mon avis, il y a une autre dimension, liée à la répétition
d’évènements qui ne sont pas vraiment des traumatismes, dans le sens d’une
effraction brutale. Dans les situations de harcèlement moral, nous sommes face à des
atteintes répétées de la personne et de sa structure. En théorie, nous ne pouvons pas parler d’ESPT puisqu’il manque le
critère A1. Néanmoins, je me suis posé la question de l’origine de l’effraction
des défenses. Il me semble que cette origine peut se trouver : a) dans
le fait que, lorsque les personnes subissent des attaques perverses (ce qui
n’est pas toujours le cas), ils ne peuvent pas imaginer, anticiper, se préparer
à ce qui va se passer. Une des personnes vue à l’accueil de Mots pour
mots me disait récemment : « j’ai beau passer mes nuits à anticiper
sur ce qui va pouvoir se dire, se faire à partir de ce que je connais de lui,
quand je sais que je vais avoir un entretien le lendemain avec la personne en
question, je sais aussi que ce sera quelque chose que je n’ai pas prévu ». b) il y a également une
mise à mal de tout ce qui fait partie des certitudes, des invariants de la
vie : le juste/l’injuste, le vrai/le faux, n’existent plus. Je pense que
c’est également un aspect traumatisant. c) enfin,
le sentiment de se sentir en danger ; de craindre pour sa vie psychique. Ces trois aspects pourraient expliquer l’origine de l’effraction des
défenses. Mais pour moi, il n’y a pas de traumatisme au sens propre du terme. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
Les souvenirs
répétitifs avec détresse (B1) Les rêves
répétitifs (B2) Le fait
d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les difficultés d’endormissement (D1) L’irritabilité
(D2) L’hypervigilance
(D3) Commentaires :
- critère
B4 (détresse psychique lors de l’exposition à des indices rappelant
l’évènement) : nous retrouvons très souvent chez ces personnes une grande
détresse lorsqu’elles doivent passer devant leur lieu de travail 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Il n’y a pas de règle concernant ce délai. 5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? N’étant pas psychiatre, je ne puis me prononcer. Je peux seulement
dire qu’il existe une composante dépressive. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ? La sévérité, la
gravité et la violence des agissements ne sont pas forcément des facteurs
prédictifs de développement d’ESPT ; par contre, la durée du harcèlement
et la proximité du sujet avec l’agresseur le sont. Chercheur en médecine du travail (santé au travail-
relations entre organisation du travail et santé) à la faculté de Lyon. Entretien du
11 août 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Le harcèlement moral est un phénomène sociologique construit par les
médias. Il traduit en fait un malaise réel et profond auquel la notion de
harcèlement moral donne une expression. Dans un contexte de désorganisation et de désorientation associé à une
individualisation des relations de travail, les travailleurs se sont emparés de
ce modèle accessible. L’intensification du travail, les pressions bien souvent exprimées
dans un discours ambigu et contradictoire, les modalités de contrôle de plus en
plus éloignées des réalités de l’activité m’amènent à penser que dans un grand
nombre de situations, c’est l’organisation du travail et non la structure de
personnalité d’un responsable ou d’un collègue qui est à l’origine des
comportements qualifiés de harcèlement moral. Par ailleurs, l’expérience montre que l’on retrouve quasiment toujours
un conflit de travail à l’origine du harcèlement. Et qu’à l’origine de ces
conflits, nous retrouvons systématiquement des différents quant à la façon
d’envisager le travail. C’est l’absence d’issue à ces conflits qui entraîne une
dégradation des relations pouvant aboutir à une situation de harcèlement moral 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? Je pense que tous les agissements décrits peuvent être courants, et
que l’on ne peut pas diagnostiquer une situation de harcèlement moral en
repérant des comportements dans une liste. Certains collègues, dans une perspective de repérage d’éléments
objectifs, essayent effectivement de définir le harcèlement de cette manière. Je ne pense pas que les questions du travail se jouent dans une
perspective d’objectivité des faits, mais dans la façon dont ces faits sont
vécus. Il existe toujours en arrière-fond de ces situations, des conflits de
valeurs liés à la perte des repères communs concernant la définition du
travail, les règles du métier et ce que signifie « bien travailler ».
La perte de ces repères communs, l’absence de sentiment de valeurs partagées
amènent les salariés à ne plus savoir dans quel sens orienter leur activité et
aboutissent à l’installation d’une extrême sensibilité aux remarques des
collègues ou de la hiérarchie. Les comportements pervers à l’égard d’une personne, comme ils sont
décrits dans les diverses listes d’agissements, ne se déploient pas
indépendamment du contexte de travail , nous ne sommes pas dans une
relation de face à face. Bien entendu, je ne peux nier l’existence de harcèlement moral de type
pervers ; mais mon expérience m’a montré que systématiquement, ces cas se
retrouvent dans des situations où existent des différences fondamentales de
conceptions de travail. Ensuite, des manifestations de mépris, de destruction
peuvent se manifester. Or, actuellement, certaines personnes portent des diagnostics
cliniques de perversion sur des personnes qu’elles n’ont pas rencontrées de
même qu’elles ne connaissent pas non plus le contexte de travail dans lequel a
pu se déployer une telle situation. Nous constatons qu’en entreprise, les situations les plus fréquentes
sont celles de personnes en proie à un désaccord majeur concernant la manière
d’envisager le travail. Ce conflit, indépendamment de mauvaises intentions va
être investi par chacun et aboutir à des situations de grande souffrance. Dans une perspective de résolution du problème et de guérison, il me
semble extrêmement important de ne pas enfermer la personne dans un statut de
victime : étudier ce qui, dans l’organisation du travail et notamment dans
la manière de chacun d’envisager son rôle, a pu aboutir à cette situation,
permet, même si l’on est face à un pervers, de donner un sens à la situation et
de se battre contre une situation partageable avec autrui. 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Il est difficile de mettre sur le même plan tous les agissements. Par
exemple, l’isolement en soi n’est pas une agression. Il le devient à partir du
moment où l’on aurait besoin de soutien. Ce
qui me semble grave, c’est de faire percevoir à une personne qu’elle n’est plus
capable de donner la moindre chose digne d’intérêt. Ce type de comportement
aboutit à des états de grande souffrance. L’isolement est alors un facteur
aggravant. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Avant tout un sentiment d’incompréhension. Ces
personnes affrontent la conflictualité, l’illégitimité des pressions auxquels
elles sont soumises dans une désorientation très importante due à
l’incompréhension de la situation : elles ne savent pas dans quel sens
orienter leur action pour répondre aux critiques paradoxales de la direction. Cette situation d’incohérence fragilise les salariés
et les rend extrêmement sensibles aux remarques de la hiérarchie. Par la suite,
des agissements minimes peuvent les amener à décompenser. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? J’évoquerai,
de façon plus générale, les personnes victimes de souffrance au travail :
nous savons depuis longtemps que ce sont des personnes consciencieuses, qui ne
trichent pas, qui s’investissement dans leur travail et le considèrent comme
important. Elles
ont généralement développé un sens du travail bien fait. Le
désaccord sur la façon d’envisager le travail qui est à l’origine du conflit et
de la situation de souffrance, n’est pourtant que rarement pris en compte dans
les analyses cliniques sur la souffrance au travail. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Les conséquences de la souffrance au travail se manifestent au niveau
familial : les répercutions sont très importantes. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Dans le cas du
harcèlement moral, la prise de distance des proches est généralement
importante. Le harcèlement est une pathologie de l’individualisation et la
prise en charge des patients doit avant tout permettre, non seulement à des
tiers de s’interposer quand la santé de la victime est menacée, mais également
de penser la situation, de reprendre l’histoire (et particulièrement ses causes
communes avec autrui), d’en débattre et d’agir pour lui donner une issue. C’est la condition
de la préservation de la santé et de l’insertion sociale. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Dans ces situations, il faut que l’individu ait échappé à tout cadrage
de sa hiérarchie sur la pression qu’il exerce ou qu’il soit soutenu par cette
dernière, voire même que l’injonction lui en ait été donnée. Mais je ne
qualifierais pas de harcèlement moral l’attitude d’un chef de service vis à vis
de l’ensemble de son équipe. En revanche, certains responsables recrutés pour remettre de l’ordre
dans une équipe jusqu’alors peu encadrée, peuvent subir ce qu’on l’on nomme un
harcèlement de la part de l’ensemble de l’équipe (tout en étant accusé de
harceler...). Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Mon hypothèse est
que le diagnostic d’attaque perverse a un caractère traumatisant. Je pense
qu’avant le diagnostic, les personnes sont dans un état de désorientation avec
des manifestations dépressives et qu’ensuite ils sont dans un état de
traumatisme. 5) Une dépression est-elle souvent
associée à l’ESPT? Je ne parlerai pas de dépression, mais de dépressivité (ou de
manifestation anxio-dépressive) qui est une des formes de souffrance les plus
communément rencontrées dans le monde du travail chez des personnes se trouvant
en situation d’impasse. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau
d’ESPT ? La probabilité de
souffrir au travail est liée au fait de porter un intérêt à sa fonction, de s’y
investir. Cette particularité prédit aussi bien le plaisir au travail que la
souffrance... Concernant
spécifiquement les situations de harcèlement moral, je ne suis pas en mesure de
vous répondre. Médecin du
travail, Conseiller
technique sur les questions de santé au travail auprès de la FNATH[110] Consultation
Souffrance au Travail de la FNATH S.
VASSEUR Entretien du
2 septembre 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Devant la difficulté à retenir une définition du harcèlement, nous
nous référons au harcèlement moral tel qu’il est défini par la loi, de même que
nous nous basons sur les 3 formes de harcèlement indiquées par la Commission
Nationale Consultative des Droits de l’Homme. Il nous semble que s’il existe des situations caractéristiques de
harcèlement individuel telles que celles décrites par Marie-France Hirigoyen,
la plupart des cas sont très liés à l’évolution du monde du travail et
notamment à la dégradation des conditions de travail. Par ailleurs, l’émergence du harcèlement a pu être favorisée
par : - une
augmentation des exigences des employés en matière de défense des libertés
individuelles et de respect de l’individu. - une sorte de
« modélisation » de l’employé : il semble qu’il n’y ait plus de
place pour l’humain, la personnalité, la compassion et qu’il existe une forme
d’intolérance vis à vis des "défauts" ou "faiblesses" ou
simplement "caractéristiques"de chacun, en fait des différences par
rapport à une "norme". Dans l’ensemble, toutes les situations sont extrêmement complexes et
les frontières ne sont pas toujours très claires entre harcèlement et autres
formes de souffrance psychique au travail. Le fait de travailler de façon
pluridisciplinaire (notamment avec les médecins du travail et les
syndicalistes) permet de faire la synthèse de plusieurs points de vue. 2) En se
référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement
moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier
les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On critique
son travail injustement ou exagérément (A4) On lui
attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses
compétences (A8) On ignore sa
présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6) On utilise
des propose méprisants pour la qualifier (C1) On utilise
envers elle des gestes de mépris (C2) On lui attribue des problèmes psychologiques (C5) On hurle
contre elle (D3) Les injonctions paradoxales sont constantes sans être pathognomoniques ;
nous considérons par contre que les atteintes à la dignité sont vraiment les
stigmates des situations de harcèlement (ce sont les items B et C qui
paraissent les plus significatifs) 3) Quels types d’agissements génèrent la
plus grande souffrance ? Sans aucun doute, les atteintes à la dignité. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Dans le rapport d’activité de la
Consultation « Souffrance et Travail » de la FNATH (février 2001
à février 2003), nous avons étudié l’importance relative des manifestations de
souffrance psychique liées au harcèlement. Le sentiment de solitude est éprouvé
par plus de 50 % de nos patients. Suivent des sentiments d’humiliation et de
perte de sens (respectivement 47 et 46 %), de perte d’estime de soi (44 %) et
de honte (28 %). 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? Tout
d’abord, l’éventail social est très large : toutes les catégories socio-
professionnelles sont concernées. Ensuite, nous avons remarqué que les
personnes se situant dans la tranche d’âge allant de 40 à 50 ans étaient
particulièrement touchées. Ces
sujets sont tous forcés à s’interroger sur les raisons de l’agression dont ils
sont l’objet : « pourquoi et pourquoi
moi ? » Sans réponse et sans soutien, ils s’enferment souvent dans un
discours plaintif et ne parviennent pas à donner un sens à leur vécu. Ils n’ont
pas toujours d’autres alternatives que de s’accrocher à leur statut de victime
sans pourtant se départir d’une certaine expression de culpabilité :
« quelle faute ai-je commis ; que suis-je pour mériter
ça ? » Nous
voyons des personnes particulièrement honnêtes, qui ont un sens développé de la
justice, mais également certaines qui ne se laissent pas faire ou encore
d’autres qui semblent plus fragiles, sans défenses (on a relevé par exemple le
nombre important, parmi les personnes accueillies, de femmes qui élèvent seules
leurs enfants.) 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Les conséquences familiales sont systématiques et
il existe notamment une répercussion de l’anxiété chez les enfants des
victimes. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Le soutien social
est fondamental ; d'ailleurs le harcèlement s'installe aussi parce que la
solidarité, le collectif, fait défaut au travail : quand il existe, il peut
faire écran au harcèlement. En ce qui concerne
le soutien des collègues, quand la situation est installée, les victimes ne
sont pas dans un refus d’aide, mais la dépression latente à laquelle ils sont
sujets est un frein à la création ou au maintien des liens. Si les mécanismes du
harcèlement sont très insidieux, il n’est pas évident pour les collègues de
considérer qu’il s’agit d’une agression ... de plus, leur soutien procède d’un
mécanisme compliqué dans la mesure où ils prennent eux-mêmes des risques en
s’engageant. Quant à la famille
et à l’entourage, ils sont souvent impuissants face aux problèmes de
harcèlement et font preuve d’une certaine lassitude quand la situation dure et
que la victime paraît "enfermée" dedans. 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Dans la mesure où il existe un lien de subordination, le responsable
qui est familier de ce genre d’outils va les décliner en fonction de ses
objectifs et de la personnalité des salariés concernés. Mais, dans ce cas, nous préférerions employer les termes de
« mauvaises relations au travail » ou de « maltraitance »,
avec « des éléments pouvant relever de situations de harcèlement ». Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1) Les
victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ? On retrouve des signes cliniques d’ESPT chez certaines personnes
victimes de harcèlement. L’apparition de ces signes dépend de la durée du
harcèlement, de son intensité et de la capacité du harcelé à objectiver ce qui
se passe. 2) Quelle
est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va
développer un ESPT ? 3) Quels
sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes
victimes de harcèlement moral au travail ? Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Les difficultés de concentration (D3) Nous
constatons souvent également une angoisse déclenchée par des détails rappelant
la situation, une impossibilité de retourner sur les lieux, une remémoration en
boucle des moments traumatisants, des cauchemars récurrents. Commentaires :
- critère
C5 (sentiment de détachement d’autrui) : il ne s’agit pas de distance par
rapport à autrui : chez les victimes de harcèlement, il n’y a simplement
plus d’espace pour accueillir l’autre en tant qu’autre, ce qui engendre une
grande souffrance. 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? Le tableau clinique ne succède pas à une prise de conscience : il
la précède. Reconnaître avec les personnes le fait qu’elles sont victimes de
harcèlement (nommer l'origine de leur souffrance) leur permet d’être
considérées comme étant dans une situation connue, qui a un certain sens, une
réalité « objectivable », ce qui leur procure un certain soulagement.
5) Une
dépression est-elle souvent associée à l’ESPT? Une dépression est souvent associée à l’ESPT...ou, du moins, les
patients sont traités pour dépression. Mais nous restons prudentes quant à une
association systématique ESPT / dépression : une situation de harcèlement
va révéler toutes les fragilités de la personne concernée ; un diagnostic
de dépression est souvent rapidement porté. 6)
Dans les situations de harcèlement moral au travail,
avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place
d’un tableau d’ESPT ? Nous ne saurions
répondre à cette question. Médecin
psychiatre. Expert auprès
des tribunaux Entretien du
3 septembre2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Le harcèlement psychologique résulte de méthodes de déstabilisation et
d’exclusion. Le plus fréquemment, ces méthodes sont appliquées dans le cadre de
techniques de management des « ressources humaines » validées
par l’idéologie de la performance (beaucoup d’agresseurs ne sont pas des
pervers, mais des personnes qui ont été éduquées dans une idéologie de
compétition), mais elles peuvent aussi, plus rarement, être pratiquées par des
personnalités perverses. Le livre de Marie-France Hirigoyen a eu un effet extrêmement positif
en termes de reconnaissance des victimes et d’utilité, même si certaines
personnes paranoïaques se sont emparées de son contenu et l’ont détourné. Cependant, je n’emploierais pas le terme « moral », qui suggère
un jugement de valeur, mais plutôt celui de « psychologique » qui
fait référence à des notions plus scientifiques (médicales, psychologiques). 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On lui donne
délibérément des consignes impossibles à effectuer (A14) On l’installe
à l’écart des autres (B5) On ignore sa
présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6) On utilise
des propose méprisants pour la qualifier (C1) On utilise
envers elle des gestes de mépris (C2) On la
discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3) On lui attribue des tâches humiliantes (C10) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Incontestablement les atteintes à la dignité. De ce type d’agissements
découlent les autres... 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? En premier lieu, l’incrédulité. Puis, l’effondrement
de l’image de soi et la culpabilisation, surtout si la personne a déjà subi des
situations d’emprise au cours de son enfance. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Non. Soit les personnes sont victimes de harcèlement professionnel, dont le
but est de les pousser à démissionner en évitant les indemnités de
licenciement, et l’on agit alors indistinctement, quelle que soit la
personnalité des employés en cause. Soit, elles sont victimes de harcèlement institutionnel, qui participe
d’une stratégie de gestion du personnel considérant que seuls les plus forts
doivent « survivre ». Nous retrouvons d’ailleurs ce type d’idéologie
dans la société en général. Les plus faibles sont alors ciblés. C’est, il me
semble, le cas le plus fréquent. Enfin, elles peuvent être choisies par des pervers qui vont éprouver
une jubilation à détruire ceux qui sont en général très vivants, appréciés et
peuvent leur faire de l’ombre. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? Comme dans tous les cas d’emprise psychique, les
conséquences pour l’environnement familial sont très importantes. Il y a
effectivement un risque de retentissement au niveau des enfants, mais également
à l’intérieur du couple. Souvent, la personne n’est pas crue par ses
proches ; et ce d’autant plus que les victimes ont parfois au bout d’un
moment, des réactions paranoïaques (qui cessent à l’arrêt du harcèlement). Le livre de Marie-France Hirigoyen a beaucoup
aidé les familles et les proches à comprendre ces phénomènes. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Pour moi, le soutien
social consiste à soustraire la personne à cette situation qui la rend malade,
puis à mobiliser le réseau d’aide (institutions médicales, juridiques,
sociales, environnement familial, etc...). Le statut de victime
est tout à fait différent selon que la personne est victime d’un traumatisme
unique (attentat par exemple) qui peut être objectivé, ou de traumatismes
répétés comme dans le harcèlement où il sera plus difficile d’apporter la
preuve des évènements. Cette situation est beaucoup plus compliquée et peut
s’apparenter au « pot de fer (le système : responsables d’entreprise,
collègues, etc...) contre le pot de terre ». 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Bien sûr. L’histoire nous a appris que certaines personnes sont
capables de manipuler, déstabiliser, soumettre et exclure un groupe important
de personnes...cf. la terreur totalitaire. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1)
Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un
tableau d’ESPT ? Oui, les victimes de harcèlement présentent dans leur grande majorité
un ESPT. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? Un questionnaire IES est proposé à toutes les
personnes victimes de harcèlement qui consultent au Centre de Psychothérapie de
l’Institut de Victimologie : dans plus de 70 % des cas, les scores sont
supérieurs à 42. 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
Les souvenirs
répétitifs avec détresse (B1) Le fait
d’éviter les pensées et les sentiments évocateurs (C1), mais pour autant, s’ils
tentent de le faire, ils n’y parviennent jamais. Le fait
d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1) Les difficultés de concentration (D3) 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? L’apparition de
l’ESPT est bien antérieure à la prise de conscience de la situation de
harcèlement. 5) Une dépression est-elle souvent
associée à l’ESPT? Mon impression
clinique est qu’une dépression est très fréquemment associée. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ? Dans ces situations de
détresse très importante où les personnes se sont senties personnellement
menacées, souvent, la survenue d’un événement « traumatique » va
entraîner un bouleversement intense et l’apparition d’un ESPT dans les jours
qui suivent. Médecin attaché,
service de pathologie professionnelle du CHU de Brest – consultations
souffrance au travail. Entretien du
3 septembre 2003 Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : 1)
Comment définiriez-vous le harcèlement moral au
travail ? Il faut se référer à la définition légale dont il faut se satisfaire,
mais je pense qu’elle est trop large et qu’elle peut s’appliquer à d’autres
types de souffrance au travail que le harcèlement moral. Le harcèlement moral, stricto sensu, est celui décrit par Marie-France
Hirigoyen : il s’agit d’un individu qui, par sa personnalité, va détruire
une personne. Ensuite, il existe d’autres types de harcèlement (institutionnel,
professionnel) ; dans ces cas, le harcèlement ne sera pas pratiqué dans un
but purement gratuit de destruction d’autrui, le management y verra quelque
intérêt. Selon les types de harcèlement, le traitement ne sera pas le même. Je précise que les diagnostics de harcèlement doivent être « mis
au conditionnel » : tant que l’on n’a pas rencontré l’agresseur, on
ne dispose que du discours, de l’interprétation que la victime fait de la
situation. Il faut être extrêmement prudent dans ce domaine : des
situations peuvent évoquer un harcèlement et pour autant ne pas en être. 2)
En se référant à la liste des agissements hostiles
caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France
Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment
retrouvés ? On ne lui
transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2) On conteste systématiquement toutes ses décisions (A3) On critique
son travail injustement ou exagérément (A4) On fait
pression sur elle pour qu’elle ne fasse pas valoir ses droits (A9) On la pousse
à la faute (A16) On interrompt sans cesse la victime (B1) On lui
attribue des tâches humiliantes (C10) 3)
Quels types d’agissements génèrent la plus grande
souffrance ? Les atteintes à la dignité, qui sont aussi les agissements les plus
fréquemment évoqués, entraînent les plus grandes souffrances. 4)
Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de
harcèlement ? Un sentiment de honte est éprouvé de façon
systématique, de même que la stupéfaction car ces situations se mettent
en place de façon inattendue (je peux vous citer l’exemple d’un salarié en
poste depuis 30 ans dans une entreprise qui, après le rachat de cette dernière
par un grand groupe, est continuellement humilié, considéré comme totalement
incompétent...) Ce qui touche le plus les personnes, c’est la perte
de reconnaissance au travail. 5)
Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes
de harcèlement moral au travail ? Non. Tout le monde peut être victime de harcèlement. D’ailleurs, dans
les cas où nous avons pu suivre le parcours professionnel des agresseurs, nous
avons remarqué qu’ils avaient harcelé d’autres salariés de façon récurrente. 6)
Quelles sont les conséquences pour la famille ? En général, quand les couples sont soudés, il
existe une très grande solidarité entre conjoints. Dans le cas inverse, ou si
la personne ne vit pas en couple, elle est souvent seule et la culpabilisation
sera majorée. 7)
Quelle est l’importance du soutien social dans le cas
particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement
moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)? Le soutien social a
d’autant plus d’importance quand il n’est pas présent : l’absence de
réaction ou l’indifférence affichée des syndicats ou des élus du CHSCT, par
exemple, entraîne une grande souffrance (ces instances auraient du défendre la
victime et ne l’ont pas fait...) 8)
Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de
personnes ? (une équipe de travail par exemple) Oui, dans le sens où les éléments précisés dans le texte de loi sont
présents : il y a une volonté de nuire, une répétition, etc...Mais
personnellement, je parlerai plutôt de souffrance d’origine manageriale ou
organisationnelle. Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique : 1) Les
victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ? Oui, nous retrouvons les signes cliniques d’ESPT dans la plupart des
cas de harcèlement. Le sujet n’a pas été directement confronté avec la mort qui est
néanmoins très présente au travers des idées suicidaires. 2)
Quelle est, selon vous, la proportion des personnes
harcelées au travail qui va développer un ESPT ? 3)
Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement
retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?
La détresse
psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement (B4) Le fait
d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2) Le sentiment
d’avenir bouché (C7) Les
difficultés de concentration (D3) Commentaires :
- critère C1
(éviter les pensées et les sentiments évocateurs) : malgré toutes leurs
tentatives, les victimes ne peuvent pas éviter ces pensées qui envahissent leur
vie - critère
D1 (difficultés d’endormissement, sommeil interrompu) : je ne puis porter
de jugement, toutes les personnes vues en consultation étant sous
anti-dépresseurs, anxiolytiques et hypnotiques. 4) Quel
est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de
harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ? L’apparition de
l’ESPT se fait généralement de façon insidieuse et dépend du « mode
opératoire » : en cas d’agression brutale, la survenue d’un ESPT se
fera de également de façon brutale. Des agissements plus insidieux entraîneront
une mise en place des symptômes plus progressive. 5) Une dépression est-elle souvent
associée à l’ESPT? La dépression est
systématiquement associée à l’ESPT , avec une intensité plus ou moins
grande. Quand les victimes ne sont plus en mesure de se défendre et abandonnent
le conflit, des symptômes dépressifs s’installent. 6) Dans
les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des
facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau
d’ESPT ? Non, dans la mesure
où un ESPT va se mettre en place chez toutes les personnes victimes de
harcèlement avéré. Pour autant, certains facteurs de risque antérieurs peuvent
en aggraver les symptômes. Concernant la situation de harcèlement moral au
travail : - définition
du harcèlement moral au travail : Tout en exprimant leur conception du harcèlement
moral de façon différente, l’ensemble des professionnels s’accorde sur les critères
de la définition telle qu’elle est proposée par la loi. Pour autant, nombre
d’entre eux émettent des réserves quant aux risques de dérives possibles, cette
définition leur semblant trop large et pouvant s’appliquer également à d’autres
formes de souffrance au travail. Par ailleurs certaines personnes envisagent
essentiellement le harcèlement comme étant lié aux nouvelles techniques de
management déstabilisantes, alors que d’autres le considèrent plutôt sous
l’angle d’une relation duelle (harcèlement individuel, au cours duquel un
individu cherche à détruire un autre individu, ou encore acte de management
conscient destiné à améliorer les performances). Ces deux types d’approches peuvent expliquer
les divergences constatées entre les définitions apportées par les différents
professionnels interrogés. -
agissements les plus fréquemment retrouvés : Dix personnes sur 12 ont
accepté de citer les 8 agissements qu’elles retrouvaient le plus fréquemment
dans les situations de harcèlement, en se référant à la liste des agissements
hostiles de Marie-France Hirigoyen. Le tableau détaillé des
agissements cités est présenté en annexes p 21 et 22. Trois remarques
s’imposent : -
les deux professionnels qui n’ont pas souhaité sélectionner
les agissements les plus caractéristiques, estiment que ces derniers ne se
déploient pas indépendamment d’un contexte de travail qu’il convient avant tout
d’analyser. -
sept professionnels ont souligné la grande fréquence des
injonctions paradoxales, des ordres associés aux contre-ordres, ce type
d’agissement n’étant pas explicitement présenté dans la liste de Marie-France
Hirigoyen (le critère A14 étant celui qui se rapprocherait le plus de cet
agissement indique que l’on donne délibérément des consignes impossibles à effectuer). -
la répartition des agissements les plus fréquemment retrouvés
est inégale selon les catégories : nous ne retrouvons notamment que 4 agissements dans la catégorie « violence
verbale, physique ou sexuelle » (ce score confirme le caractère insidieux
du harcèlement). Nombre
de réponses en
% Atteintes aux conditions de travail 34 42.5 % Isolement et refus de communication 17 21.25 % Atteinte à la dignité 25 31.25 % Violence verbale, physique ou sexuelle 4 5 % Tableau 10 : agissements les plus souvent
retrouvées selon les catégories Pour autant, il convient de
relativiser ces données, la liste des agissements présentés dans chacune des
catégories n’étant malheureusement pas exhaustive... De plus, ce sont les atteintes
aux conditions de travail, pour lesquelles un nombre important d’agissements a
été retrouvé, qui entraînent à terme les situations d’isolement et d’atteintes
à la dignité décrites dans les autres catégories. Il convient maintenant de
recenser les agissements les plus souvent retrouvés dans les situations de
harcèlement: Agissement Nbre de professionnels ayant sélectionné cet
agissement A 2 On
ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche 7 sur 10 B 6 On
ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres 7 sur 10 C 10 On lui attribue des tâches
humiliantes 6 sur 10 A 4 On critique son travail
injustement ou exagérément 5 sur 10 A 14 On lui donne délibérément
des consignes impossibles à exécuter 5 sur 10 C 1 On utilise des propos méprisants pour la qualifier 5 sur 10 Tableau 11 : agissements caractéristiques de
harcèlement les plus fréquemment retrouvés Agissement Au cas où cet agissement serait répété, la preuve
d’un harcèlement moral serait-elle retenue en cas de procès ? A 2 On
ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche Pas
du tout d’accord B 6 On
ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres Ne sait pas (trop dépendant du contexte) C 10 On lui attribue des tâches
humiliantes Plutôt
d’accord A 4 On critique son travail
injustement ou exagérément Pas
du tout d’accord A 14 On lui donne délibérément
des consignes impossibles à exécuter Ne sait pas (trop dépendant du contexte) C 1 On utilise des propos méprisants pour la qualifier Plutôt
d’accord - type
d’agissements générant la plus grande souffrance : - sentiments
éprouvés par les victimes de harcèlement : - caractéristiques
retrouvées chez les victimes de harcèlement : - conséquences
pour l’environnement familial: - importance
du soutien social : - harcèlement
d’un groupe de personnes par un seul individu: Concernant l’Etat de Stress Post-traumatique: - les
victimes de harcèlement moral présentent-elles un ESPT ?: -
proportion de personnes harcelées au travail qui vont
développer un ESPT ou tout du moins présenter des signes cliniques
d’ESPT ?: -
critères du DSM-IV les plus souvent retrouvés chez les
personnes harcelées au travail Dix personnes sur 12 ont
indiqué quelle était la fréquence à laquelle les différents critères
diagnostiques du DSM-IV étaient retrouvés chez les personnes victimes de
harcèlement. Critères du DSM-IV 0 : jamais personnes victimes de harcèlement moral avéré ?
2 : quelquefois 3 :
souvent 4 :
presque toujours 5 :
toujours a b c e f g h j k l A -
L'événement traumatique A1 -
menace de mort ou de blessure A2 - vécu
de peur, impuissance, horreur oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui B -
Symptômes de reviviscence (moy ; σ) B1 -
souvenir répétitif avec détresse 4 3 2 5 5 5 5 3 5 4 (4,1 ; 1,04) B2 - rêves
répétitifs 3 2 3 5 4 5 5 4 4 3 (3,8 ; 0,98) B3 - vécus
comme si... 2 0 4 NSP 2 5 2 4 4 4 (3 ; 1,49) B4 -
détresse psychique lors de l'exposition à 5 3 4 5 2 5 3 4 4 5 (4 ; 1) B5 -
réactivité physiologique à un stimulus 5 2 4 5 2 5 3 4 4 2 (3,6 ; 1,20) C-
Evitement et émoussement de la C1 -
éviter pensées et sentiments évocateurs 4 0 5 0 0 5 0 3 5 0 (2,2 ; 2,27) C2 -
éviter activités, lieux et gens évocateurs 4 4 5 5 5 5 5 4 5 5 (4,7 ; 0,46) C3 - incapacité de se
souvenir d'un aspect... 4 0 3 0 0 5 2 0 2 3 (1,9 ; 1,76) C4 -
réduction intérêt pour activités 5 5 0 4 4 5 NSP 4 4 0 (3,4 ; 1,89) C5 -
sentiment de détachement d'autrui 2 5 0 0 4 5 NSP 0 4 0 (2,2 ; 2,15) C6 -
restriction des affects 2 0 0 2 4 5 0 4 4 0 (2,1 ; 1,92) C7 -
sentiment d'avenir bouché 5 5 3 5 5 5 5 5 5 5 (4,8 ; 0,60) D-
activation neuro- végétative D1 -
difficulté endormissement, 5 5 5 3 5 5 5 5 5 5 (4,8 ; 0,60) D2 –
irritabilité 4 3 5 4 1 5 5 4 4 3 (3,8 ; 1,17) D3 -
difficultés concentration 5 4 5 5 5 5 5 5 5 5 (4,9 ; 0,30) D4 –
hypervigilance 2 2 4 5 4 5 3 4 4 3 (3,6 ; 1,02) D5 -
réaction de sursaut exagéré 2 2 5 0 2 5 3 4 3 0 (2,6 ; 1,69) E - La
durée des symptômes dure oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui F-
entraîne souffrance significative et oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui Tableau 13 : critères du DSM-IV les plus
souvent retrouvés chez les personnes harcelées au travail (à partir de la liste
des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen) a. Dr M.F. Hirigoyen g. Mme M. Pezé b. Dr N. Dantchev h. Mme M. Drida c. Mme A. Mauranges j. Dr M. Pascual- Mme S.
Vasseur e.
Mme A. Waddington k. Dr G. Lopez f. Dr M.C. Soula l. Dr J.P. Alard - C2
: les efforts pour éviter les
activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme. -
délai ente la prise de conscience du harcèlement et
l’apparition de l’ESPT : -
présence d’une dépression associée à l’ESPT : -
éléments prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un
tableau d’ESPT : 2.5.
Conclusion Cette étude nous a d’abord permis de comparer les différences de
perception de la notion de harcèlement moral au travail. Dans un premier temps, il nous est apparu que la réponse à la question du
sens, ou de l’intentionnalité est loin de faire l’unanimité... et peut expliquer
les divergences constatées entre les définitions apportées par les différents
professionnels interrogés. Cela étant, il existe incontestablement un consensus autour des
techniques utilisées pour harceler (atteintes aux conditions de travail, à la
dignité, isolement..) ainsi que sur les conséquences graves des agissements qui
en découlent, notamment en termes de santé et de bien-être. La synthèse des avis des
spécialistes sur la question des agissements caractéristiques nous permet de
suggérer que nous pourrions rechercher spécifiquement les agissements les plus
souvent retrouvés dans une perspective de repérage des situations de
harcèlement. Les critères diagnostiques du DSM-IV évoluent et de nombreux auteurs
s’accordent pour reconnaître la possibilité que de multiples évènements
puissent constituer un traumatisme susceptible d’engendrer les symptômes de
l’ESPT décrits dans le DSM-IV. Dans les situations de
harcèlement moral, nous pourrions ainsi avancer que l’événement traumatisant
tel que décrit dans le DSM-IV ( critère A1 : menace de mort ou de
blessure) est en fait un ensemble de petits agissements, fréquemment rencontrés
dans ces situations, et exercés de façon répétée. Suite à notre enquête, il
s’agirait des critères suivants (retrouvés pour plus de la moitié des
professionnels interrogés) : On ne lui transmet pas
les informations utiles à la réalisation d'une tâche On ignore sa présence en
s'adressant exclusivement aux autres On lui attribue des
tâches humiliantes Par ailleurs, si l’on excepte la question de la présence du critère A1,
pourtant nécessaire au diagnostic si l’on se réfère au DSM IV, nous constatons
que les spécialistes interrogés s’accordent tous sur la présence de symptômes
caractéristiques d’un ESPT dans les situations de harcèlement. Il semblerait que les ESPT (ou névroses traumatiques) soient retrouvés de
façon systématique quand la situation de harcèlement est dépassée et perçue
comme sans issue. Ainsi, les divergences constatées au niveau des pourcentages d’ESPT
retrouvés dans les enquêtes pourraient s’expliquer en partie par le fait qu’une
personne peut être victime d’un harcèlement débutant sans pour autant présenter
les symptômes d’un ESPT. Par contre, si la situation se poursuit et qu’aucune
issue ne semble envisageable, il semblerait quasi-inéluctable que l’évolution
se fasse vers une symptomatologie de ce type. En conclusion, un harcèlement moral entraînerait systématiquement, à
terme, un ESPT si la personne n’est pas sortie à temps de l’environnement de
travail. La complexité du harcèlement moral est liée à la présence de plusieurs
facteurs (caractéristiques de l’agresseur, de la victime et
caractéristiques organisationnelles) ; elle est renforcée par son
caractère subjectif, puisque que le harcèlement est constitué d’impressions
perçues différemment selon les individus et d’émotions totalement personnelles.
M-F. Hirigoyen[113]
estime ainsi que « la difficulté qu’il y a à analyser les situations de
harcèlement moral et à y trouver remède vient de ce que la réalité extérieure,
visible des témoins ou intervenants, n’est pas la réalité psychique de chacun
des protagonistes. Une situation ne prend sens qu’au travers de la subjectivité
des personnes. Ce qui est considéré comme offensant par la personne harcelée,
et l’effet que cette offense produit sur elle, est peut-être disproportionné
par rapport à ce qui a été fait. Notre ressenti dépend de notre histoire, de
notre éducation et de nos blessures passées. ». En raison de cette complexité et de la composante nécessairement
subjective du harcèlement moral, nous avons choisi de ne pas l’exposer
seulement de manière théorique, mais également de l’illustrer à travers la
description et l’analyse d’un cas concret. En effet, ceci permet de rendre
compte de la complexité du phénomène, puisque l’analyse portera tant sur les
types d’agissements perpétrés à l’égard de la victime, sur ses réactions et son
ressenti que sur l’étude des réponses de l’entreprise. Par ailleurs, ce cas a
retenu notre attention dans la mesure où, d’une part, il nous semble
caractéristique des situations de harcèlement, et d’autre part, les dires de la
personne interrogée sont appuyés par des preuves écrites (mails, lettres, etc.,
témoignant des réactions à la fois de la victime, de l’agresseur et de
l’organisation). « A la
limite, il vaudrait presque mieux être licencié, d’un seul coup, plutôt que de
subir la souffrance, la destruction progressive et la répétition quotidienne de
ces petites attaques, qui vous vident, vous lessivent, et vous donnent
finalement l’impression que l’on vous vole votre vie. C’est peut-être ça la
mort, finalement. Je considère que je suis malade, je suis complètement à
soigner. » Pierre Pierre a vécu une enfance facile et sans difficulté
majeure. Son père était médecin ; il a grandi dans une famille unie, où
ses parents lui ont procuré un environnement stable et protégé. Il n’a vécu
aucun traumatisme particulier, et va même jusqu’à définir son enfance par une
absence d’événement marquant. Cet homme de 42 ans n’a jamais rencontré de difficultés lors de son
parcours scolaire, qui fut même brillant, puisque après avoir été premier ou
second de sa classe au collège et au lycée, il a intégré l’une des meilleures
classes préparatoires aux grandes écoles françaises, avant d’intégrer une école
d’ingénieurs. Mû par un profond intérêt pour son domaine d’études,
il vit dans cette formation l’occasion d’allier la recherche à une passion qui
remontait à son enfance. Afin de mener à bien une véritable carrière
scientifique, il termina donc ses études par un doctorat en soutenant une thèse
à Paris. Entre temps, il s’était marié, et à la fin de sa thèse, il trouva un
poste à La Rochelle, ce qui lui permettait de quitter Paris afin de mener à
bien le plan de famille qu’il s’était fixé avec sa femme : avoir six enfants – ce qui était
naturellement plus facile en province. Au bout de quatre ans, Pierre changea
d’employeur, car l’entreprise pour laquelle il travaillait à l’époque l’avait
détaché auprès d’un centre étatique de recherche, d’expertise et d’essais
employant à la fois des civils et des militaires, au sein duquel il se plaisait plus que chez son
premier employeur. Il y disposait, en effet, d’un champ d’action plus large,
d’une latitude de moyens et de possibilités de contacts bien plus intéressants.
Ce centre était une référence dans son domaine scientifique, et il pouvait y
travailler en partenariat avec un important réseau de scientifiques ainsi
qu’avec des sociétés, qui fabriquaient et vendaient les systèmes dont il
participait à la conception. A vu de ses résultats, Pierre fut très rapidement promu responsable de
l’un des services. Pendant 7 ans, il dirigea donc une équipe d’une dizaine de
chercheurs, anima un réseau scientifique, publia beaucoup, encadra de nombreux
thésards et obtint d’excellents résultats. Les bulletins de notation
correspondant à ces années sont éloquents : « excellence compétence
scientifique, très bons résultats avec les organismes extérieurs, a beaucoup
œuvré pour le rayonnement du centre... » Il avait de nombreux contacts avec son chef de secteur, scientifique de
haut niveau, qui appréciait particulièrement son dynamisme, ses capacités
relationnelles qui lui avaient permis de motiver son équipe et ses larges
compétences scientifiques ( toutes ces expressions sont extraites des bulletins
de notation). En 1993, le chef de secteur fut remplacé par un ingénieur militaire
débutant, X. Pierre eut donc avec lui moins d’occasions d’échanger ses points
de vue sur des questions scientifiques. Ses résultats étaient toujours
excellents et il reçu deux ans après, la fonction de conseiller scientifique du
centre. Un des collaborateurs de Pierre, que nous appellerons H, responsable d’un
service collatéral, entrepris alors de dénigrer systématiquement le nouveau
chef devant Pierre qui, à vrai dire, n’y prêtait guère attention. Pour autant,
H semblait vouloir se rapprocher de ce chef et recherchait fréquemment les
contacts avec lui. A la même époque, un nouvel ingénieur, fut affecté dans le service de
Pierre. Cet ingénieur avait des difficultés à travailler en collaboration avec
les autres membres de l’équipe à tel point qu’une jeune thésarde qu’il avait
lui-même recrutée quitta le service du jour au lendemain pour ces raisons. Il
obtenait par ailleurs des résultats médiocres quand il effectuait des travaux
de recherche. Il fut reproché à Pierre, en fin d’année, de ne pas avoir su l’intégrer à
l’équipe. Cet épisode marqua très progressivement le début d’une série de
remarques concernant les capacités relationnelles et de gestion d’équipe de
Pierre. Il le comprit d’autant plus mal que le reste de l’équipe était soudé et
performant et que H, qui prit ultérieurement cet ingénieur dans son service,
eut de gros problèmes relationnels et de collaboration avec lui. En 1997, un événement très surprenant se produisit : alors que
Pierre continuait à obtenir d’excellents résultats, son chef, X, qui devait
changer d’affectation très prochainement, le convoqua dans son bureau et lui
montra un tee-shirt sur lequel était imprimée la photo de Pierre portant une
inscription « enfin débarrassé » tout en
déclarant : « regarde ce qu’on m’a offert pour mon
départ ! ». Certes, Pierre n’avait jamais eu beaucoup de contacts
avec ce chef, mais il n’avait jamais éprouvé l’impression d’une quelconque
tension avec lui. Il resta donc absolument interdit devant ce tee-shirt, mais
décida de ne pas donner suite à cet événement, ce chef devant être muté dans
les jours qui suivaient, il pensait que cette affaire n’aurait pas de suites. X fut remplacé à son poste par le collatéral de Pierre, H, bien que
celui-ci, bénéficiant de la même ancienneté que Pierre, fût beaucoup moins
diplômé que lui. Pour autant, cette promotion n’affecta aucunement
Pierre ; son équipe continuait à produire de nombreux travaux et il était
passionné par son travail de chercheur. Il pensa même que H, scientifique et à
la tête d’un service depuis plusieurs années, remplacerait avantageusement X
qui manquait d’expérience. Et pourtant, c’est à partir de ce moment que la
situation de Pierre commença à se dégrader : diminution significative des
budgets accordés au fonctionnement de son service alors que les autres services
n’avaient pas ce genre de soucis, tracasseries administratives... et bulletins de
notation sur lesquels apparurent progressivement des remarques concernant sa
façon d’être : « excellent scientifique, rayonnement exemplaire,
connaissances encyclopédiques », mais « singulièrement inconstant
dans ses actions, les menant rarement à leur terme car elles perdent sans doute
très vite leur attrait dès que les études de faisabilité démarrent... » ou
bien « personnalité originale et attachante qui justifie une grande indulgence
de la part de son autorité hiérarchique... ». Remarques qui n’étaient
assorties d’aucune explication et qui tranchaient avec les appréciations des 7
années précédentes sans que Pierre ne puisse l’expliquer. Il commença à douter
et à se sentir mal à l’aise. D’autant plus qu’en 1999, il fut averti par une
note de service, sans explication à nouveau, qu’il était nommé par intérim au
poste qu’il occupait depuis de nombreuses années. Aussi, lorsqu’à nouveau par
une note de service, il fut nommé « commercial » au sein de la
nouvelle division « affaires » que le centre venait de créer, il y
vit une occasion de rebondir, d’oublier ces tracasseries, bien qu’appréhendant
le fait de n’avoir aucune formation dans ce domaine. Il ne contesta donc pas
les ordres de sa hiérarchie militaire. Sa nouvelle mission fut de démarcher les
institutions privées pour vendre les prestations du centre. H fut nommé
responsable de ce service. Pendant les deux années que Pierre passa dans ce
service sous les ordres de H, ses conditions de travail se dégradèrent d’une
façon dramatique : injonctions paradoxales récurrentes, humiliations,
brimades dont quelques exemples seront donnés dans le chapitre suivant.
L’intérêt du service « affaires » n’était pas ce qui importait puisqu’à
plusieurs reprises, on empêcha Pierre de se déplacer pour signer des contrats
qui devaient rapporter des sommes importantes au centre et pour lesquels il
avait travaillé durant de nombreuses heures. On envoyait de jeunes ingénieurs à
sa place qui, par manque d’expérience, ne pouvaient concrétiser les actions
entreprises par Pierre. Tout cela n’avait aucun sens pour lui ; excepté
qu’il commençait à comprendre qu’il se battait « comme un moulin à
vent » pour son reprendre sa propre expression, et que quoi qu’il fasse, quel
que soit le mal qu’il se donnait pour accomplir sa mission de chargé
d’affaires, rien ne pourrait aboutir car H, sans lui en donner l’explication,
faisait en sorte que ses actions ne puissent aboutir et par là-même,
l’empêchait de respecter ses objectifs définis en début d’année. On alla même jusqu’à supprimer de la base de données
informatiques plusieurs affaires dont notamment sa plus grosse affaire de
l’année. Pierre demanda des explications et on lui répondit que « de
toutes façons, il fallait faire du ménage » et que ces affaires
« encombraient la base de données ». Paradoxalement, malgré toutes les brimades et les
humiliations qu’il subissait de la part de H qui, par exemple, lui faisait
remarquer très régulièrement d’un ton ironique qu’il ne comprenait pas comment
il trouvait encore la force de travailler pour un salaire de misère comme le
sien (Pierre n’avait pas eu de promotion depuis 5 ans et son salaire n’avait
donc pas été augmenté depuis ce temps), et le surnommait « le grouillot de
base », il garda son titre de conseiller scientifique du centre. Les ordres que Pierre recevait devenaient de plus en
plus contradictoires, dépourvus de sens ; et malgré tous les efforts qu’il
fournissait, son travail était toujours réduit à néant. Il tenta de confier sa souffrance au médecin du
travail, mais celui-ci bien qu’affirmant le comprendre n’entreprit aucune
action. Pierre pensa alors à démissionner mais son état de
santé s’était tellement dégradé (insomnies, cauchemars récurrents, angoisse,
sentiment de doute très important...) qu’il se sentait « incapable de mener
à bien un entretien d’embauche ». De plus, ses charges familiales ne lui
permettaient pas de rester longtemps sans travail... Alors que toutes ses tentatives pour faire face et trouver une issue à sa
situation demeuraient vaines, des malversations émanant d’un centre dépendant
de la même direction furent dénoncées et sanctionnées par la justice. Le juge
parlait « d’associations de malfaiteurs qui agissaient en bande
organisée». Pierre qui connaissait,
comme beaucoup d’agents, les pratiques similaires qui avaient eu lieu dans son
centre, écrivit quelques lignes au procureur, suggérant qu’il avait été témoin
d’exactions similaires dans son centre. Son geste fut suivi d’effets puisque
qu’il y eut enquête et auditions de témoins. Rétrospectivement, Pierre pense que dans un autre contexte, il n’aurait
pas agi de la sorte, en tous cas, pas seul. Il se définissait à l’époque comme
« exsangue » tant sur le plan moral et sur le plan du travail ;
tous ses efforts pour tenter de redresser sa situation professionnelle étaient
restés vains et il n’avait trouvé aucun soutien, tant du côté de ses collègues
de travail que du côté des institutions telles que la médecine du travail. Il
vit plutôt dans cette dénonciation une ultime occasion de dénoncer un système
qui promouvait la malhonnêteté et les « magouilles » de toutes
sortes, et qui n’hésitait pas, en autres, à cautionner les pratiques dont il
faisait l’objet, au détriment de l’intérêt du centre, et donc celui de l’Etat. Suite au geste de Pierre, le collectif se structura rapidement et
personne ne lui serra plus la main, il fut « complètement éjecté ».
Dans ce contexte, il demanda à réintégrer son ancien service, ce qui fut
accepté, mais il redevint simple ingénieur, sous les ordres de ceux qu’il avait
encadrés pendant longtemps ; une sorte de « mise au placard »,
puisque si au début, on lui confia quelques missions habituellement réservées
aux débutants, bientôt il n’eut absolument plus rien à faire et ne fut même plus
convoqué aux réunions. Il demanda à être muté dans un autre centre : aucune réponse de sa
hiérarchie. Puis il tenta d’alerter le CHSCT, à qui il demanda d’examiner sa
situation lors de la prochaine réunion... et reçut en réponse une lettre de son
directeur lui demandant « d’arrêter de faire pression sur le CHSCT et ,
pourquoi pas, de se mettre au travail ! ». Demande paradoxale puisque
Pierre, réduit à l’inactivité, lui avait adressé à plusieurs reprises des
courriers dans lesquels il demandait précisément à ce que des tâches lui soit
affectées. Pierre, soutenu par sa famille, est depuis peu aidé par un avocat. Suite
aux courriers de ce dernier, il a été récemment affecté à un poste de chargé de
mission. Sa fiche d’objectifs indique ses deux missions principales : -
organiser un travail dans un domaine que sa direction lui a
signalé ne plus faire partie des axes stratégiques du centre -
et... organiser sa mutation. 3.3.1. Recensement des agissements subis Le but de ce mémoire
étant de trouver des corrélations entre une situation (de harcèlement moral) et
une pathologie spécifique (un Etat de Stress Post-Traumatique), il convient,
préalablement à toute analyse, de diagnostiquer de la façon la plus rigoureuse
possible la situation de souffrance psychique au travail. L’outil de diagnostic le plus fréquemment utilisé dans le cadre de la
recherche sur le harcèlement moral (Suisse, Canada, Belgique, pays
scandinaves...) est le LIPT (Leymann Inventory of Psychological Terrorization) qui est une liste des actes constitutifs de mobbing établie par Heinz Leyman ; y sont ajoutés des
critères de fréquence et de durée : pour être considérée comme relevant de
harcèlement, une situation doit comporter la présence d’au moins un agissement
qui doit se reproduire au moins une fois par semaine et ce pendant 6 mois au
minimum. Pour notre part, nous avons retenu, en tant qu’aide au
diagnostic, la liste des critères définis par M.F. Hirigoyen à laquelle nous
avons associé les critères de fréquence et de durée tels que définis dans le
LIPT, et un critère supplémentaire : celui de la souffrance ressentie pour
chaque type d’agissement. Le choix de cette liste a été motivé, comme nous l’avons vu dans la
première partie de ce mémoire, par le fait que la notion de harcèlement moral
recouvrait des réalités différentes selon les pays. D’autre part, comme
Christophe Dejours le signalait lors de la réunion de l’A.F.P.P.S.[114]
, consacrée en 2000 au thème du harcèlement moral : « dans la
mesure où le terme ‘harcèlement moral’ est retenu, que Marie-France Hirigoyen
l’a introduit, il serait absurde de remettre en cause la définition
qu’elle en donne ». Nous considérons en effet que le succès et la portée
de ses ouvrages correspondent à la conception du harcèlement moral retenue par
une majorité de Français. Par ailleurs, afin de préciser les éléments recueillis dans la liste,
d’effectuer des liens avec l’organisation de travail et d’aborder la question
du vécu subjectif des évènements, nous avons choisi de réaliser des entretiens
cliniques. Ces échanges d’une durée d’une
heure trente en moyenne, ont eu lieu à quatre reprises. Ils étaient menés dans
le cadre d’un travail de recherche et leur finalité n’était donc pas celle
d’une thérapie. Ils étaient non directifs, même si nous souhaitions aborder
certains thèmes. a. agissements hostiles
retrouvés en se référant à la liste établie par Marie-France Hirigoyen[115] Le tableau d’agissements présenté à la page suivante prend en compte : - la
période des agissements : en se basant sur les 4 stades du processus
de harcèlement décrits par Heinz Leymann [116],
pour notre exemple, nous avons réparti les différentes phases de la façon
suivante : . Stade I (1993-1995) :
agissements difficilement repérables . Stade II ( 1996-2000) : isolement et
dégradation progressive des conditions de travail . Stade III (
2001-2003) : intensification du processus d'exclusion ;
décompensation ; mesures officielles
de la direction. -
la fréquence des agissements : en adoptant le
barème suivant : . 0 :
jamais .
1 : occasionnellement .
2 : une fois/ mois .
3 : une fois/ semaine .
4 : difficilement quantifiable mais conséquences quotidiennes .
5 : au moins une fois/ jour -
l’intensité de la souffrance générée par les agissements :
en adoptant le barème suivant : .
0 : pas de souffrance .
1 :souffrance à peine sensible .
2 :légère souffrance .
3 : souffrance moyenne .
4 : forte souffrance . 5 : souffrance
intense LISTE
DES AGISSEMENTS HOSTILES ( classification de MF Hirigoyen) Pér Fréq Souf A1 : On retire à la victime son
autonomie 2-3 4 5 A2 : On ne lui transmet pas les
informations utiles à la réalisation d'une tâche 2-3 4 4 A3 : On conteste systématiquement
toutes ses décisions - - - A4 : On critique son travail
injustement ou exagérément 2-3 2 3 A5 : On lui retire l'accès aux
outils de travail ( téléphone, fax, ordinateur...) 2-3 1 1 A6 :On lui retire le travail qui
normalement lui incombe 3 1 5 A7 :
On lui donne en permanence des tâches nouvelles - - - A8 :
On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à
ses compétences 2-3 4 5 A9 :
On fait pression sur elle pour qu'elle ne fasse pas valoir ses droits (
congés, horaires, primes) 3 1 4 A10 :
On fait en sorte qu'elle n'obtienne pas de promotion 2-3 4 5 A11 :
On lui attribue contre son gré des travaux dangereux - - - A12 :
On lui attribue des tâches incompatibles avec sa santé - - - A13 :
On occasionne des dégâts à son poste de travail 3 1 3 A14 :
On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter 3 4 5 A15 :
On ne tient pas compte des avis médicaux formulés par le médecin du travail - - - A16 :
On la pousse à la faute 3 1 0 B1 :
On interrompt sans cesse la victime - - - B2 :
Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus 2-3 5 3 B3 :
On communique avec elle uniquement par écrit 2-3 3 3 B4 :
On refuse tout contact même visuel avec elle 3 5 4 B5 :
On l'installe à l'écart des autres - - - B6 :
On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres 2-3 2 3 B7 :
On interdit à ses collègues de lui parler - - - B8 :
On ne la laisse plus parler aux autres - - - B9 :
La direction refuse toute demande d'entretien - - - C1 :
On utilise des propos méprisants pour la qualifier 2-3 2 5 C2 :
On utilise envers elle des gestes de mépris ( soupirs, regards méprisants,
haussements d'épaules - - - C3 :
On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés 1-2-3 3 5 C4 :
On fait courir des rumeurs à son sujet - - - C5 :
On lui attribue des problèmes psychologiques ( on dit que c'est une malade
mentale) - - - C6 :
On se moque de ses handicaps ou de son physique; on l'imite ou on la
caricature - - - C7 :
On critique sa vie privée 2-3 1 0 C8 :
On se moque de ses origines ou de sa nationalité - - - C9 :
On s'attaque à ses croyances religieuses ou à ses convictions politiques 2-3 1 0 C10 :
On lui attribue des tâches humiliantes - - - C11 :
On l'injurie avec des termes obscènes ou dégradants - - - D1 :
On menace la victime de violences physiques - - - D2 :
On l'agresse physiquement, même légèrement, on la bouscule, on lui claque la
porte au nez - - - D3 :
On hurle contre elle - - - D4 :
On envahit sa vie privée par des coups de téléphone ou des lettres - - - D5 :
On la suit dans la rue, on la guette devant son domicile 3 1 1 D6 :
On occasionne des dégâts à son véhicule - - - D7 :
On la harcèle ou on l'agresse sexuellement ( gestes ou propos) - - - D8 :
On ne tient pas compte de ses problèmes de santé - - - Tableau 15 : recensement des agissements
hostiles b. agissements
retrouvés, non répertoriés dans la liste de M.F. Hirigoyen Deux types d’agissements n’ont pu être répertoriés.
Il s’agit : - des injonctions
paradoxales, très caractéristiques des situations de harcèlement moral. Michèle Drida,
présidente de l’association Mots pour Maux au Travail[117]
constate que la manipulation du paradoxe est une pratique couramment utilisée
dans le harcèlement moral et rajoute « que les gens ont l’impression de
devenir fous. Ils luttent contre ces tentatives de les rendre fous en
s’accrochant justement au travail (...) » Dans le cas étudié,
de multiples exemples pourraient être donnés, les relations entre Pierre et sa
hiérarchie étant basées sur ce type de fonctionnement. Par exemple, depuis
2002, Pierre n’a pas obtenu de fiche de poste définissant clairement ni ses
fonctions ni sa position hiérarchique. Sa fiche d' objectif
annuel mentionnait pour 2003 qu'il devrait d'une part promouvoir une activité
dont il était dit sur la fiche de notation de l’année précédente qu’elle ne
faisait pas partie des axes stratégiques du centre, d’autre part de contacter
et rencontrer officiellement la DRH pour une mutation éventuelle. Pierre rédigea donc
un fax de demande de rendez-vous à l’attention de la DRH, fax que son directeur
refusa d’envoyer ( « dans quel cadre veux-tu envoyer ce
fax ? »). - du fait que l’on s’approprie les travaux de la
victime. L’exemple donné par
Pierre est celui de travaux et de publications scientifiques qu’il avait
entièrement réalisées et que d’autres personnes, désignées par la hiérarchie,
présentèrent en leurs noms propres, sans que Pierre fut invité à participer 3.3.2. Commentaires Le harcèlement moral n’est pas facile à
repérer ; son efficacité réside justement dans l’insignifiance des
agissements qui le constituent. Il n’agit pas en une fois, à travers un
événement traumatisant, certes, mais facile à identifier ; au contraire,
c’est à travers l’accumulation sournoise d’agissements séparés, dont la
constante répétition finit par faire plonger la victime dans un état de
décompensation sévère de façon si progressive qu’elle-même peut ne pas s’en apercevoir,
que ce phénomène se manifeste dans toute son ampleur. Bien souvent, comme cet exemple nous le prouve, les
actes constitutifs de harcèlement moral ne sont pas infamants en tant que tels,
s’ils sont déconnectés du contexte dans lequel ils sont commis. Ainsi, pour se
justifier, pour prouver l’impact que ces agissements ont eu sur elle, la
victime est tenue de les resituer dans leur contexte, de les relier à d’autres
événements. C’est ainsi qu’ils prennent tout leur sens, mais aussi qu’ils
contribuent à l’isolement de la victime dans la mesure où cette dernière se
situe en position permanente de justification, lassant à la longue son
entourage. 3.3.3. Analyse des résultats obtenus a.
répartition des agissements par catégorie : Nombre d’agissements
(retrouvés au moins 1 fois/semaine pendant au
minimum) Atteintes aux conditions de travail 5 Isolement et refus de communication 3 Atteintes à la dignité 1 Violence verbale, physique ou sexuelle 0 Tableau 16 :répartition des agissements par
catégorie On remarquera qu’un seul agissement de la catégorie
« atteintes à la dignité » a été retenu sur la base des critères de
fréquence d’H. Leymann. Pour autant, certaines paroles proférées de façon
régulière, sans que l’on puisse pour autant parler de fréquence hebdomadaire,
ont profondément affecté Pierre. Par ailleurs, la prédominance des atteintes aux
conditions de travail corrobore l’avis des spécialistes interrogés à ce sujet
(voir chap. II, p 119). b agissements
les plus souvent retrouvés Atteintes
conditions de travail A1 On retire à la victime son autonomie A2 On ne lui transmet pas les
informations utiles à la réalisation d’une tâche A8 On lui attribue
volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences A10 On fait en sorte
qu’elle n’obtienne pas de promotion A14 On lui donne délibérément des consignes
impossibles à effectuer Isolement, refus de
communication B2 Ses supérieurs
hiérarchiques ne lui parlent plus B3 On communique avec
elle uniquement par écrit B4 On refuse tout
contact, même visuel avec elle Atteintes à la
dignité C3 On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des
subordonnés Tableau 17 : agissements les
plus souvent retrouvés Nous remarquons que deux des agissements en rapport avec
les atteintes aux conditions de travail cités par Pierre font partie des 6
agissements les plus fréquemment cités par les professionnels interrogés lors
de l’enquête (voir chap. 2 p. 119). Il s’agit des critères A2 et A 14. c. agissements
ayant généré la plus grande souffrance
Souffrance intense A1 On retire à la victime son autonomie A6 On lui retire le travail qui
normalement lui incombe A8 On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches
inférieures à ses compétences A10 On fait en sorte qu’elle n’obtienne pas
de promotion A14 On lui donne délibérément des
consignes impossibles à effectuer C1 On utilise des propos méprisants pour
la qualifier C3 On la discrédite auprès des collègues,
des supérieurs ou des subordonnés Forte souffrance A2 On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une
tâche A9 On fait pression sur elle pour qu’elle
ne fasse pas valoir ses droits B4 On refuse tout contact, même visuel
avec elle Tableau 18 : agissements ayant généré la plus grande
souffrance La plupart des atteintes aux conditions de travail
entraînent une souffrance intense, de même que les atteintes à la
dignité ; l’isolement et le refus de communication semblent générer une
souffrance moindre chez Pierre... Ces constatations contrastent avec les impressions
des spécialistes qui estiment globalement que les atteintes aux conditions de
travail engendrent moins de souffrance que celles des autres catégories
d’agissements. Nous pensons que cette divergence est vraisemblablement
en rapport avec la façon dont Pierre avait très fortement investi son travail. e. remarques sur le
système de mesure des fréquences d'occurrence des évènements : Il a souvent été difficile, dans le cas que nous
avons étudié, de préciser la fréquence à laquelle les agissements étaient
effectués. En effet, autant il est facile, quand on ne vous serre plus la main
le matin, d’affirmer que cet agissement est quotidien, autant il est plus
difficile de déterminer la fréquence à laquelle sont effectués d’autres
agissements. Par exemple, si nous reprenons le critère A8
« on vous attribue volontairement et systématiquement des tâches
inférieures à vos compétences », l’attribution de ces tâches ne se fait
pas quotidiennement, mais c’est quotidiennement que vous effectuez ces tâches
inférieures à vos compétences. Ce type de situation a été classé dans la
catégorie de fréquence 4 : « difficilement quantifiable, mais
conséquences quotidiennes ». En tout état de cause, la situation que nous
avons choisi d’étudier correspond à une situation de harcèlement moral selon
les critères de fréquence et de durée définis par Heinz Leyman puisque même
en exceptant la catégorie de fréquence 4 (appliquée pour 5 types d’agissements
tous retrouvés dans la classe « atteinte aux conditions de travail), 2
agissements sont exercés quotidiennement, et 1 de façon hebdomadaire, sur une
durée de plus de 6 mois. 3.4.1. Styles de coping Les évaluations de la situation déterminent un choix de « styles de
coping », qui sont des stratégies proposées par un individu afin de faire
face à des situations évaluées comme stressantes. Dans le cadre de notre étude, nous avons utilisé l’inventaire de coping
pour situations stressantes (CISS)[118],
qui est une mesure multidimensionnelle des styles de coping orientés vers la
tâche, l’émotion et l’évitement. Cet inventaire mesure la façon dont les sujets
gèrent le stress et ce qu’ils font habituellement lorsqu’ils sont confrontés à
un événement stressant. Il comporte 48 items, et à chaque fois, il est demandé
au sujet d’indiquer ce qu’il ressent habituellement lorsqu’il a des soucis
professionnels, quand il vit des situations ou des événements difficiles, sur
une échelle en cinq points qui vont de 1 : « pas du tout »
à 5 : « beaucoup ». L’analyse de ce questionnaire, sans qu’il me soit permis de parler de
validité d’interprétation, a apporté des éléments corroborant ce que nous
avions constaté lors des entretiens : il semble que les composantes de la
personnalité de Pierre soient à l’origine de stratégies de coping
essentiellement centrées sur la tâche, la résolution des problèmes. Dans la mesure où des travaux récents (enquête auprès d’une cohorte de
victimes d’un attentat terroriste en décembre 1996)[119]
ont pu montrer une corrélation négative entre les stratégies de coping centrées
sur la tâche et la sévérité de l’ESPT (alors que cette corrélation est positive
pour les stratégies de coping centrées sur les émotions et non significative
pour les stratégies centrées sur l’évitement), il serait intéressant d’étudier
les relations entre stratégies de coping et intensité des troubles liés cette
fois-ci à une situation de harcèlement moral. En ce qui concerne Pierre, les stratégies de coping essentiellement
centrées sur la tâche et la résolution des problèmes, n’ont pas eu d’effet
protecteur : l’impossibilité d’action et d’interaction avec
l’environnement, souvent caractéristique des situations de harcèlement moral a
renforcé le désarroi de Pierre et a abouti à la décompensation grave que nous
avons évoquée. 3.4.2. Stratégies d’adaptation selon les phases du processus de
harcèlement S’inspirant des travaux de Nield[120]
et partant de l’hypothèse que le harcèlement moral au travail se structure en
quatre stades (Leymann, 1996[121])
et qu’au début de ce processus, les victimes utilisent des stratégies
d’adaptation constructives qui, si elles n’aboutissement pas aux effets
escomptés, sont remplacées par des stratégies d’adaptation destructives, un
travail de recherche a été récemment été effectué[122]
sur les stratégies d’adaptation spécifiques aux différents stades du
harcèlement. Les stratégies d’adaptation constructives sont celles qui visent à faire
resurgir des conditions de travail satisfaisantes (informer les supérieurs ou
les collègues de la situation, suggérer des améliorations, ou tout simplement
attendre en espérant que la situation s’arrangera par elle-même) Les stratégies d’adaptation destructives tendent à rompre la relation
entre le travailleur et son organisation (arrêts de travail, comportements
d’obstruction, demandes de mutation, etc...) Il a été tout d’abord été démontré que le déroulement des faits de
mobbing correspondait bien au modèle proposé par Leymann pour la plupart des
sujets interrogés. Dans un second temps, l’hypothèse selon laquelle les victimes de
harcèlement mettent en place des stratégies d’adaptation spécifiques au stade
du processus a été partiellement vérifiée. On constate en effet que les stratégies décrites par
les victimes au cours du stade I sont uniquement constructives. Au cours du
stade II, les victimes utilisent un panel de stratégies, tant destructives que
constructives, pour n’utiliser que des stratégies destructives au cours des
stades III et IV. Ces données semblent s’appliquer à l’exemple que nous avons choisi
d’analyser : -
au cours des stades I et II, Pierre s’est fortement investi
dans son travail afin de prouver qu’il pouvait obtenir de bons résultats malgré
la dégradation progressive de ses conditions de travail. Ainsi, par exemple,
lorsque des crédits lui étaient refusés pour l’achat de matériel nécessaire à
la réalisation de ses travaux de recherche en cours, et alors que les services
collatéraux n’étaient pas concernés par ce type de problème, il se retournait
vers d’autres centres de recherche qui disposaient du matériel voulu. De même, à partir du
moment où il fut nommé commercial, il s’investit fortement dans cette nouvelle
fonction, cherchant par tous les moyens, malgré les obstacles qu’il
rencontrait, à remplir ses objectifs. Pierre pris conscience des faits de harcèlement
moral dont il était l’objet à la fin de cette période. -
c’est durant la troisième période (stade III), qu’il prit
réellement conscience de l’impossibilité de remédier à la situation. Son but ne fut plus
alors de maintenir ou de faire resurgir coûte que coûte une relation
satisfaisante avec son milieu de travail, mais de prouver la nature des
agissements dont il était l’objet, en vue d’une éventuelle réparation, incluant
la possibilité d’être muté. Il commença ainsi à garder des preuves (mails,
courriers), prit contact avec une association et un avocat. De nombreux auteurs ont analysé les conséquences du
harcèlement moral sur la santé des personnes. Les consultations spécialisées
ont notamment permis de préciser le tableau clinique et le cadre nosographique
dans lequel se situent les personnes victimes de harcèlement. Ainsi, si la
période d’installation des troubles (phase d’alerte) est peu spécifique, au
cours de la phase d’état, le tableau clinique s’apparente à celui de la névrose
traumatique. Dans son ouvrage sur le harcèlement moral au travail[123],
Marie-France Hirigoyen explique que « lorsque le harcèlement moral est
récent et qu’il existe encore une possibilité de riposte ou un espoir de
solution, les symptômes sont d’abord très proches du stress ». La phase d’alerte se caractérise donc par une tentative d’adaptation de
l’organisme au danger pouvant se traduire par diverses manifestations
psychosomatiques (anxiété, troubles du sommeil, palpitations, consommation
d’alcool, nausées...). En général, la personne ne s’exprime pas dans cette phase. Elle fait
preuve d’une hypervigilance au travail, d’un activisme défensif supposé la
mettre à l’abri des critiques et des brimades. Cette phase d’alerte est donc difficile à repérer. 3.5.2. La phase de décompensation en deux temps a. premier temps Si le processus de
harcèlement perdure, la victime va alors décompenser. Cette décompensation peut
se faire selon plusieurs modes : -
anxiété généralisée, telle que décrite par Marie-France Hirigoyen et
Heinz Leymann. S’y associent des phénomènes de ressassement et parfois des
conduites d’évitement. -
pathologies dépressives ; l’enquête réalisée auprès des médecins du
travail de la région PACA par J. et P. Chiaroni[124]
réalisée sur la base d’un échantillon de 489 personnes identifiées comme
victimes de harcèlement moral indique que 70 % des salariés présentent des troubles
de l’humeur dépressifs et que 13 d’entre eux ont tenté de se suicider) -troubles
psychosomatiques : digestifs, endocriniens, dermatologiques,
cardiaques, amaigrissement...) -
la forme de décompensation la plus grave correspond à la névrose traumatique
ou Etat de Stress Post-Traumatique, décrite aussi bien par Marie-France
Hirigoyen que par Heinz Leymann, et que nous avons abordée dans le chapitre
précédent. b. deuxième temps Dans son ouvrage, le harcèlement moral dans la vie
professionnelle, Marie-France Hirigoyen
indique que toutes les victimes, à de rares exceptions près, subissent une
déstabilisation importante, pouvant conduire à des changements durables de la
personnalité. Cette décompensation structurelle est décrite par Marie
Pezé et Marie-Christine Soula[125] :
« Derrière ce tableau de névrose traumatique spécifique, immédiatement ou
à distance, c’est avec sa structure de personnalité que le patient
décompense : bouffée délirante aiguë, dépression grave, désorganisation
psychosomatique, paranoïa...Toutes les lignées structurelles sont représentées,
témoignant du fait que le harcèlement ne vise pas une personnalité
particulière, mais se révèle d’une redoutable nocivité pour toutes. » 3.5.3. Application au
cas concret a. modifications
de l’état de santé Notre exemple montre que, dans un premier temps (qui correspond à la
première phase décrite ci-dessus), Pierre décrit des troubles du sommeil, des
cauchemars, des nausées, une perte de tonus et de confiance en lui ainsi qu’une
consommation d’alcool. A ces signes, s’ajoutent des sentiments d’humiliation, d’injustice et
d’absurdité. Puis, dans un
second temps, apparaissent des signes cliniques superposables à ceux d’un ESPT
: - reviviscence
des évènements : souvenirs répétitifs et anxiogènes des évènements,
cauchemars au cours desquels il revit les agressions subies, sentiment de
grande détresse lorsqu’il est exposé à des situations évoquant celles vécues
sur son lieu de travail. - évitement
des stimuli associés aux évènements et émoussement de la réactivité générale : évitement des personnes,
activités, lieux, pensées et sentiments évoquant sa situation professionnelle,
amnésie de certains aspects des évènements (Pierre se rappelle par exemple
qu’on a offert un T-Shirt à son effigie portant l’inscription « enfin
débarrassé » à son directeur, mais il est incapable de se souvenir des
circonstances de cet événement), réduction d’intérêt pour ses activités
habituelles, sentiment d’avenir bouché, sentiment de détachement des autres. - symptômes
persistants d’hyperactivité neurovégétative :
difficultés d’endormissement et sommeil systématiquement interrompu, pleurs
fréquents, troubles de la mémoire, difficultés de concentration, sueurs
froides. Un tic est également apparu ( secousses de la tête). - à ces symptômes qui persistent depuis 2
ans, il faut ajouter : .
une perte d’estime de soi très importante, .
un désarroi identitaire (perte des repères moraux : le bien, le mal, le
juste, l’injuste...) .
un sentiment de culpabilité .
une position défensive de justification .
des idées suicidaires ( « j’ai l’impression d’être en sursis et
préfèrerais être mort »). Pierre est sous
anti-dépresseurs (Prozac) et anxiolytiques (Lexomil) depuis deux ans. Il a été
mis en arrêt de travail à trois reprises (en raison d’une peur panique à l’idée
de se rendre à certaines réunions où il était prévu qu’il rencontre son
agresseur), mais pour une durée très courte. Comment évaluer le
risque et quels sont les facteurs de protection face aux situations
stressantes, aux micro-traumatismes caractérisant le harcèlement moral ? Indépendamment des agissements subis, un certain nombre de facteurs,
interagissant les uns avec les autres, vont amener la personne à développer des
troubles plus ou moins importants. Le Docteur Thurin, dans son ouvrage Stress, pathologies et immunité identifie ces facteurs : a. les facteurs
génétiques b. les facteurs
biographiques ; un sentiment
d’insécurité et de non-confiance dans la vie ayant pour origine un
environnement précoce insécurisant, des évènements de vie antérieurs
(négligences, divorces, catastrophes...) ou une histoire psychopathologique
familiale sont des facteurs extrêmement importants de vulnérabilité au stress. Dans le cas de Pierre, l’anamnèse n’a pas retrouvé
de tels éléments. c.
les facteurs
sociaux incluant le soutient
psychologique et social et la possibilité d’aide médicale et juridique. L’importance du soutien social semble considérable. Dans notre exemple, Pierre, bien qu’ayant peu tendance à se confier, a
bénéficié d’un soutien social qu’il décrit globalement comme très satisfaisant
(un ami et plusieurs membres de sa famille). Par contre, le médecin du travail,
bien que sollicité, n’a pas pris sa demande d’aide en considération. Durant l’enfance, un
environnement familial anxieux peut à terme devenir un facteur de
vulnérabilité, ceci s’expliquant par le fait que la personne risquera de
ressentir et de percevoir les évènements comme étant plus dangereux. De plus, il existe un
risque accru de développement d’ESPT chez les sujets dont un membre de la
famille soit présente ce trouble, soit souffre d’une dépression ou d’un trouble
anxieux. Ces éléments n’ont pas
été retrouvés dans l’environnement familial de Pierre. e. les
facteurs neuro-cognitifs et intellectuels Les personnes ayant une forte sensibilité
émotionnelle associée à des ressources cognitives faibles sont plus exposées
aux répercutions d’un événement traumatique que les autres. Nous ne retrouvons pas non plus ces
éléments dans notre exemple. - les personnalités de type A caractérisées par
une hyper-réactivité psychologique et physiologique, une tendance à
l’hostilité, à la colère facile, la compétition et la dureté. - les
personnalités de type C marquées par le déni, la suppression des émotions,
une amabilité « pathologique » , une patience et une compliance
exagérées, une hyper- rationalité et un évitement des conflits. Ce mode de
défense s’avère longtemps fonctionnel, jusqu’à ce que l’accumulation de stress
et d’épreuves entraînent une dépression et des réactions de désespoir et de
solitude. Dans notre exemple, la
personnalité de Pierre ne semble pas superposable aux deux types décrits ci-dessus. i.
les comportements d’adaptation et les attitudes : une adaptation centrée sur le problème, une
attitude optimiste, une expression pondérée de sa détresse, une faible
hostilité sont des facteurs de bon pronostic. Ces caractéristiques semblent
correspondre aux comportements et attitudes de Pierre. Nous rajouterons à cette liste des
caractéristiques envisagées comme facteurs de risque spécifiques aux situations
de harcèlement moral au travail par plusieurs spécialistes interrogés et
que Pierre semble particulièrement posséder: -
un sentiment aigu de la
justice, -
des valeurs d’honnêteté,
de loyauté, d’intégrité, de droiture -
le fait d’être très
investi dans son travail, Les personnes possédant ces qualités éprouvent
d’autant plus de souffrance face aux attaques perverses dont elles sont l’objet
qu’elles sont précisément attachées à leurs valeurs éthiques. En conclusion,
le harcèlement moral dont Pierre était l’objet a entraîné, et ce malgré
l’absence, à priori, de facteurs de risque marquants(mises à part les
caractéristiques énoncées ci-dessus), le développement d’un ESPT. Si les facteurs de risque et de protection peuvent
influencer la mise en place et le développement de troubles
médico-psychologiques (dont l’ESPT), dans le cadre du harcèlement moral, qu’en
est-il du devenir à long terme pour ces personnes une fois le problème
résolu ? Cette question est très peu abordée, principalement du fait du manque de
recul, la notion de harcèlement moral n’étant apparue que très récemment. Une étude portant sur le devenir médical et professionnel de 89 patients
identifiés comme victimes de harcèlement moral au travail a néanmoins été menée
récemment dans le cadre d’un mémoire pour le DES en médecine de travail[132].
Cette étude montre qu’un ou deux ans après la résolution du problème, près de
70 % des personnes interrogées ont toujours recours à un suivi
médico-psychologique... On ne peut se contenter d’analyser le processus de construction du
harcèlement moral en recensant des techniques de harcèlement et en identifiant
les signes cliniques présentés par les victimes. La recherche de caractéristiques liées à l’entreprise ainsi qu'au
parcours professionnel du salarié qui sont favorables au développement du
harcèlement moral se justifie pour deux raisons : - d’une part, en termes de facteurs de risque pouvant aider à la
prévention -
d’autre part, en tant qu’aide au diagnostic de harcèlement moral : en
effet, des caractéristiques spécifiques à l’entreprise identifiées comme
favorisant le harcèlement moral constituent, si on les confronte au repérage
des techniques de harcèlement et au tableau clinique présenté par la victime,
un faisceau de présomptions. En France, plusieurs études sur le harcèlement moral ont ainsi
intégré des questionnaires concernant le profil des entreprises et les caractéristiques
de l’emploi occupé.[138] Il est intéressant de
constater de nombreuses corrélations entre la situation professionnelle de
Pierre et les résultats des travaux de recherche ayant intégré cette dimension
( le secteur d’activité: recherche, informatique ; l’ancienneté dans
l’entreprise : de 5 à 10 ans, le type de contrat : CDI ou
fonctionnaire ; les modifications dans l’organisation du travail :
changement de responsable ; l’absence de tâches bien définies sont autant de
caractéristiques fréquemment retrouvées dans les situations de harcèlement). Indépendamment de ces critères facilement identifiables,
certains chercheurs ont tenté d’expliquer le développement des situations de
souffrance au travail et notamment du harcèlement moral par une analyse approfondie
de l’évolution du monde du travail. Ainsi, Philippe Davezies[139]
constate qu’il existe aujourd’hui un grand trouble sur la définition du travail
(le contrôle des activités évoluant vers des modalités de plus en plus
éloignées des réalités de travail), que les discours à ce sujet sont bien
souvent paradoxaux et que ce caractère paradoxal est l’expression de
contradictions entre normes du marché et règles du métier. Il ajoute que ce qui confère un caractère traumatique à
nombre de situations, c’est l’incapacité de la victime à lui donner un sens.
Or, cette histoire trouve systématiquement comme point de départ un différend
lié aux contradictions et conflits de logique traversant l’entreprise quant à
la façon de traiter les objets du travail. Dans un second temps, l’absence d’issue se traduit par
une dégradation des relations dans laquelle la haine peut prendre une place
croissante et réaliser un tableau qui légitime le diagnostic de harcèlement
moral Ainsi, une interprétation du harcèlement moral strictement
focalisée sur une relation interpersonnelle et n’intégrant pas les enjeux réels
autour desquels se jouent ces drames rend la situation dénuée de tout sens,
entravant la possibilité, pour la victime, de penser la situation et par
là-même de trouver une issue. 3-7. Conclusion Les techniques de
harcèlement sont bien individualisées dans cette observation. La phase du
« tenir » durant la seconde partie du processus (1996-2000) peut
s’expliquer par le contexte familial ( père de famille de 6 enfants). Pierre a tenté de résister, il a désespérément
essayé de prouver qu’il pouvait obtenir de bons résultats, même dans une
fonction à laquelle il n’était ni formé ni préparé. Le phénomène de harcèlement
perdurant, les troubles psychiques se sont progressivement mis en place :
crises d’angoisse, cauchemars, atteintes cognitives, perte des repères
identitaires. Ne pouvant se retourner vers son supérieur hiérarchique, ce dernier étant
impliqué dans le processus de harcèlement, il a alerté le médecin du travail
sur la souffrance générée par les agissements dirigés à son encontre, sans
qu’aucune esquisse de solution ne soit apportée par ce dernier, et ce malgré
que Pierre eût longuement fait part au médecin de ses difficultés, de sa
"mise au placard", de sa dépression et des traitements qui en
découlaient. Concernant les bulletins de notation, le paradoxe
est également présent : après 7 années durant lesquelles les notations ont
été très élogieuses, les bulletins qui ont suivi le changement de supérieur
hiérarchique ont très progressivement suggéré des difficultés relationnelles
sans les définir précisément ni chercher à y remédier, tout en continuant à
louer des capacités intellectuelles hors du commun (ingénieur d’une
intelligence très vive, un des rares experts dans son domaine...Jamais Pierre n’a
reçu de réponse à ses demandes d’explications. Une des
questions sans réponse de Pierre est également de savoir pourquoi on a muté un
expert scientifique reconnu, dirigeant une équipe dont les résultats étaient
loués et au sein de la quelle régnait une bonne ambiance, dans un service
commercial, domaine pour lequel il n’avait pas été formé ? Et pourquoi y
avoir été muté en même temps que son supérieur qui ne semblait pas l’apprécier
et sous les ordres duquel il s’est à nouveau retrouvé? Dans ce service, les ordres et comportements de
nature tout à fait aléatoire de son supérieur hiérarchique ont empêché toute
maîtrise intellectuelle. L’utilisation systématique d’injonctions paradoxales a
altéré le rapport de Pierre au réel, entraînant une atteinte identitaire.
Isolé, sans recours possible auprès de l’institution qui l’emploie, le travail
de sape lui ayant fait perdre ses repères après que toutes les tentatives de
défense ou d’adaptation qu’il avait mises en place aient échoué, il a vu dans
une dénonciation des pratiques frauduleuses une ultime tentative de faire
comprendre à ses supérieurs que ceux qui s’étaient livrés à des malversations
étaient également ceux qui l’empêchaient de travailler ». Cette dénonciation[140]
a généré un renforcement des mécanismes de harcèlement et une mise à l’écart
totale du collectif de travail. Les nouvelles fonctions commerciales de Pierre
l’avaient en effet isolé de ses collègues qui n’ont pas repéré les souffrances
qu’il endurait quotidiennement ; sa plainte a donc été perçue comme
incompréhensible et ce d’autant plus qu’elle mettait leur institution, et par
là-même leur travail, en jeu. Pierre s’est alors littéralement effondré, présentant un tableau clinique
caractéristique d’ESPT; la peur ne le quitte plus, il est sujet à des insomnies
majeures avec cauchemars intrusifs, la journée, il revoit en boucle les scènes
d’humiliations. La restriction des affects, le sentiment d’avenir bouché sont
également majeurs. Il relate ainsi ce qu’il ressent : « L’ensemble de ce qui s’est passé entraîne une destruction
intérieure qui ne permet plus d’envisager l’avenir. La perte de confiance en
soi et en la vie est immense, très handicapante. Il faut se motiver pour
continuer à vivre. Peut-il y avoir une vie heureuse après cela ? » Tout en n’ayant pu enquêter sur le lieu de travail,
nous pensons que si un sujet a pu exercer les agissements hostiles décrits dans
ce chapitre envers Pierre, l’institution, son organisation, ses méthodes de
management ont joué un rôle déterminant tant pour avoir laissé le processus de
harcèlement se développer que par son incapacité à résoudre le problème. Pierre est actuellement aidé par un avocat de façon à ce que sa mutation
soit acceptée et se déroule dans de bonnes conditions. Il envisage de suivre
une psychothérapie. Il nous a semblé intéressant d’étudier ce cas de
harcèlement tendant à prouver qu’une personne reconnue comme très compétente
dans son domaine, sans difficultés aucune durant 10 années de carrière, peut
d’une part se retrouver confrontée à une situation de harcèlement et d’autre
part développer un ESPT alors qu’elle ne présente pas de facteurs de risques
prédisposants. Cette analyse semble corroborer l’avis des spécialistes interrogés :
il semblerait que les ESPT (ou névroses traumatiques) soient retrouvés de façon
systématique quand la situation de harcèlement est dépassée et perçue comme
sans issue, et ce quelques soient les caractéristiques de la personne visée. Au terme de ce travail, il semblerait que
l’apparition d’une symptomatologie analogue à celle d’un ESPT soit quasiment
inéluctable dans les cas de harcèlement moral évolués au cours desquels la
personne, pour de multiples raisons, prend conscience du fait que sa situation
est sans issue. Plusieurs thèmes mériteraient d’être étudiés de
façon plus approfondie : - le
rôle de certains facteurs de risque de développement d’un ESPT sévère,
spécifiques aux situations de harcèlement moral au travail : certains
spécialistes suggèrent ainsi qu’une personne ayant des priorités de justice,
particulièrement honnête et scrupuleuse décompensera de façon plus sévère
qu’une autre ne possédant pas ces caractéristiques alors même qu’elle serait
soumise aux mêmes techniques de harcèlement. - les
critères diagnostiques de l’ESPT du DSM-IV semblent correspondre aux symptômes
décrits par les victimes de harcèlement. Pour autant, existe-t-il d’autres
symptômes pathognomoniques de ces situations qu’il conviendrait de
rechercher ? - quel
est le devenir, en termes de santé, des patients présentant les signes
cliniques caractéristiques d’un ESPT lié à un harcèlement ? L’évolution et
les chances de guérison sont-elles les mêmes qu’en cas d’ESPT suite à un événement
unique ? De plus, les futures recherches devraient concentrer
leurs efforts sur la perception de la victime, à la fois du harcèlement et de
ses conséquences, puisque ces facteurs peuvent jouer un rôle important dans
l’explication des différences individuelles en termes de gravité des symptômes
d’ESPT. Enfin, il conviendrait de tenir compte du fait que
l’apparition d’un ESPT peut faire suite à d’autres formes de souffrance au
travail (maltraitance manageriale, stress, conflit ...) Cette question a d’autant
plus d’importance que le diagnostic de harcèlement est aujourd’hui facilement
posé du fait de sa médiatisation alors qu’il est dans la réalité difficile à
établir, nécessitant une investigation longue et complexe. Nous savons que certains facteurs de risque comme
l’existence de traumas antérieurs peuvent s’exprimer chez certaines personnes
dans des situations courantes telles qu’un conflit au travail. Ainsi, il faudra
se garder de retenir la présence d’un ESPT comme preuve d’une situation de harcèlement
moral. Aujourd’hui,
l’expression « harcèlement moral » possède de nombreuses
significations différentes. Le harcèlement, dans le sens où l’entendait Marie-France Hirigoyen dans
son premier ouvrage découlait d’un processus pervers, voire de la mise en œuvre
de celui-ci par un pervers. Le mobbing, précédemment décrit par H. Leymann
renvoyait plus à la notion d’exclusion d’un individu par le groupe. Le
harcèlement stratégique et institutionnel sont venus s’ajouter à cette
typologie. Ainsi, le harcèlement moral est devenu le terme générique de ces
réalités différentes. Si l’on cherche à découvrir ce que ces types de persécutions ont en
commun, on retrouve toujours des effets néfastes sur les victimes et une
manière de procéder finalement assez stéréotypée, pour peu que l’on sache la
mettre à jour. Cette étude nous a permis de mesurer la complexité de la notion de
harcèlement dont la mise en place est dépendante de nombreux facteurs. Le
diagnostic d’une telle situation s’avère difficile à établir, nécessitant une
investigation longue et complexe. Elle confirme que de nombreuses victimes de harcèlement moral au travail
avéré peuvent souffrir d’une symptomatologie analogue à celle de l’ESPT, bien
qu’elles ne remplissent pas nécessairement les critères stricts d’ESPT mis en
avant dans le DSM-IV (absence du critère A1). Il nous a semblé, parmi les spécialistes interrogés, que ceux d’entre eux
qui constataient le taux le plus élevé d’ESPT chez les victimes de harcèlement
étaient ceux qui étaient amenés, de part leur pratique professionnelle, à
rencontrer des cas de harcèlement évolués (à des fins d’expertise par exemple).
L’apparition d’un ESPT intervient parfois des années après la mise en place du
processus de harcèlement, ce qui peut expliquer les fortes disparités
constatées sur la question du pourcentage de victimes présentant une telle
symptomatologie, tant au niveau des enquêtes qu’au niveau des constations des
spécialistes interrogés. Il semble toutefois que son apparition ne soit pas uniquement liée à la
durée du processus, mais plutôt à la perception subjective des évènements et à
la sensation d’être dans une situation qui n’a plus d’issue. L’analyse d’un cas concret est venue confirmer la
plupart des avis des spécialistes interrogés ; elle met en avant une
caractéristique essentielle des ESPT liés au harcèlement moral au travail qui
est l’aspect de « captivité » : les processus du harcèlement
étant insidieux, il s’avère que, dans la plupart des cas, les victimes ne
prennent réellement conscience de la gravité de la situation que lorsque les
faits sont très avancés. Le sujet vit alors le traumatisme degré par degré tout en étant incapable
d’échapper à la situation. Malgré ce que certains ont pu avancer, le harcèlement
est une situation dont il est généralement extrêmement difficile de se sortir,
et ce pour de nombreuses raisons : outre la vulnérabilité financière, la
conjoncture de l’emploi défavorable et l’absence de références du précédent
employeur, le sujet s’avère dans la plupart des cas incapable de mener à bien
une recherche d’emploi en raison du retentissement psychique qu’aura eu le
harcèlement. Des recherches ultérieures devraient permettre de mieux préciser les
circonstances d’apparition et l’évolution de cette catégorie de symptomatologie
analogue à celle de l’ESPT. Enfin, il convient d’insister sur l’intérêt d’une détection précoce et de
la résolution rapide des problèmes de harcèlement, afin de prévenir
l’apparition de la symptomatologie que nous venons d’évoquer.INTRODUCTION
PARTIE 1.
Le harcèlement moral au travail :
Atteinte aux conditions de travail
Cotation
Isolement et refus de communication
Atteinte à la dignité
Violence verbale, physique ou sexuelle
LATITUDE DECISIONNELLE
HARCELEMENT MORAL
PARTIE 2.
1.
USA
2.
Canada
3.
Norvège
4.
Belgique
a.
Consultation
« Souffrance et Travail », Hôpital Max Fourestier, Nanterre
b.
Consultation
« Souffrance et Travail », de l’hôpital R. Poincaré de Garches
c.
Consultation
« Souffrance et Travail », FNATH[103]
2.5.1. Interviews
Chaque personne interviewée a une compétence
reconnue et une expérience clinique en matière de harcèlement moral au travail.
a. Docteur M.F. HIRIGOYEN
b. Docteur N. DANTCHEV
c.
Madame A. MAURANGES
d.
Docteur L. CROCQ
f. Docteur M.C. SOULA
Le Docteur Soula est également chargée de la
consultation « souffrance au travail » au sein du service de
pathologie professionnelle de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches
g. Madame M. PEZE
M. PEZE assure des consultations
« Souffrance et travail » au sein du département de consultations et
de santé publique du Professeur HERVE (CASH de Nanterre).
Elle est fréquemment amenée à réaliser des
expertises dans le cadre du harcèlement moral au travail.
h.
Madame M. DRIDA
Mots pour Maux, créée en 1997, est la seule
association française de professionnels bénévoles, tous confrontés dans leur
quotidien à des victimes de souffrance psychologique au travail, et notamment
de harcèlement moral.
Les buts principaux de l’association sont de
trois ordres :
-
donner
la possibilité aux victimes de toute souffrance psychologique au travail de
s’exprimer, de s’informer, d’avoir un soutien
-
aider
les différents partenaires au sein des entreprises à analyser, comprendre et
maîtriser les problèmes de souffrance au travail
i.
Docteur DAVEZIES
j.
Docteur M. PASCUAL et S. VASSEUR
Docteur M. PASCUAL
k.
Docteur G. LOPEZ
l. Docteur J.P. ALARD
des indices rappelant
l'événement
évocateur de l'événement
réactivité générale
antérieures
sommeil interrompu
plus d'un mois
altération fonctionnement social
Légende
PARTIE 3.
Le harcèlement moral au travail :
application des données recueillies à l’analyse
d’un cas concret
3.1. Introduction
3.2. Présentation
d’une situation de harcèlement moral au travail
3.3. Les agissements
caractéristiques
Atteinte aux conditions de travail
Isolement et refus de
communication
Atteinte à la dignité
Violence verbale,
physique ou sexuelle
3.4. analyse des reactions et des tentatives d’adaptation
3.5. evaluation des
consequences sur la sante
3.6. Rôle du contexte
professionnel
PARTIE 4.
Perspectives de recherche
CONCLUSION
[1] Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral, Editions Syros, Paris, 1998.
[2] Marie-France Hirigoyen, Malaise dans le travail, harcèlement moral, démêler le vrai du faux. Editions Syros, Paris, 2001, pp. 135-136.
[3] Peter-Paul Heinemann, Mobbing – De la violence de groupe chez les enfants, 1972
[4] Caroll M. Brodsky, The Harassed worker, Lexington, 1976.
[5] Leymann H. Mobbing. La persécution au travail, Editions du Seuil, Paris, 1996.p 27
[6] Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral, Syros, Paris, 1998, p. 18.
[7] Michèle Drida, Le harcèlement moral ; articulations avec la psychodynamique du travail, communication à la réunion de la Société de Médecine du 22 octobre 1999.
[8] En ce qui concerne la durée, Heinz Leymann estime que la victime doit subir au moins un agissement, au moins une fois par semaine, et ce pendant au moins six mois. En France, cette notion de durée est moins définie, Marie-France Hirigoyen estimant qu’une personne n’a pas toujours besoin de six mois pour être totalement détruite.
[9] Pour Laurence Huchet (centre ESTA), dans le cas où le harcèlement moral ressenti par un salarié est le symptôme grave d’un dysfonctionnement de l’organisation du travail générateur de stress, la situation est en partie inconsciente pour les protagonistes ( Colloque Harcèlement et Citoyenneté au travail, Paris, 30 novembre 2000).De même, Marie-France Hirigoyen parle de malveillance inconsciente chez les pervers narcissiques (Malaise dans le travail, Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Syros, Paris, 2001, p 348).
[10] Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, Avis portant sur le « harcèlement moral dans les relations de travail », adopté par l’assemblée plénière du 29 juin 2000.
[11] Extrait du rapport du Conseil Economique et Social sur le harcèlement moral au travail, Editions des journaux officiels, Paris, 2001.
[12] S. Rondey, Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, mémoire pour le DES en médecine du travail, Paris V, 2002.
[13] Voir le tableau de Leymann et celui d’Hirigoyen en annexe 2 et 3.
[14] Marie Peze, Techniques de harcèlement, voir classification en annexe 4 et 5
[15] C. Dejours, Souffrance en France, Editions du Seuil, Paris 1998, p. 26.
[16] Colloque « Le harcèlement moral au travail : un traumatisme grave », Quimper, 6 mars 2002, intervention du Dr Dominique Castel
[17] C. Mancel, Y. Montoya, Violences et harcèlement en milieu professionnel, rapport de recherche DRTEFP- Université V. Ségalen, Bordeaux, 2002.
[18]B. Seiler-Van Daal, Evaluation du harcèlement moral, thèse de Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Strasbourg, 2000.
[19] Association Mots pour Maux au Travail, 47 rue de la Course, 67 000 Strasbourg.
[20] voir définitions retenues en annexe 6
[21] F. Lorho, U . Hilp, Rapport sur le harcèlement moral au travail, série affaires sociales, SOCI 108 FR, Editions du parlement européen, août 2001
[22] O. Neuberger, Mobbing,Übel mitspielen in Organisationen, Munich, 1999, cité par F. Lorho, U. Hilp, dans le Rapport sur le harcèlement moral au travail du Parlement européen, août 2001
[23] M..F. Hirigoyen, Le harcèlement moral, Editions Syros, Paris, 1998.
[24] Le Journal d’Alsace, Reportage sur la grève à l’Usine Daewoo, 24 juin 1999.
[25] Voir le texte de loi en annexes 7,8,9,10.
[26] Cette disposition est également applicable à la fonction publique.
[27] Le Larousse de 1980 le définit comme « l’action de soumettre à des attaques répétées, à des critiques ou moqueries incessantes. ».
[28] op. cit. p 307
[29] C. Dejours, Violence ou domination ? Travailler 1999 n° 3, pp. 11-29.
[30] Valérie Langenvin, Stress, les évolutions récentes, Santé et sécurité, octobre 2002, p. 10.
[31] Rapport sur la santé mentale au travail, INRS, 24 octobre 2002, p. 3
[32] Tribunal de Grande Instance de Paris, 25 octobre 2002, jugement n° 0206301288
[33] Avis du CES, précité, pp 60-61.
[34] B.Lapérou, La notion de harcèlement moral dans les relations de travail (2), RJS 6/00, Editions Francis Lefebvre, p 433.
[35] Le harcèlement moral devant la juridiction prud’homale, Cahiers prud’homaux, Chronique du cahier n° 3, 2003.
[36] Conseil des prud’hommes de Longjumeau, section activités diverses, 21 mai 2001, Mme R.G./Ass Jean Lachenaud
[37] S. Perrette, Harcèlement moral au travail, quel devenir pour les patients, mémoire pour le DES en médecine du travail, Faculté de médecine de Cochin, 2002.
[38] C.Daburon, Loi relative au harcèlement moral, chronique RJS 8-9/02, p 719.
[39] M. Hautefort, Harcèlement moral : les prud’hommes sur la réserve, Les Echos, 19 novembre 2002.
[40] Dans cette catégorie, nous avons classé les agissements particulièrement dépendants du contexte et qui, pris isolément, n’apportent aucune indication relative à la présence ou non d’une situation de harcèlement.
[41] A noter que l’inspecteur du travail n’est pas tenu d’effectuer une visite sur le site. S’il se rend dans l’entreprise suite à un signalement de harcèlement moral, il s’agira d’une démarche nouvelle, s’apparentant à une véritable investigation et nécessitant une bonne connaissance du harcèlement moral.
[42] Secrétariat d’Etat à l’Economie Suisse, Mobbing et autres tensions psychosociales sur le lieu de travail en Suisse, Conditions de travail n° 3, mai 2003, p.30.
[43] Voir la retranscription de l’entretien de Marie Pezé dans le chapitre II de ce mémoire.
[44] Par enquête, nous entendons les investigations qui peuvent être ouvertes à la suite d’une plainte pénale, mais également au cours d’une action prud’homale. En effet, le conseil des prud’hommes peut ordonner une enquête qui l’amènera à procéder à l’audition de salariés de l’entreprise ; si ces enquêtes ne sont pas courantes, elles n’ont pas pour autant un caractère exceptionnel.
[45] Op. cit. P. 25
[46] Leymann Inventory of Psychological Terrorization, 1996, (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée).
[47] H. Selye, Le stress de la vie, Gallimard, Paris 1956
[48] J.M. Thurin, Stress, pathologies et immunité, Flammarion, Paris 2003, p. 20
[49] J.M. Thurin, op. cit. P. 18
[50] Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail, http://osha.eu.int/ew2002
[51] N. Maggi-Germain, Le stress au travail, Etudes et doctrines, RJS mars 2003, Editions Lefebvre.
[52] Ph. Davezies, Souffrance et organisation du travail, Gazette sociale n° 40, p. 6
[53] Ph. Davezies, Stress, pathologies et immunité ; Stress au travail : actualités, Flammarion, Paris 2003, p. 225
[54] op.cit p. 6
[55]Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, op. cit p. 27
[56] Mobbing, op. cit p. 75-76
[57] M.F. Hirigoyen, Le salarié harcelé : de l’exclusion et de la rupture du contrat de travail, Liaisons sociales (quotidien) 22 février 2000
[58] M.F. Hirigoyen, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, op. cit p. 32
[59] M.F. Hirigoyen,Le harcèlement moral au travail, conférence donnée à Quimper le 13 octobre 2001 dans le cadre de l’association Mots pour Maux au Travail
[60] K Schneider cité par C. Passard, Organisations pathologiques de la personnalité, cours de psychiatrie des DCEM3, Questions d’internat n°247
[61] Ph. Davezies cité par J. Bazerque, Harcèlement moral et inaptitude, Thèse pour le Doctorat en médecine, Lille II, avril 2001
[62] Leymann Inventory of Psychological Terrorization, 1996, (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée)
[63] M. Declercq, F. Lebigot, Les traumatismes psychiques, éditions Masson, Paris 2001, p.23-53
[64] C. Duchet, Traumatisme, question d’urgences, Thèse de Doctorat en psychopathologie et psychologie clinique, Paris V, 2001, p. 32- 40
[65] Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorder, American Psychiatric Association.
[66] Classification Internationale des maladies - 10° édition, Organisation Mondiale de la Santé.
[67] A.Waddington, ESPT, le syndrome aux différents visages, L’Encéphale, vol XXIX, janv-fév 2003
[68] M.J. Scott, S.G. Stradling, PTSD
without the trauma,
Bristish Journal of Clinic Psychology, 1994, n° 33
[69] J.M. Thurin, N. Baumann, Stress, pathologies et immunité, Flammarion, Paris 2003
[70] N.B. : chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.
[71] N.B. : chez les jeunes enfants, peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.
[72] N.B. : chez les jeunes enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.
[73] N.B. : chez les jeunes enfants, des reconstitutions spécifiques du traumatisme peuvent survenir.
[74] Par ex, incapacité à éprouver des sentiments tendres.
[75] Par ex, pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie.
[76] L. Jehel, Cours Diplôme Universitaire « Stress Trauma et pathologies »,Paris, 14 mars 2003
[77] Présenté en annexe p. 37
[78] Traduction par Brunet et coll, 1998
[79] Traduction par Brunet et coll, 1995
[80] Présenté en annexe p. 38-39
[81] Diplôme Universitaire “Stress, Trauma et Pathologies”, Situations cliniques et leur abord thérapeutique, Cours du Dr Lopez, 14 mars 2003
[82] J.M. Ravin, C.K. Boal, PTSD in
the wok setting: psychic injury, medical diagnosis, treatment and litigation, American Journal of Forensic
Psychiatry, vol 10 n°2, 1989/5, pp 21-22
[83] M.J. Scott, M.G. Stradling, PTSD
without the trauma, British
Journal of Clinical Psychology, 1994, n° 33, pp 71-74
[84] Le terme de PTSD Complexe est préféré par d’autres auteurs, notamment au Royaume Uni.
[85] D. Groeblinghoff, M.Becker, A
case study of mobbing and the clinical treatment of mobbing victims, European Journal of Work and
Organizational Psychology, 1995, vol 5(2), pp 277-294.
[86] [86] J.M. Ravin, C.K. Boal, PTSD in
the wok setting: psychic injury, medical diagnosis, treatment and litigation, American Journal of Forensic
Psychiatry, vol 10 n°2, 1989/5, p 16.
[87] H.Leyman, Mobbing. La persécution au travail, Editions du Seuil, Paris 1996, p 140.
[88] M.F.Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violence
perverse au quotidien, Editions
Syros, Paris,1998 p 199.
[89] Réalisée par la CAWB (Campaign Against Bullying at Work), organisation américaine sans but lucratif
[90] Source : A. Soares, Quand le travail deviens indécent, Université du Québec, Montréal, 2002
[91] Présenté en annexe p.37
[92] Echelle des symptômes post-traumatiques mesurant les symptômes d’intrusion cognitive
[93]Negativ Act Questionnaire (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée), établi par Enarsein
[94] Source : S. Enarsein, E.
Mikkelsen, Basic assumptions and symptoms of post-traumatic stress among
victims of bullying at work, European Journal of Work and Organizational Psychology, mars 2002, vol
11 n°1, p 94
[95] Echelle de diagnostic post-traumatique construite par Foa en 1995 évaluant tous les critères de diagnostic du DSM-IV et précisant la gravité des symptômes.
[96] Incluant une étude réalisée dans le cadre d’un mémoire de psychologie clinique sur le lien entre harcèlement moral au travail et ESPT : A. De Troz, Le harcèlement moral au travail et ses effets à long terme sur le bien-être des travailleurs qui y ont été exposés, UCL, Louvain (Belgique), 2002
[97] Questionnaire construit par Sidor et al. (1994-1996), sur la base des critères diagnostiques du DSM IV. La validation de ce questionnaire n’étant pas terminée, il n’a pas été utilisé comme instrument de diagnostic. Le nombre de cas supposés d’ESPT dans cet échantillon est donc présenté à titre indicatif.
[98] Docteur en psychologie, psychanalyste
[99] Voir recensement des techniques en annexe 4 et 5
[100] La grille d’analyse comprend au total 300 items explorant le parcours professionnel du salarié, les évènements importants de sa vie, la chronologie de la dégradation de la situation de travail, le repérage des techniques de harcèlement et l’identification d’une névrose traumatique
Les items en rapport avec la santé sont présentés en annexe 18 et 19.
[101] résultats extrait du mémoire pour le diplôme d’études spécialisées en médecine du travail de S. Rondey : Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, Paris V, 2001-2002.
[102] Voir recensement des techniques en annexes 4 et 5
[103] Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés
[104] DSM IV, Critère A : le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :
1) le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des évènements graves durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.
2) La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
[105] L. Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Editions Odile Jacob, Paris, 1999
[106] Voir annales médico-psychologiques n° 160, pp. 506-511
[107] Voir CIM-10, description clinique de l’ESPT en annexes p.20
[108] Dr S. Rondet, Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, Université René Descartes Paris V, 2002
Dr S Perette, Harcèlement moral au travail, quel devenir pour les patients ?, Université René Descartes Paris V, 2002
Citons également un travail de recherche en cours dans le cadre d’un DESS de psychologie sur les conséquences de la mise en inaptitude en cas de harcèlement moral au travail
[109] Voir liste détaillée des techniques en annexe.
[110] Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés
[111]
voir étude de Maître Coroller p 24. A noter que
Maître Coroller-Becquet précise qu’aucun des agissements cités, s’il est
envisagé indépendamment du contexte de travail, ne pourra apporter la preuve
d’un harcèlement : la présence d’un agissement, même répété, n’a en soi
aucune signification.
[112] La névrose traumatique de la nosographie classique européenne coïncide avec les cas d’ESPT qui sont devenus organisés, inscrits dans la durée (L. Crocq, Les victimes psychiques, Victimologie, nov 1994 (1)
[113] Maris-France Hirigoyen, Malaise dans le travail. Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Syros, Paris, 2001, p. 179.
[114] Association Française de Psychiatrie et de Psychologies Sociales
[115] Les situations concrètes se rapportant à chaque type d’agissement sont présentées en annexes pp23-34
[116] H. Leymann 1996, op.cit. p. 74. Voir tableau des quatre stades en annexe p 35
[117] Association Mots pour Maux au travail, 47 rue de la Course 67 000 Strasbourg http://membres.lycos.fr
[118] Construit parEndler et Parker (1990), traduction française par Rolland (1994). Présenté en annexe pp 53-54
[119]
L. JEHEL,Victimes et soignants face au traumatisme psychique, étude de
facteurs péritraumatiques et validation d’instruments de mesure, thèse de doctorat, Paris VI 2002, p. 41
[120] Nield K., Mobbing and
well-being : economic and personnel development implications, European Journal of Work and
Organizational Psychology, 1996, vol 5(2), pp.239-249
[121] Voir annexe
[122] E. Semereab, Violences au travail, harcèlement moral et sexuel : évolution des stratégies d’adaptation, Mémoire de recherche en psychologie sociale et des organisations, Université Catholique de Louvain, Belgique 2002. Le travail d’investigation a été effectué sur la base d’entretiens semi-directifs sur un panel de 10 personnes identifiées comme victimes de harcèlement moral.
[123] M.F. Hirigoyen 2001, op cit., pp.195-223
[124]
J. et P. Chiaroni, Données épidémiologiques des situations de mobbing au
travail d’après une enquête effectuée auprès des médecins du travail en région
PACA, Arch. Mal. Prof., 2001, 62, n° 2, pp. 96-107
[125] M. Pezé, M.C. Soula, Harcèlement au travail : l’interrompre en urgence, La revue du praticien, Tome 15, n° 537, 7 mai 2002
[126] questionnaires présentés en annexes 38 à48
[127] B.L. Green (1996), adaptation française, L. Jehel, E. Ménager et col (2000)
[128] D. Goldberg et al .(1988), traduction française Pariente et coll (1989)
[129]Maslach (1982), traduction française Girault- Lidvan (1989)
[130] Beck (1997), traduction française, ECPA (1998)
[131] Il s’agit d’une adaptation du PTSD I (PTSD interview) construit par Watson et coll. (1991), traduit en français par Brunet et coll, (1995)et adapté en auto-questionnaire par Jehel (QSPT 1999).
[132] S. Perrette, Harcèlement moral : quel devenir pour les patients ?,mémoire pour le DES en médecine du travail, Université Paris V 2002
[133] B. Cyrulnic, Un merveilleux malheur,Editions Odile Jacob, Paris 1999 p.10
[134] C. Duchet, Traumatisme, question d’urgence : étude des troubles psycho- traumatiques et de la résilience chez des victimes de l’attentat du RER Port Royal, de psychopathologie et psychologie clinique, Paris V 2001
[135] op cit. p. 400
[136] construit par K.M. Conner et col.
[137]Connor et Davidson,; Résilience Scale, Depression and Anxiety, 2003;"sous presse"
[138] N. Josso, Le harcèlement moral au travail, Enquête Ethic 2000, thèse pour le Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Rennes 2001
B. Seiler Van Daal, Evaluation du harcèlement moral, thèse pour le Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Strasbourg 2000
J. Chiaroni, P. Chiaroni, Données épidémiologiques des situations de mobbing au travail d’après une enquête effectuée auprès des médecins du travail en région PACA, Masson, Paris 2001
C. de Gasparo, M. Pezé, Résultats de l’étude quantitative d’une cohorte de 100 patients harcelés : approche sociologique, Consultation « souffrance et travail », CASH de Nanterre, 2002
[139] Ph. Devezies Les impasses du harcèlement moral, projet de publication 2003
[140] Cette forme de harcèlement, le
« whistleblowing » touchant les employés révélant des pratiques
frauduleuses au sein de leur institution
a suscité de nombreux travaux de recherche. Des dispositions
législatives visant à protéger les « whistleblowers » ont été
adoptées dans des pays comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Afrique du
Sud, la Hollande ou encore la Nouvele-Zélande. Une étude australienne, « Whistleblowing :
a broad definition and some issues for Australia », a établi que 71 % d’entre eux on souffert de
représailles officielles et que 94 % ont subi des représailles inofficielles.