Université Pierre et Marie Curie                                     Année universitaire 2002-2003

Faculté de médecine

Pitié Salpétrière

 

                                                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

Harcèlement moral au travail et état de stress post-traumatique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémoire de Diplôme Universitaire :

Stress, traumatisme et pathologies

 

 

__________

 

 

 

Claire Bonafons

 

 

__________

 

 

 

Sous la direction du Docteur Louis Jehel

Responsable de l'Unité de Psychiatrie et Psychotraumatisme

CHU Tenon, PARIS

 

 

 

 

 

 

 

Université Pierre et Marie Curie                                                      Soutenu en octobre 2003

Faculté de médecine

Pitié Salpétrière

 

                                                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

Harcèlement moral au travail et état de stress post-traumatique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémoire de DU :

Stress, traumatisme et pathologies

 

 

__________

 

 

 

Claire Bonafons

 

 

__________

 

 

 

Sous la direction du Docteur Louis Jehel,

Responsable de l'Unité dePsychiatrie et Psychotraumatisme,

CHU Tenon, PARIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remerciements


Je tiens à remercier Monsieur le docteur Louis JEHEL, Responsable de l'Unité de Psychiatrie et Psychotraumatisme du CHU Tenon pour sa compréhension et son aide précieuse pendant l’élaboration de ce mémoire. Je tiens également à remercier ma famille pour son soutien et particulièrement ma fille Sophie, ainsi que Madame le Docteur Marie-France HIRIGOYEN, médecin psychiatre, pour le temps et l’attention qu’elle a bien voulu consacrer à mes demandes d’indications.



Je remercie également, pour le temps qu’ils ont bien voulu me consacrer et pour les informations précieuses qu’ils m’ont apportées au cours de mon enquête :

 

Monsieur le Docteur Jean-Paul Alard

Maître Alain Coroller-Bequet

Monsieur le Docteur  Louis Crocq

Monsieur le Docteur Nicolas Dantchev

Monsieur le Docteur Philippe Davezies

Madame Michèle Drida

Monsieur le Docteur Gérard Lopez

Madame Aline Mauranges

Madame le Docteur Marie Pascual

Madame le Docteur Marie Peze

Madame le Docteur Marie-Christine Soula

Madame Stéphanie Vasseur

Madame Anne Waddington

 

 

ainsi que

 

Monsieur Marc Brussieux

Madame Claire Feildel

Madame Brigitte Le Floc’h

Madame le Docteur Maillard,

 

pour l’aide et les conseils qu’ils m’ont prodigués.

 


Table des matières

INTRODUCTION

1. LE HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL 1.1.   Historique 1.2.   Définitions actuelles 1.3.   Différentes formes de harcèlement moral 1.4.   Les agissements caractéristiques 1.5.   Evolution et quantification du phénomène 1.6.   La définition juridique 1.6.1. une loi votée dans l’urgence 1.6.2. le harcèlement moral au regard de la loi:analyse de la définition 1.6.3. de la difficulté d’apporter des preuves 1.7.   Diagnostic différentiel : ce qui relève du harcèlement moral et ce qui n’en relève pas 1.7.1. les stress 1.7.2. les agressions ponctuelles 1.7.3. les conflits 1.7.4. les contraintes professionnelles, les obligations normales du travail 1.7.5. la maltraitance manageriale 1.7.6. les mauvaises conditions de travail 1.7.7. les troubles de la personnalité 2. CONSEQUENCES SUR LA SANTE : ESPT ou SYMPTOMES S’APPARENTANT A CEUX D’UN ESPT ? 2.1.   Introduction 2.2  Qu’est-ce qu’un ESPT ? 2.2.1  une brève histoire du diagnostic d’ESPT 2.2.2  critères pour un diagnostic d’ESPT 2.2.3  évaluation de l’ESPT   2.2.4  évolution de l’ESPT   2.3.    Discussion autour de la présence du critère A 2.4.   Harcèlement moral au travail et ESPT : les enquêtes 2.4.1 introduction 2.4.2. les enquêtes à l’étranger USA Canada Norvège Belgique  les enquêtes en France Consultation “Souffrance et travail”, Hôpital M. Fourestier Consultation “Souffrance et travail”, Hôpital R. Poincaré Consultation “Souffrance et travail”, FNATH  conclusion 2.5.   Harcèlement moral au travail : recueil de l’avis de spécialistes français 2.5.1. interviews      p.53

a.   Dr MF Hirigoyen      p.54

b.   Dr N. Dantchev      p.60

c.    Mme A. Mauranges p.65

d.    Dr L. Crocq p.70

e.    Mme A. Waddington p.75

f.     Dr M.C. Soula p.80

g.    Dr M. Peze p.85

h.    M. Drida p.90

i.     Dr P. Davezies p.96

j.     Dr M. Pascual- Mme S. Vasseur p.101

k.     Dr G. Lopez p.106

l.      Dr J.P. Alard p.110

2.5.2. synthèse 2.6.   Conclusion 3. APPLICATION DES DONNEES RECUEILLIES A L’ANALYSE D’UN CAS CONCRET 3.1.   Introduction 3.2.   Présentation d’une situation de harcèlement moral au travail 3.3.  Les agissements caractéristiques de cette situation  recensement des agissements subis    agissements non répertoriés 3.3.2. commentaires 3.3.3. analyse des résultats obtenus 3.4.  Analyse des réactions et tentatives d’adaptation 3.4.1. 3.4.2. stratégies d’adaptation selon les différentes phases du processus 3.5.   Evaluation des conséquences sur la santé 3.5.1. les premiers signes : la phase d’alerte 3.5.2. la phase de décompensation en deux temps 3.5.3.   application au cas concret 3.5.4.   facteurs de risque et de protection 3.5.5.   le rôle de la résilience 3.6  Le rôle du contexte professionnel 3.7  Conclusion 4. PERSPECTIVES DE RECHERCHE CONCLUSION

INTRODUCTION

C’est avec la parution du livre Le Harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen en 1998[1] que les victimes de harcèlement moral en France ont, pour la première fois, eu la possibilité d’attribuer un nom et un concept à leur souffrance. Néanmoins, ceci ne constitue que le premier impact de cet ouvrage, dont la parution a largement contribué à soulever un certain nombre de problèmes.

 

Tout d’abord, il fait clairement apparaître le vague qui plane sur la notion même de harcèlement moral ; en effet, il n’existe pas de définition claire de ce concept autour de laquelle on pourrait trouver un consensus, la notion de harcèlement faisant actuellement figure de variable qui soulève les débats les plus passionnés entre différents spécialistes.

 

L’ouvrage de Marie-France Hirigoyen évoque un second problème, qui réside dans le contraste entre, d’une part, de petits agissements pouvant être somme toute considérés comme anodins et, d’autre part, les conséquences dramatiques qu’ils ont sur la victime. En effet, comment croire qu’une parole désobligeante, une indifférence soigneusement affectée ou un regard mal placé puissent posséder un tel pouvoir destructeur ? Il est parfois difficile à certaines personnes de ne pas évoquer une prétendue faiblesse de caractère de la victime, cette supposition étant généralement accentuée par le fait que le harcelé, n’ayant d’autre recours face à la douleur qu’on lui inflige, se rende régulièrement chez le médecin ou chez le psychologue. Ainsi, la victime, en plus de la souffrance générée par le harcèlement moral, doit parfois subir un certain nombre d’attaques personnelles, se voyant attribuer des caractéristiques psychologiques peu flatteuses.

 

On voit là apparaître l’un des problèmes majeurs posés par le harcèlement moral, à savoir la part subjective qui, jusqu’à présent, semble indéfectiblement liée à toute analyse de cette notion ; le but de ce travail est donc, dans une certaine mesure, d’alléger ce problème grâce à l’établissement de critères objectifs basés sur une corrélation entre certains agissements et le développement de symptômes caractéristiques.

 

Dans son livre Malaise dans le travail, harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Marie-France Hirigoyen affirme :

 

« Le harcèlement moral constitue incontestablement un traumatisme.(...) Se constituent des névroses traumatiques, plus rarement des psychoses traumatiques, ce qui correspond dans le DSM-IV, à l’état de stress post-traumatique. Le tableau est le même, quelle que soit l’origine du traumatisme. »[2]


Pouvons-nous établir une relation quasi-systématique entre le harcèlement moral au travail et l’état de stress post-traumatique (ou ESPT) ou convient-il d’adopter un point de vue plus réservé, évoquant des symptômes ne faisant que s’apparenter à ceux de l’ESPT ?

 

Face à la difficulté que présente la mise en place d’une étude sur le terrain à propos de la relation qui existe entre harcèlement moral au travail et ESPT, j’ai choisi de recueillir les avis de spécialistes, d’une part dans le domaine du harcèlement moral, et d’autre part dans le domaine des névroses traumatiques.

 

Cette compilation d’opinions sera suivie de l’étude d’un cas concret caractéristique de harcèlement moral au travail.

PARTIE 1.

Le harcèlement moral au travail :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.1. Historique

 

Avant d’analyser le concept de harcèlement moral, il convient d’établir un état des lieux des diverses définitions et dénominations qui lui ont été attribuées jusqu’à présent. On trouve dans la terminologie anglophone les termes de mobbing et de bullying, dont l’utilisation elle-même fait l’objet de controverses. Le mot mobbing, qui traduit le fait d’assaillir, a été employé au départ par Konrad Lorenz au tout début des années 1970 afin de décrire comment de petits animaux se regroupaient et conjuguaient leurs efforts afin d’en attaquer un plus gros. Le terme a été repris en 1972 par le médecin suédois Peter-Paul Heinemann[3], qui l’applique cette fois au domaine de l’enfance, désignant par là des comportements destructeurs à l’école d’un groupe d’élèves envers un de leurs camarades. Heinz Leymann estime que le phénomène de harcèlement moral au travail relève des mêmes processus, et le désigne donc également sous le terme de mobbing. C’est aussi le terme qu’emploient les chercheurs américains et européens (sauf les Anglais). Le vocable bullying (intimidation violente, brimade, brutalité) est, quant à lui, utilisé depuis un certain temps par les chercheurs anglais et australiens, mais Leymann estime qu’il convient plus au comportement des enfants à l’école qu’à celui des adultes sur leur lieu de travail, en raison de sa connotation brutale ; en effet, s’il n’est pas rare que les élèves recourent à la violence physique, cela l’est beaucoup plus chez des personnes d’âge mûr.

 

Ceci dit, les termes de mobbing et de bullying n’ont été pendant longtemps employés que dans certains contextes qui s’éloignent quelque peu de notre propos. Ce n’est qu’en 1976 que l’on entend pour la première fois parler du phénomène de harcèlement moral au travail, dans l’ouvrage de Carroll M. Brodsky The Harassed worker[4]. L’auteur le définit comme des « tentatives répétées et persistantes d’une personne afin de tourmenter, briser la résistance, frustrer ou obtenir une réaction d’une autre. » Néanmoins, l’ouvrage de Brodsky ne produisit guère d’émoi dans le public lors de sa parution, car il mêle le harcèlement moral à d’autres souffrances nettement plus fréquentes liées au travail, telles les accidents industriels, la pollution chimique sur le lieu de travail, ou encore le stress dû à certaines tâches fatigantes. De plus, Brodsky considérait que le travailleur en souffrance n’était finalement que la victime de sa propre faiblesse, tombant ainsi dans le travers que nous évoquions ci-dessus.  Néanmoins, on ne peut lui dénier le mérite d’avoir été le premier à publier certains cas de harcèlement moral au travail.

 

 

 

1.2. Définitions actuelles

 

 

 

Pour Heinz Leymann, « le concept de mobbing définit l’enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne (la cible). Par extension, le terme s’applique aussi aux relations entre les agresseurs et leur victime ».

A des fins de recherche, il a concrétisé sa définition en fixant précisément 45 actes de mobbing visant la victime et a précisé les notions de fréquence et de durée avec des données concrètes :

« Il y a mobbing lorsqu’un ou plusieurs des 45 actes de mobbing définis plus loin se répètent au moins une fois par semaine et sur une durée minimale de 6 mois »[5].

 

Enfin, c’est avec Marie-France Hirigoyen que l’on voit employé pour la première fois le terme de harcèlement moral, en 1998.

Elle le définit ainsi : « Le harcèlement moral se définit comme toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude...) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail. »[6].

 

Pour Michèle Drida (1999), qui préside l’association Mots pour Maux au Travail, « le harcèlement moral est un ensemble de conduites et de pratiques qui se caractérisent par la systématisation, la durée et la répétition d’atteintes à la personne ou à la personnalité, par tous les moyens relatifs au travail, ses relations, son organisation, ses contenus, ses conditions, ses outils, en les détournant de leur finalité, infligeant ainsi, consciemment ou inconsciemment, une souffrance intense, afin de nuire, d’éliminer, voire de détruire. Le harcèlement est donc une forme particulière de maltraitance au travail. Il peut s’exercer entre hiérarchiques et subordonnés, de façon descendante ou remontante, mais aussi entre collègues, de façon transversale »[7].

 

L’analyse de ces définitions permet de dégager plusieurs aspects importants :

-           d’une part, la durée du processus[8] et, d’autre part, la répétition d’agissements portant atteinte à la dignité qui, pris indépendamment les uns des autres, pourraient presque sembler insignifiants

-           le détournement de la finalité de l’organisation du travail

-           l’intention de nuire, consciente ou inconsciente[9]

-           Les effets néfastes sur les victimes

 

Enfin, une personne victime de harcèlement moral se trouve dans l’incapacité de se défendre contre ces actes. Généralement, elle est constamment tourmentée et importunée et a le sentiment de ne pouvoir riposter à armes égales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.3 Différentes formes de harcèlement moral au travail

 

 

 

Ces quatre caractéristiques sont donc des éléments constitutifs du harcèlement moral, lequel peut apparaître sous trois formes principales telles que définies par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme[10]:

 

-           un harcèlement institutionnel qui participe d’une stratégie de gestion du personnel, certaines formes d’organisation au travail utilisant une sorte de « lutte pour la vie » à l’intérieur de l’entreprise en mettant des salariés en concurrence sur les mêmes fonctions et en déstabilisant les collectifs de travail. L’objet est finalement l’élimination de certains salariés par leurs collègues tout en obtenant des garanties quant à la docilité et au conformisme de ceux qui restent[11].

 

-           un harcèlement professionnel organisé à l’encontre d’un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement.

 

-           un harcèlement individuel pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir.

 

Une récente enquête a été menée auprès de 151 patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches[12] entre 1999 et 2001 et identifiés comme victimes de harcèlement moral au travail. Elle fait apparaître que le harcèlement individuel est la forme la plus fréquemment rencontrée (61 % des cas). Le harcèlement moral de type organisationnel concerne 23 % des patients et celui de type institutionnel 16 %.

1.4 Les agissements caractéristiques

 

 

 

Ceci étant établi, restait aux différents chercheurs à étudier les manifestations concrètes du phénomène de harcèlement moral au travail. Dans cette optique, Heinz Leymann a établi une liste de quarante-cinq agissements caractéristiques, qui a été reprise par de nombreuses personnes travaillant sur le harcèlement moral, chacune répartissant ces agissements selon ses propres rubriques.[13] Parmi elles, Marie-France Hirigoyen a pour sa part regroupé les agissement hostiles en quatre catégories, en allant du plus difficile à repérer au plus évident :

-           les atteintes aux conditions de travail

-           l’isolement et le refus de communication

-           l’atteinte à la dignité

-           la violence verbale, physique ou sexuelle

 

Dans notre travail d’enquête auprès de divers spécialistes en matière de harcèlement moral, c’est cette classification qui servira de base.

 

Enfin, il existe également une liste d’agissements établie par Marie Pezé, qui répertorie diverses techniques de harcèlement[14], et qui a été utilisée en France par divers organismes s’intéressant au sujet.

 

Pour conclure, même si ces agissements demeurent globalement les mêmes, on peut constater une certaine variabilité du concept de harcèlement selon les pays, qui s’exprime ne serait-ce qu’à travers la terminologie employée (mobbing en Suède, bullying en Grande-Bretagne, psycho-terror au Portugal, harcèlement psychologique au Canada, terror ou harrassment aux Etats-Unis ...).

 

 

 

 

1.5 Evolution et quantification du phénomène

 

 

 

A la question de savoir si le harcèlement moral est un phénomène nouveau, Christophe Dejours[15] , psychiatre, Directeur du Laboratoire de Psychologie du Travail au CNAM, répond par la négative : « Le harcèlement, l’injustice, la discrimination au travail existent depuis très longtemps. Ce qui est nouveau, c’est l’accélération du phénomène. De plus en plus de salariés en souffrent, avec des conséquences qui vont de l’insomnie à la dépression et même au suicide ».

 

Les médecins du travail situent l’augmentation de la souffrance morale au travail dans les années 90-95. Le Docteur Castel précise, lors d’un colloque consacré à ce sujet en mars 2002 à Quimper : « Sur ce terrain de souffrance au travail, est apparu au cours de cette période un syndrome particulier, différent des précédents. Le tableau est alors caricatural : il s’agit d’une personne que le médecin du travail voyait depuis plusieurs années, qui ne s’était jamais plainte de ses conditions de travail et qui, un jour, « craque » dans notre bureau : elle pleure, exprime son incompréhension, son sentiment d’incompétence, sa honte. »[16]

 

Dans un rapport de recherche réalisé en 2002, C. Mancel et Y. Montoya [17] ont interrogé 186 médecins, contrôleurs et inspecteurs du travail afin de quantifier leur perception de l’augmentation de la violence au travail.

A la question : « Avez-vous l’impression que les cas de violence ont augmenté ces quatre dernières années ? », 39 % des personnes interrogées ont répondu « beaucoup », et 6 % « énormément ».

S’agissant de définir si cette violence était d’ordre moral, 54 % ont répondu « souvent » et 32 % « toujours ».

 

Il existe très peu de données internationales concernant la prévalence du harcèlement moral en milieu de travail, mais les données les plus récentes indiquent que le phénomène serait répandu. Selon les études, elle varie de moins de 5 % à plus de 20 % de personnes exposées.

Il semble cependant difficile de comparer les résultats, tant la définition, l’instrument d’évaluation et l’échantillon étudié fluctuent d’un auteur à l’autre.

Diagnostiquer une situation de harcèlement moral au travail s’avère être une tâche longue et compliquée, peu adaptée aux enquêtes à grande échelle.

 

Au niveau international, l’enquête International Crime Victime Survey, menée en 1996 par le BIT (Bureau International du Travail) indiquait que les employés français étaient ceux qui estimaient le plus souvent avoir été victimes de violences sur leur lieu de travail (ces violences incluant, outre le harcèlement moral, les agressions verbales, physiques, les menaces et le harcèlement sexuel) : 12,9 % des hommes et 8,9 % de femmes déclaraient avoir été agressés lors de l’année précédente.

 

Au niveau européen, les seuls chiffres ayant permis d’évaluer l’importance du harcèlement moral au travail sont ceux issus de la troisième enquête sur les conditions de travail par la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail. L’étude a été conduite auprès de 21 500 travailleurs de l’Union Européenne représentatifs de la population active. A la question : « au cours des 12 derniers mois, au travail, avez-vous été l’objet d’une intimidation ?», 9 % des salariés européens répondent par l’affirmative. La France se situe parmi l’ensemble des pays à pourcentage peu élevé (avec 5 % des travailleurs répondant de façon positive à cette question).

 

L’interprétation de ces résultats est toutefois assez délicate dans la mesure où d’une part, ils expriment un ressenti de harcèlement moral et non pas l’existence d’une situation de harcèlement moral avéré, et d’autre part, ils concernent les violences au travail et non pas spécifiquement le harcèlement moral au travail.

 

Une autre enquête quantitative a été menée en Belgique durant les années 2001-2002 auprès de 2000 travailleurs. Les interviews ont été réalisées par téléphone au moyen d’un questionnaire, version révisée du questionnaire LIPT (Leymann Inventory of Psychological Terror). Un critère de fréquence était introduit: pour chacun des agissements cités, la personne devait répondre : rarement, parfois, la plupart du temps ou toujours.

11,5 % des personnes interrogées se sentaient victimes d’au moins un comportement hostile la plupart du temps ou toujours.

 

En France, la SOFFRES a effectué en juin 2001 un sondage sur la perception du harcèlement moral au travail auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française. Après un rappel de la définition telle que présentée dans le texte de loi relatif au harcèlement moral au travail, 20 % des personnes interrogées estimaient être ou avoir été harcelées.

 

Par ailleurs, une enquête sur l’évaluation du harcèlement moral a été menée dans un cadre universitaire[18] avec la participation de l’association Mots pour Maux au Travail[19] et les centres de médecine du travail d’Alsace.

Sur 1210 salariés auxquels ont été distribués des questionnaires, 9,6 % répondaient aux critères de harcèlement. Ces critères étaient les suivants :

- la présence d’au moins un agissement constitutif du harcèlement, au moins une fois par semaine (à partir de la liste des 45 agissements d’H. Leymann)

- la présence d’au moins un critère de vécu douloureux face à ces agissements.

 

Pour conclure, on peut dire que selon les études, lorsqu’on analyse l’opinion des salariés, 20 à 30 % pensent avoir été harcelés ; lorsque l’on recherche le harcèlement à l’aide de critères dans une population générale, le pourcentage de harcèlement est environ de 10 %.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.6 la définition juridique

 

1.6.1 Une loi votée dans l’urgence

 

Face au problème, devenu aujourd’hui phénomène de société, les institutions, les politiques et les juridictions se sont emparés du phénomène pour tenter d’y apporter des solutions par la loi et la réglementation destinées à guider les juges dans leur discernement et leur réflexion.

La principale difficulté dans la conception d’une définition juridique réside dans l’élaboration d’une juste définition du harcèlement moral. Il existe en effet deux risques : d’une part, celui d’aboutir à une définition trop large pouvant entraîner une judiciarisation des relations de travail, et d’autre part celui de parvenir à une définition trop restrictive risquant de laisser de côté un grand nombre de victimes.

 

En matière de législation sur le harcèlement moral, la Suède a joué un rôle de pionnier en se dotant d’une réglementation dès 1993. Le mouvement a été suivi par la France, la Belgique et le Canada qui viennent d’adopter des législations spécifiques.[20].

Le parlement européen a également adopté une résolution sur ces questions en septembre 2001. Dans leur rapport[21], les deux auteurs précisent d’emblée qu’il n’existe pas de désignation universellement acceptée du phénomène du « harcèlement moral au travail », et qu’en conséquence, il n’existe pas non plus de définition générale applicable à tous les cas.

Après avoir analysé les définitions existantes, les auteurs concluent que pour pouvoir être qualifié de harcèlement moral, un comportement doit être adopté :

-           de façon répétée

-           pendant une longue période

-           sans atteinte physique

-           avec un effet humiliant sur la personne harcelée.

De même, O. Neuberger déclare qu’il « n’existe pas de définition véritable ou exacte » de ce problème. [22]

En France, c’est incontestablement la parution du premier ouvrage de Marie-France Hirigoyen[23] qui a alerté et sensibilisé l’opinion sur cette forme de souffrance au travail.

Par la suite, une proposition de loi sur le harcèlement moral fut déposée en décembre 1999 par le groupe communiste à l’Assemblée nationale. L’origine immédiate de cette proposition se trouvait dans le débat parlementaire sur le conflit social à l’usine Daewoo en Lorraine. Celui-ci avait révélé des pratiques de gestion incompatibles avec la dignité humaine. En particulier, des membres du personnel (surtout ceux qui revenaient de congé de maternité, de congés payés ou d’un arrêt maladie) étaient contraints de passer des journées entières dans des chambres de section, sans rien faire, ou étaient affectés à des tâches dévalorisantes telles que le ramassage de mégots de cigarettes.

Le témoignage d’un de ces salariés, victime d’un grave accident du travail (chute avec fracture et ligaments déchirés ayant nécessité une interruption d’un an) est éloquent :

« A mon retour, je me suis retrouvé en No Division. A mon grand étonnement, je n’ai pas retrouvé de poste de mécanicien, mais j’ai été affecté aux tâches subalternes où je suis toujours. Mes nouveaux secteurs : les espaces verts, la zone déchets ou encore rien, des journées à ne rien faire, à attendre. Ces journées-là, interminables, je les passe dans le grand bureau des cadres et de la maîtrise. On me met à une table, sur une chaise, on fait comme si je n’étais pas là, sauf quand on a besoin de ma place. Ce qu’il y a de plus humiliant, c’est que même alors on ne me parle pas. On me pince à la manche. C’est pour me faire comprendre que je dois me mettre ailleurs. » [24]

 

Puis, en avril 2001, le Conseil Economique et Social a adopté un avis qui a exercé une influence très importante sur l’élaboration de la législation.

Celle-ci a vu le jour dans le cadre de la Loi de Modernisation Sociale du 17 janvier 2002[25].

Les principales dispositions concernent :

-           la définition du harcèlement moral

-           les mesures de prévention

-           les mesures de protection des victimes et des témoins

-           les sanctions

 

 

1.6.2 le harcèlement moral au regard de la loi : analyse de la définition

 

 

Dans le cadre de ce mémoire dont l’objet est d’établir des liens entre une situation de harcèlement moral et ses conséquences sur la santé, il conviendra d’étudier plus particulièrement la définition donnée par le législateur, même si les mesures de prévention devraient contribuer à soulager les victimes. A ce sujet, contrairement à d’autres pays comme la Belgique ou le Canada qui ont instauré des politiques de prévention très précises et détaillées, il est simplement spécifié : « il appartient au chef d’entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements visés à l’article L. 122-49 » ; en outre, « le chef d’établissement doit protéger la santé physique et mentale des salariés » (Art L 230-2 du Code du travail).

La loi ne propose pas de définition du harcèlement moral au regard des actes ou comportements constitutifs du harcèlement : en matière de comportements prohibés, c’est seulement au vu de leurs effets que le harcèlement moral (également pénalement répréhensible) est précisé.

Le nouvel article L 122-49 du code du travail dispose qu’ « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »[26]

 

Essayons, pour mieux comprendre, d’illustrer les éléments de cette définition qui semble de prime abord un peu abstraite.

 

-           les agissements répétés : cette notion est induite par la définition même du mot « harcèlement »[27]. Le harcèlement moral implique un effet d’accumulation. Il ne résulte pas d’une agression isolée et extrêmement violente, mais du cumul, de l’empilement, jour après jour, de petites conduites agressives qui, considérées isolément, semblent anodines. Le harcèlement moral, c’est la répétition inlassable, persistante, de micro-traumatismes.

Ainsi donc, quand un licenciement se passe mal, que l’employeur prie sèchement l’employé de rassembler ses affaires et de disparaître sans adresser la parole à quiconque, c’est certainement un comportement vexatoire, mais qui ne relève pas du harcèlement moral étant donné qu’il ne s’est produit qu’une fois.

En revanche, si, systématiquement on oublie de convoquer un salarié aux réunions, si personne ne le salue le matin, si de façon ostensible, on ne lui adresse jamais la parole, on se trouve bien devant des agissements répétés.

 

-            ayant pour objet ou pour effet : avoir pour « objet » de nuire à quelqu’un, cela veut dire clairement « le faire exprès » ; « avoir pour effet » vise les situations où l’on ne pensait pas forcément que le comportement adopté aurait de pareilles conséquences.

En définitive, le législateur ne subordonne pas la qualification de harcèlement à l’intention de nuire.

Cette notion peut sembler surprenante car elle est en contradiction avec, d’une part, la proposition de loi qui souhaitait mettre en exergue la volonté de nuire de l’auteur des actes de harcèlement en visant une « dégradation délibérée des conditions de travail », et d’autre part, l’avis des spécialistes de la question. Citons M.F. Higoyen dans son ouvrage Le harcèlement moral dans la vie professionnelle : « Il est important de faire une distinction entre les situations qui ressemblent à du harcèlement mais qui n’en sont pas, essentiellement parce qu’il n’y a pas de volonté de nuire. »[28]. On peut également mentionner un reportage diffusé sur LCI en octobre 2002 où elle affirme : « il est extrêmement important pour que l’on parle de harcèlement qu’il y ait à la fois des agissements hostiles répétés qui portent atteinte à la santé de la personne, mais aussi qu’il y ait effectivement une intentionnalité. Ce n’est pas très clair dans la loi, mais ça l’était dans le projet ». Citons enfin Chrispophe Dejours[29] : « Une conduite est violente lorsqu’elle met à exécution une intention de destruction ou d’altération de l’objet ou de la personne désignée pour cible. Il y a donc intention, mais pas seulement intention. Il y a aussi mise en acte. », Valérie Langenvin, psychologue du travail : « dans le harcèlement moral, il y a intention de nuire, même si le législateur n’a pas retenu cette notion d’intentionnalité dans sa définition »[30], ou encore  le rapport de l’INRS qui spécifie : « dans le harcèlement moral, il y a une intention de nuire. L’objectif est, d’une manière ou d’une autre, de se débarrasser de la personne parce qu’elle gêne »[31].

 

Cette question de l’intentionnalité prend toute son importance quand on sait que certains comportements peuvent entraîner une grande souffrance chez une personne donnée alors qu’ils n’auraient aucun effet sur la plupart...

Certes, le caractère intentionnel du harcèlement, à moins d’être clairement exprimé par son auteur, est des plus difficiles à démontrer et constitue donc un frein à l’efficacité opérationnelle d’une définition. Néanmoins, le caractère délibéré de la dégradation des conditions de travail pourra s’apprécier à la lumière de l’absence totale de justification des comportements incriminés au regard de l’intérêt de l’institution.

 

Dans la pratique, la jurisprudence a jusqu’ici fait fréquemment référence à la volonté manifeste de l’auteur des agissements de nuire à sa victime. Elle insiste sur le caractère abusif ou excessif du comportement de l’employeur ou de la mauvaise foi que ce comportement révèle. Ainsi, lors du premier procès devant la juridiction pénale depuis la promulgation de la loi, les juges ont-il affirmé : « Le harcèlement moral n’est en soi ni le stress, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non, ni les contraintes de gestion. C’est autre chose qui touche à la volonté, affichée ou non de détruire une personnalité ».[32]

 

-           la dégradation des conditions de travail : le harceleur agit en effet par une mise en échec permanente de l’employé et par une non reconnaissance systématique de la qualité de ce qui est produit. Cela peut prendre la forme d’exigences trop importantes, dénuées de sens ou délibérément vagues afin de pousser le salarié à commettre une faute, ou de privations du matériel utile à la réalisation du travail.

Mais la plupart du temps, cela se traduit par l’isolement du salarié, c’est à dire par le refus de lui donner une tâche à effectuer. L’objectif est alors de donner au salarié le sentiment qu’il est inutile et de l’amener à remettre en cause son rôle au sein de l’entreprise.

 

-            l’atteinte aux droits et à la dignité : la référence aux droits doit se comprendre en référence aux dispositions de l’article L 120-2 du Code du Travail qui pose le principe selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ». En effet, le harcèlement ne vise pas l’accomplissement de la tâche, mais la personne.

Ainsi, un changement d’horaires imposé à des vendeuses en raison de la modification de l’activité de l’entreprise ne relèvera pas d’un agissement constitutif de harcèlement moral, même si les dits-horaires leur conviennent moins bien que les précédents.

En revanche, s’il n’y aucun changement dans l’activité de l’entreprise, aucune raison objective de modifier les horaires, et que de plus, une seule vendeuse est concernée par ces modifications, il pourra s’agir d’une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits de la salariée.

Le respect de la dignité est un principe fondamental à valeur constitutionnelle qui a également été repris au niveau européen par la charte sociale européenne.

Les exemples d’atteintes à la dignité en matière de harcèlement moral se rapportent souvent à des humiliations devant témoins, des mises au placard ou à l’exécution des tâches dans des conditions particulièrement humiliantes ( local insalubre, sans téléphone...).

Il s’agit, selon le CES [33] d’une « remise en cause de la personne même de la victime, par la négation de ce qui la constitue comme une personne à part entière, c’est à dire, reconnue dans sa réalité humaine ».

-       le mot « susceptible » suggère que les juges devront imaginer les conséquences qu’auraient pu entraîner les agissements constatés s’ils avaient perduré.

 Or, le mal occasionné par un comportement donné varie selon la personnalité de la victime... Béatrice Lapérou suggère que « l’on considère que les pressions dénoncées, pour pouvoir recevoir le qualificatif de harcèlement moral, doivent être ressenties par un individu normalement sensible comme insupportables ou tout au moins pénibles. » [34]

 

-           l’altération de la santé physique et mentale : les conséquences des situations de harcèlement sur la santé des victimes étant particulièrement importantes, nous aborderons ce thème dans la suite de ce mémoire. L’intérêt de cette disposition est donc de permettre aux victimes de contribuer à la reconnaissance du harcèlement dont elles ont été l’objet en produisant des attestations médicales.

A cet égard, la chronique des Cahiers prud’homaux [35]consacrée au harcèlement moral en 2003 résume la position des juges en matière de production de certificats médicaux : « Quand le salarié invoque le harcèlement comme cause d’ennuis de santé, le constat dressé par un médecin ne saurait dépasser ce qu’il a pu voir (cf .Cons.Prud.Paris, section activités diverses, 6 mai 2002).

En clair, le médecin n’est pas habilité à certifier, qui plus est unilatéralement, un harcèlement moral sans outrepasser ses attributions... et donc, risquer d’engager sa propre responsabilité. C’est précisément au juge d’apprécier si les conditions sont bien réunies au vu des faits apportés en ce sens par le salarié, puis par l’employeur, sans être lié par les « opinions du médecin » (cf Cour d’Appel d’Angers, ch.soc., 14 octobre 2002 où la Cour stigmatise le comportement d’un « spécialiste » qui se prononce non contradictoirement sur la cause du licenciement).

En revanche, des rapports d’expertise décrivant et analysant la souffrance vécue par une salariée, sans se contenter de conclure à partir de déclarations unilatérales ont emporté la conviction des juges[36] : «  ...c’est bien la répétition et la systématisation d’attitudes, de paroles, de comportements qui pris séparément peuvent paraître anodins, mais sont destructeurs à la longue. 

Qu’à cet égard, le rapport du Docteur P. est particulièrement édifiant qui décrit une salariée présentant un effondrement anxio-dépressif sévère, une désorganisation psychosomatique, un tableau de névrose traumatique majeure désormais identifiée comme spécifique du harcèlement avec sidération des fonctions du Moi, insomnies, cauchemars répétitifs, irritabilité, sentiments de terreur, pleurs, restrictions de la vie sociale, atteintes cognitives, troubles relationnels avec son mari et son fils, un effondrement identitaire centré sur un sentiment de dévalorisation, une intense culpabilité à s’être laissée faire, à s’être retrouvée destinataire de cette situation .

Le rapport décrit également une dépression par épuisement des mécanismes de défense ; amaigrie, effondrée, vidée de tous repères moraux, profondément déstabilisée dans son identité personnelle, cette patiente doit être hospitalisée et bénéficier d’une prise en charge psychothérapique spécialisée.

Le sentiment de dévalorisation est désormais intériorisé, toute résistance est abolie, toute compréhension de la situation aussi.

Le rapport indique enfin que la situation d’impasse est majeure et parle de situation de danger psychique majeur. 

Que ce rapport, dans sa description et son analyse de la souffrance vécue par Mme G., ne se contente pas de conclure à partir de déclarations formulées par la salariée, mais au contraire établit de façon précise le lien entre les situations humiliantes vécues dans le cadre d’une relation dominant-dominé où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre et à lui faire perdre son identité, et les effets de cette conduite sur l’intégrité à la fois physique et psychique de la salariée.»

 

-           l’avenir professionnel compromis: si l’on entend cette phrase au sens large, il s’agira non seulement de la perte d’une chance de parvenir à une qualification supérieure ou du risque de devoir quitter l’entreprise mais également du fait que le découragement, la démobilisation, les conséquences sur la santé liés au harcèlement dont le salarié fait l’objet pourront également être très préjudiciables à son évolution de carrière.

 

Un travail de recherche mené entre 1999 et 2001 au Centre de Pathologie Professionnelle de Garches sur le devenir des patients victimes de harcèlement moral au travail[37] montre que près de la moitié des 99 patients (répondant aux critères de harcèlement moral) ayant participé à l’enquête sont au chômage en juin 2002.

 

En résumé, toute la difficulté sera de démontrer devant les juges que le salarié a subi des agissements non indispensables à la bonne exécution du travail[38].

Or, la démonstration de tels agissements s’avère extrêmement délicate, car le harcèlement se met en place par un processus insidieux, se développant dans le temps et dans la plupart des cas, les collègues ne sont guère disposés à témoigner, craignant, à juste titre, d’avoir à en subir les conséquences.

L’examen de plusieurs décisions prud’homales récentes[39] montre des conseillers réticents à admettre le harcèlement moral sur la foi de simples allégations : « on ne constate pas, chez les conseillers prud’homaux, une énorme différence entre l’approche du harcèlement moral telle qu’elle se faisait jour en 2001 et celle qui se pratique en 2002 ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.6.3 De la difficulté d’apporter des preuves...

 

 

Face à la difficulté d’apporter la preuve d’agissements répétés de harcèlement, nous proposons de recenser, à partir de la liste des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen, ceux d’entre eux qui peuvent être considérés comme des critères objectifs de harcèlement moral au regard de la loi et pour lesquels des preuves pourront éventuellement être apportées.

Ce travail a été réalisé en collaboration avec Maître Coroller-Becquet, avocat à Quimper et par ailleurs membre de l’association Mots pour Maux au Travail. Il est présenté dans son intégralité en annexes, pages 11 à 16.

 

Maître Coroller-Becquet précise que globalement, aucun des agissements cités, s’il est envisagé indépendamment du contexte de travail, ne pourra apporter la preuve d’un harcèlement : la présence d’un agissement, même répété, n’a en soi aucune signification et il semble dangereux de s’en remettre uniquement aux résultats d’un questionnaire de ce type pour décider de la présence ou non d’une situation de harcèlement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour chacune des situations énoncées ci-dessus, diriez-vous en cas de procès que la preuve d’un harcèlement moral serait retenue ?

 

Tout à fait d’accord :                                     5

Plutôt d’accord :                                     4

Ne sait pas : [40]                                    3

Pas d’accord :                                    2

Pas du tout d’accord :                                    1

Atteinte aux conditions de travail

Cotation

 A1 : On retire à la victime son autonomie

1

 A2 : On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche

1

 A3 : On conteste systématiquement toutes ses décisions

1

 A4 : On critique son travail injustement ou exagérément

1

 A5 : On lui retire l'accès aux outils de travail ( téléphone, fax, ordinateur...)

4

 A6 :On lui retire le travail qui normalement lui incombe

4

A7 : On lui donne en permanence des tâches nouvelles

3

A8 : On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences

4

A9 : On fait pression sur elle pour qu'elle ne fasse pas valoir ses droits ( congés, horaires, primes)

3

A10 : On fait en sorte qu'elle n'obtienne pas de promotion

3

A11 : On lui attribue contre son gré des travaux dangereux

4

A12 : On lui attribue des tâches incompatibles avec sa santé

4

A13 : On occasionne des dégâts à son poste de travail

4

A14 : On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter

3

A15 : On ne tient pas compte des avis médicaux formulés par le médecin du travail

4

A16 : On la pousse à la faute

4

 

 

Isolement et refus de communication

 

B1 : On interrompt sans cesse la victime

3

B2 : Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus

4

B3 : On communique avec elle uniquement par écrit

3

B4 : On refuse tout contact même visuel avec elle

3

B5 : On l'installe à l'écart des autres

4

B6 : On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres

3

B7 : On interdit à ses collègues de lui parler

4

B8 : On ne la laisse plus parler aux autres

3

B9 : La direction refuse toute demande d'entretien

3

 

 

Atteinte à la dignité

 

C1 : On utilise des propos méprisants pour la qualifier

4

C2 : On utilise envers elle des gestes de mépris ( soupirs, regards méprisants, haussements d'épaules

3

C3 : On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés

4

C4 : On fait courir des rumeurs à son sujet

4

C5 : On lui attribue des problèmes psychologiques ( on dit que c'est une malade mentale)

4

C6 : On se moque de ses handicaps ou de son physique; on l'imite ou on la caricature

4

C7 : On critique sa vie privée

3

C8 : On se moque de ses origines ou de sa nationalité

4

C9 : On s'attaque à ses croyances religieuses ou à ses convictions politiques

3

C10 : On lui attribue des tâches humiliantes

4

C11 : On l'injurie avec des termes obscènes ou dégradants

4

 

 

Violence verbale, physique ou sexuelle

 

D1 : On menace la victime de violences physiques

3

D2 : On l'agresse physiquement, même légèrement, on la bouscule, on lui claque la porte au nez

3

D3 : On hurle contre elle

3

D4 : On envahit sa vie privée par des coups de téléphone ou des lettres

3

D5 : On la suit dans la rue, on la guette devant son domicile

3

D6 : On occasionne des dégâts à son véhicule

3

D7 : On la harcèle ou on l'agresse sexuellement ( gestes ou propos)

3

D8 : On ne tient pas compte de ses problèmes de santé

4

 

Figure 1 :  recensement des critères objectifs de harcèlement moral au regard de la loi

(d’après la classification des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen)

 

 

L’analyse de ce recensement d’agissements et des commentaires présentés en annexes tend à prouver qu’un nombre important d’entre eux fait appel à des notions subjectives, de l’ordre du ressenti, et dont la preuve sera extrêmement difficile à apporter.

Il apparaît également que si nombre d’entre eux peuvent être constatés par l’inspecteur du travail[41], les faits montrent que, bien souvent, les personnes harcelées n’ont plus la capacité de juger ce qui est digne et ce qui ne l’est pas et ne se défendent pas. Les enquêtes tendent en effet à prouver que de nombreuses personnes réellement harcelées n’en sont pas conscientes. L’une d’elles, menée récemment auprès de 3220 salariés suisses[42], indique que parmi les 243 personnes répondant aux critères de mobbing selon Leymann, seules 31,3 % d’entre elles s’estiment harcelées.

Marie Pezé, experte spécialisée dans le domaine du harcèlement moral au travail, affirme également : « Il n’y a pas véritablement de prise de conscience : les personnes ne se rendent pas compte de ce qui leur arrive ; elles n’ont pas de recul par rapport à cette situation d’attaques répétées liées au geste de travail. On pourrait presque dire que si les personnes en ont conscience, c’est qu’elles ne sont pas véritablement harcelées, même si depuis la médiatisation du harcèlement moral, la prise de conscience a été un peu facilitée. »[43]

Dans cette perspective de constatation par un huissier ou l’inspection du travail, d’autres écueils apparaissent : ainsi, faudra-t-il encore prouver que les agissements constatés ont bien un caractère répétitif ; d’autre part, leur venue dans l’entreprise, à la demande du salarié, risque fort d’envenimer la situation, d’entraîner une recrudescence du harcèlement de façon encore plus insidieuse, voire d’empêcher toute poursuite du contrat de travail.

D’autres types d’agissements peuvent être objectivés lors d’enquêtes[44] réalisées suite à un dépôt de plainte. Il se peut alors que « les langues se délient » et que le collectif de travail témoigne d’agissements, de comportements qu’il avait tus jusqu’à présent.

Enfin, la preuve de certaines pratiques en rapport avec les conditions de travail est plus facile à apporter dans les entreprises où les procédures ont été définies de façon précise suite à la mise en place d’une démarche qualité, ce qui ne concerne encore qu’une faible proportion d’entreprises.

 

En conclusion, non seulement les agissements caractérisant le harcèlement moral font pour la plupart appel à des notions subjectives de l’ordre du ressenti, mais de plus, ils peuvent se retrouver dans d’autres types de souffrance au travail ne relevant pas de situations de harcèlement, et que nous allons recenser dans le chapitre suivant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.7 diagnostic differentiel: discerner ce qui releve du harcelement moral et ce qui n’en releve pas

 

 

 

Un rapport très récent du Secrétariat à l’Economie Suisse[45] révèle que sur un échantillon représentatif de la population active occupée de Suisse de 4319 personnes, 4,4 % des personnes interrogées par téléphone se déclaraient victimes de mobbing. Il leur était alors proposé de remplir un questionnaire (version révisée du LIPT[46]). A l’issue de l’analyse des questionnaires, plus de la moitié des personnes (2,4 %) ne répondaient pas aux critères de la définition du mobbing.

Toutes les personnes se sentant harcelées ne le sont pas pour autant...Bien souvent, ces personnes sont victimes d’autres types de souffrance au travail que nous allons recenser dans ce chapitre. Faute de ce discernement, ce qui est éprouvé subjectivement ou toute insuffisance au travail risquerait d’être automatiquement rapporté au harcèlement moral en portant forcément préjudice aux véritables victimes qui risqueraient de ne plus être entendues.

 

 

 

1.7.1 Le stress

 

 

Le stress est le phénomène le plus souvent confondu avec le harcèlement moral.

Une responsable d’un service formation, sans cesse interrompue dans sa tâche d’élaboration de dossiers par des appels téléphoniques, des visites impromptues me déclarait : « je suis victime de harcèlement ». Harcelée, peut-être, mais sans doute pas victime de harcèlement moral...

Le terme de stress a été introduit par Hans Selye, médecin endocrinologue canadien. Pour lui, il s’agit d’une « réponse non spécifique que donne le corps à toute demande qui lui est faite » [47].

Il est à l’origine du concept de Syndrome Général d’Adaptation : face à un stimulus, l’organisme réagit en trois phases qui sont la réaction d’alarme, la phase de résistance et la phase d’épuisement.

Dans sa conception actuelle, le stress est un processus qui implique l’interaction entre un stressor (événement déclenchant) et un organisme produisant un effet (physiologique ou pathologique).

Les recherches ont évolué vers une analyse toujours plus précise des corrélations qui existent entre trois sortes de variables  qui concernent :

 

1)         l’événement ou la situation : ses caractères, ses qualités et notamment sa durée, son intensité.

2)         l’individu : l’âge, la fatigue, la maladie, mais également la vulnérabilité, la réactivité, les facteurs de contexte : génétiques, biographiques (sensibilisation), sociaux, familiaux (histoire familiale), neurocognitifs et intellectuels, psychophysiologiques, psychopathologiques et de personnalité et la façon de faire face à l’événement             (coping).

Dans son ouvrage, Stress, pathologies et immunités, J.M Thurin précise que chaque événement ou situation est interprété en fonction de ce qu’il signifie pour la personne.

Ce qui concerne le sentiment d’existence et de dignité (sentiment mis à mal dans les situations de harcèlement moral avéré) a un impact plus important qu’un événement lié à une catastrophe naturelle par exemple.

Il faut également souligner l’importance de l’état de la personne au moment où se produit l’événement (dépressif, d’épuisement...) qui peut conduire à ressentir tout ce qui se passe comme une agression.[48]

3)        les caractéristiques de l’environnement social : il peut, pour toutes sortes de raisons être plus ou moins présent. C’est un élément pratiquement aussi important que les deux précédents[49].

L’interaction de ces multiples facteurs va être susceptible d’entraîner des répercussions psychologiques et somatiques.

Concernant le domaine spécifique du stress au travail, d’après l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail, le stress « survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».[50]

Hormis la partie française des enquêtes européennes, il n’existe pas d’études françaises nationales spécifiques sur le stress au travail. Ainsi, d’après la troisième enquête sur les conditions de travail, 28 % des travailleurs évoquent des problèmes de stress (ils étaient 25 % lors de la précédente enquête en 1995). La France fait désormais partie du groupe des 6 pays les plus touchés par le stress au travail.

 

Si les facteurs personnels jouent un rôle fondamental, le stress ne peut s’y réduire : il dépend bien souvent des conditions de travail.[51]

Il constitue ainsi un véritable processus psychologique complexe, susceptible d’avoir, à plus ou moins long terme, des incidences sur la santé dont il convient d’étudier les origines.

 

Philippe Davezies, enseignant-chercheur spécialiste des relations entre organisation au travail et santé explique l’augmentation du stress par plusieurs facteurs :

 

1)        une accentuation générale de la pression au travail due à la montée en puissance des exigences financières et à l’ajustement au plus près de la demande du client.

 

2)        une évolution de l’organisation du travail (absence de prévisibilité, contrôles de la performance effectués sur des critères de plus en plus abstraits, rigidification des contrôles, fonctions de gestion décontextualisées : hiérarchies non issues du métier...) se traduisant par une perte du pouvoir d’agir.[52]

 

3)        une individualisation des relations de travail

 

Le modèle « demande psychologique/latitude décisionnelle » de Karasek, aujourd’hui dominant dans la littérature internationale, propose une explication du stress au travail en croisant deux types de facteurs de stress :

-           la demande psychologique, associée aux contraintes liées à l’exécution de la tâche (quantité, complexité, contraintes de temps, etc.)

-           la latitude décisionnelle qui recouvre d’une part le contrôle que l’on a sur son travail et d’autre part l’utilisation de ses compétences.

 

 

 

 

DEMANDE PSYCHOLOGIQUE




LATITUDE DECISIONNELLE

 

Faible

Elevée

Faible

Elevée

2="Travail passif"

4="Travail surchargé"

1="Travail détendu"

3="Travail dynamique"

Tableau 2 : modèle de Karasek

La situation exposant le plus au stress est celle qui combine à la fois une demande psychologique élevée et une faible latitude décisionnelle (situation n° 4).

Par la suite, une troisième dimension a été introduite dans le modèle de Karasek. Il s'agit du soutien social au travail , qui module le déséquilibre [demande psychologique/latitude décisionnelle] : une situation combinant une demande psychologique élevée et une faible latitude décisionnelle (situation n°4) est mieux supportée si la personne est soutenue par son entourage professionnel.

En conclusion, une situation de pression, d’intensification du travail n’est pas en elle-même génératrice de stress ; c’est la perte du pouvoir d’agir et le sentiment d’isolement qui y sont associés.

 

Philippe Davezies souligne par ailleurs que «dans l’entreprise, le mot ’stress’ est particulièrement commode pour exprimer de façon synthétique les difficultés, la souffrance au travail et ses conséquences en matière de santé. Il est, dans cette fonction, relativement interchangeable avec une série d’autres expressions telles que surcharge, surmenage, intensification, harcèlement, souffrance... »[53].

Cette assertion est corroborée par l’enquête de C. Mancel et Y. Montoya [54] : si 88 % des 186 institutionnels interrogés (médecins, inspecteurs et contrôleurs du travail) pensent qu’il existe une différence entre le harcèlement moral et le stress, à peine plus de la moitié des 1016 salariés interrogés ( 56 %) pensent qu’il n’y a pas de différence entre les deux...

Nous pensons néanmoins qu’il est nécessaire d’opérer une distinction entre le stress lié aux contraintes organisationnelles de l’entreprise (délais déraisonnables, charges de travail ingérables, mauvaise organisation, etc...) qui n’est pas sous-tendu par une volonté de nuire, et le stress engendré par les atteintes contre la personne en tant que telle, les injonctions paradoxales, la répétition d’actes malveillants caractéristiques du harcèlement moral.

C’est donc avec cette catégorie de stress (stress lié à des contraintes organisationnelles défavorables, ne visant pas une personne de manière ciblée et prolongée) qu’il convient de comparer les situations de harcèlement moral.

 

Dans un souci de clarté, nous utiliserons une présentation sous forme de tableaux comparatifs. Ces tableaux peuvent servir de repères en ayant conscience que nous sommes parfois face à des situations limites, moins caricaturales que ce qui est présenté...

 

STRESS

HARCELEMENT MORAL

L’agression porte sur les conditions de travail (surcharge de travail, mauvaise organisation etc..)

Pas de lien entre les impératifs de travail et le stress imposé.

Pas de malveillance, d’attaque à la personne, de volonté de nuire.

Volonté de nuire personnellement au salarié.

Augmentation de la charge de travail

Augmentation, diminution ou changement dans la charge de travail

Repos réparateur.

Atteintes physiques et psychiques durables.

But : amener le salarié à produire plus

But : mettre le salarié en difficulté, le pousser à la faute, l’amener à douter de lui, le détruire.

 

Il  conviendrait, pour conclure ce chapitre de signaler que les contextes de travail stressants tels que définis pour notre comparaison, s’ils ne relèvent pas du harcèlement moral, peuvent néanmoins constituer un terrain favorable à sa mise en place.

 

 En effet, le stress pouvant être lié à l’émergence de nombreux problèmes de santé mentale, certains salariés risquent de se trouver dans une position de fragilité favorable au développement de harcèlement.

Il peut également avoir un impact sur les conditions de travail affectant la collaboration entre les employés.

 

Enfin, dans de telles situations, les salariés et leurs supérieurs ont moins de temps pour aborder les situations conflictuelles de manière constructive...

 

 

 

1.7.2 Les agressions ponctuelles

 

 

La différence avec le harcèlement moral est qu’il se caractérise précisément par la répétition.

C’est la répétition et la systématisation des comportements, des propos qui détruisent la personne visée.

 

Il faut cependant noter qu’il peut arriver qu’à l’occasion d’une agression ponctuelle particulièrement violente et injustifiée, le salarié prenne conscience de phénomènes d’humiliation, de rejet, dont il était victime depuis plusieurs années.

 

AGRESSION PONCTUELLE

HARCELEMENT MORAL

Acte isolé

Constitué de multiples agressions

Souvent, pas de notion de préméditation ; caractère impulsif de l’agression

Système élaboré, prémédité.

 

 

 

 

 

 

1.7.3 Le conflit

 

 

 

Le conflit est une autre confusion relativement fréquente avec le harcèlement moral.

 

Sur ce point, les opinions de Marie-France Hirigoyen et d’Heinz Leymann divergent : alors que Marie-France Hirigoyen pense que le harcèlement naît de situations pour lesquelles aucun conflit n’a vu le jour[55], Heinz Leymann pense en revanche que lorsqu’un conflit n’est pas résolu, que personne n’intervient pour y mettre fin, il peut être à l’origine de mobbing[56]. Il précise néanmoins que seul un petit nombre de conflits dégénère en mobbing.

 

La différence essentielle entre ces deux situations est que dans un conflit, les reproches sont nommés alors que dans une situation de harcèlement, tout est dans le non dit, les propos paradoxaux, incompréhensibles. « Dans le harcèlement moral, ce qui pose problème n’est pas apparent ; l’agresseur refuse toujours le dialogue »[57]

Théoriquement, dans un conflit, on reconnaît l’autre comme interlocuteur ; les deux parties peuvent s’exprimer, contribuant ainsi, en principe, à l’évolution de la situation.

C’est cette relation symétrique qui est inexistante dans les cas de harcèlement : « on est alors dans le cadre d’une relation dominant-dominé où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre, à lui faire perdre son identité »[58].

 

CONFLIT

HARCELEMENT MORAL

Relation symétrique, les deux parties ont la possibilité de réagir

La victime est dans l’impossibilité de réagir

Reproches nommés

Tout est dans le non-dit, les propos paradoxaux, incompréhensibles.

Peut être une source de renouvellement, de réorganisation, de mise à plat des problèmes.

Situation non évolutive.

1.7.4 Les contraintes professionnelles, les obligations normales du travail

 

 

Certaines personnes, parce qu’on leur demande de faire leur travail, d’arriver à l’heure, ou encore à la suite d’un rappel à l’ordre ou d’un entretien d’évaluation... peuvent ressentir un sentiment d’injustice et se sentir harcelées.

Or, les contraintes sont la plupart du temps prévues dans le contrat de travail, dans le règlement intérieur ou la convention collective et sont donc clairement établies. De plus, elles sont inhérentes au bon fonctionnement du poste pour lequel la personne a été embauchée et sont donc légitimes.

Cette confusion peut se rencontrer dans le cas de personnes dont on n’a pas clairement et précisément défini les tâches et les fonctions.

 

OBLIGATIONS NORMALES DU TRAVAIL

HARCELEMENT MORAL

La finalité d’une décision ou d’un agissement est d’exécuter de bonne foi le contrat de travail

La finalité d’une décision ou d’un agissement n’a pas de rapport avec l’intérêt de l’entreprise.

Pas d’intention de nuire.

Intention de nuire personnellement.

 

 

 

1.7.5 La maltraitance manageriale

 

 

C’est le cas de certains dirigeants caractériels qui adoptent un style de gestion du personnel autoritaire, violent et irrespectueux.

Ce type de comportement, souvent très caricatural, est repérable par tous (y compris par les délégués du personnel), alors que les procédés du harcèlement moral sont occultes.

De plus, tous les salariés sont indifféremment maltraités, ce qui laisse entrevoir des issues possibles (action collective).

On ne retrouve pas la dimension de l’isolement, très caractéristique des situations de harcèlement moral ; les victimes finissent par se sentir responsables de ce qui se passe : elles doutent d’elles-mêmes et éprouvent un sentiment de culpabilité. Dans les cas de maltraitance manageriale, les personnes impliquées ont les moyens de repérer où sont les limites de leurs responsabilités et où commencent celles de leur manager.

 

A ce propos, Marie-France Hirigoyen déclarait lors d’une conférence donnée à Quimper : « Ce qui me paraît extrêmement important, en terme de santé des personnes, c’est de savoir qu’on est beaucoup plus atteint lorsqu’on pense que l’on est responsable de ce qui ne va pas ou que l’on a des doutes sur soi-même. Dans les cas de maltraitance manageriale, quand on sait que c’est « l’autre » qui pose problème, on va finalement beaucoup mieux »[59].

 

Néanmoins, ces situations sont, comme dans le cas du stress, un terrain favorable à l’émergence de harcèlement moral : il se peut que le responsable, tout en adoptant un comportement tyrannique à l’égard de l’ensemble des salariés, vise les faiblesses de chaque personne ou qu’il adopte une stratégie visant à monter les salariés les uns contre les autres, essayant de casser les alliances pour garder un peu plus de pouvoir. La frontière entre maltraitance manageriale et harcèlement moral est donc parfois floue.

 

 

MALTRAITANCE MANAGERIALE

HARCELEMENT MORAL

L’ensemble du groupe est visé

Une personne est spécifiquement visée

Comportement repérable par tous

Agissements occultes

Le salarié ne doute pas de lui-même, de sa propre santé mentale

Le salarié doute de lui-même et se sent coupable

Possibilité d’une réaction de groupe

Salarié isolé.

En général, atteintes physiques et psychiques réversibles

Atteintes physiques et psychiques durables

 

 

 

 

1.7.6 Les mauvaises conditions de travail

 

 

Une surcharge de travail, des mauvaises conditions de travail ( matériel inadapté, manque de confort, etc...), ne relèvent du harcèlement moral que si elles ont un caractère humiliant spécifiquement dirigé vers une personne du groupe.

 

MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL

HARCELEMENT MORAL

En général, tout le groupe de travail est concerné

Une seule personne est visée

Pas de volonté de nuire

Volonté manifeste, consciente ou inconsciente, de nuire

 

 

 

1.7.7 Les troubles de la personnalité (personnalité paranoïaque, borderline...)

 

 

Une personnalité est pathologique quand « un profil caractériel est statistiquement rare et que les attitudes et le comportement sont une cause de souffrance pour le sujet lui-même et pour son entourage ».[60]

La notion de la souffrance paraît essentielle : en effet, ces sujets, comme tout un chacun, doivent faire face à des conflits, mais ils ne peuvent s’y adapter, ce qui complique les relations à l’autre, notamment en milieu de travail. On assiste généralement à une répétition d’échecs relationnels rendant ces personnes vulnérables à toutes les épreuves de l’existence.

 

La médiatisation du harcèlement moral a parfois entraîné, pour ces personnes, un rattachement de leur souffrance à ce concept. Philippe Davezies analyse ce phénomène de façon très juste : «l’expression de la souffrance apparaît donc tributaire des formes langagières socialement légitimées à un moment donné »[61].

 

Cependant, l’existence de tels troubles n’exclut pas, à priori, la mise en place de harcèlement psychologique. En revanche, elle en complique l’analyse.

 

Il paraît donc important de ne pas analyser trop vite les situations comme étant le fait de harcèlement moral en risquant de passer à côté de la véritable cause de souffrance. On peut légitimement se poser la question de la fiabilité des diagnostics de harcèlement moral actuellement réalisés pour les enquêtes sur la base de questionnaires de type LIPT[62].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE 2.

 

 

consequences sur la sante :

espt ou symptomes d’apparentant à ceux d’un espt ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.1. Introduction

 

 

 

En matière de diagnostic d’ESPT, le DSM-IV tient lieu d’autorité quasi-absolue.

Or, le concept d’ESPT a évolué à travers de nombreuses dénominations et de nombreuses étapes ; afin de comprendre l’inadéquation des critères du DSM-IV à certaines situations, un bref résumé de l’histoire de ce syndrome se révèle utile.

 

 

 

2.2. Qu’est-ce qu’un espt ?

 

 

 

2.2.1. Une brève histoire du diagnostic d’ESPT

 

 

 

Il est important de bien comprendre l’histoire de l’ESPT, car les psychiatres, les avocats et les juges doivent connaître sa nature évolutive. L’expérience clinique précède et contredit souvent le manuel et elle sert de base aux modifications que l’on apporte à ce dernier.

 

L’ESPT n’est pas un nouveau syndrome : des symptômes semblables à ceux du DSM-IV ont été décrits depuis l’antiquité et il existe une documentation claire dans la littérature médicale historique à ce sujet.[63]Il n’est que la dénomination récente d’un ensemble de symptômes particulièrement observés et étudiés sous différents vocables, depuis un siècle.

 

Ainsi, en 1989, Oppenheim créa le terme de « névrose traumatique » afin de désigner la symptomatologie présentée par des accidentés de chemin de fer.

A la même époque, Charcot remarque des symptômes similaires chez ses patients de la Salpetrière et se consacre, ainsi que Freux et Janet, à l’étude de cette « névrose hystérique ».[64]

Par la suite, la Seconde Guerre Mondiale, celles de Corée et du Vietnam ont provoqué un regain d’intérêt pour la pathologie traumatique. Les séquelles psychologiques graves démontrées par les vétérans ont entraîné de nombreuses études épidémiologiques rigoureuses et fiables qui ont abouti à une description précise de l’ESPT et son intégration nosologique au sein du DSM[65] en 1980 et de la CIM[66] en 1992.

 

L’ESPT diffère de la plupart des autres catégories diagnostiques car il inclut dans ses critères la cause présumée du traumatisme (critère A1).

La définition du critère A1 trouve son origine dans des expériences de guerre ; elle s’est ensuite élargie aux catastrophes, aux abus sexuels, aux agressions et à la maltraitance et induit toujours l’idée qu’il s’agit d’évènements exceptionnels.

 

Cependant, le concept d’ESPT évolue toujours : différentes études récentes[67] attirent l’attention sur le fait que de nombreux évènements de vie au cours desquels le sujet n’a pas vu sa vie ou son intégrité physique (ou celle d’autrui) menacée (critère A1 du DSM-IV) peuvent être à l’origine du développement d’un ESPT, telle l’accumulation de facteurs de stress discontinus[68].

Par ailleurs, la présence d’un ESPT est associée à un certain nombre de désordres biologiques dont l’étude est l’objet de travaux de recherche récents[69].

 

 

2.2.2. Critères de diagnostic pour un ESPT 

 

Même si les critères du DSM-IV sont aujourd’hui largement critiqués en raison de leur caractère réducteur, généralement, ils constituent un terrain d’entente et une référence en matière de recherche. Nous allons donc préciser ces critères :

 

 

DSM IV (1994)

Critères diagnostiques du F43.1 Trouble Etat de Stress post-traumatique

 

§       critere a : le sujet a été exposé à un évènement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

 

-       : le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des évènements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.

 

-       2 : la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur[70].

 

§       critère b : l’événement traumatique est constamment revécu de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

 

-     1 : souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées, ou des perceptions.[71]

 

-       : rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse.[72]

 

-       : impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations et des épisodes dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication).[73]

 

-       4 : sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un des aspects de l’événement traumatique en cause.

 

-       5 : réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.

 

 

 

 

 

 

§       critère c : Evitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations suivantes :

 

-     1 : efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associées au traumatisme.

 

-       : efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme.

 

-       3 : incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme.

 

-       4 : réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à des mêmes activités.

 

-       5 : sentiment de détachement d’autrui, ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.

 

-       6 : restriction des affects[74].

 

-       7 : sentiment d’avenir bouché[75].

 

 

§       critère D : présence de symptômes persistants traduisant une activation neuro-végétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des manifestations suivantes :

 

-       1 : difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu.

 

-       :  irritabilité ou accès de colère

 

-       : difficultés de concentration

 

-       4 : hyper vigilance

 

-       : réaction de sursaut exagérée

§       critère E : la perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus d’un mois.

 

§       critère F : la perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

 

Spécifier si aigu : la durée des symptômes est de moins de 3 mois ou chronique : elle est de 3 mois ou plus.  Spécifier si survenue différée : le début des symptômes survient au moins 6 mois après le facteur de stress.

2.2.3. Evaluation de l’ESPT

 

 

L’évaluation psychométrique permet aux professionnels d’adopter un langage commun dans le cadre de la recherche clinique. C’est dans cette perspective que nous nous situerons, en gardant à l’esprit le caractère subjectif du ressenti émotionnel lié à l’événement traumatisant : au-delà du seul événement, le développement des troubles décrits dans le DSM-IV s’inscrit dans un contexte pré, péri et post-traumatique qu’il conviendra d’étudier dans une perspective thérapeutique.

 

Il existe principalement deux types d’outils d’évaluation :

-       les outils d’auto-évaluation (questionnaires, inventaires), très structurés : le patient répond aux questions proposées à l’aide d’une grille de réponses possibles sans espace de liberté possible.

-       les outils d’hétéro-évaluation (échelles, entretiens semi- structurés ou structurés) utilisés par des cliniciens qui interrogent les patients.

 

Les résultats obtenus à l’aide de ces deux types d’outils sont assez proches[76].

 

Dans le cadre des enquêtes réalisées sur la corrélation entre harcèlement moral et ESPT que nous recenserons dans le chapitre suivant, les principaux outils utilisés en France sont des outils d’auto-évaluation :

 

-           l’IES-R[77] (Impact of Event Scale-Revised) construit Weiss et coll.(1997) pour lequel il existe une version française validée[78]. Cet outil permet, en 22 items, de recenser et de mesurer la sévérité des symptômes post-traumatiques. Un score supérieur  ou égal à 36 suggère la présence d’un trouble de stress post-traumatique.

 

-           Le PTSD I (PTSD interview) construit par Watson et coll. (1991) a été traduit en français[79] et adapté en auto-questionnaire par Jehel [80] (QSPT 1999). Il permet une mesure dimensionnelle de l’ESPT par un score de sévérité des symptômes selon les critères du DSM-IIIR. Ces critères peuvent donc être observés et décrits dans une population, même en l’absence d’ESPT complet, dans le cas où tous les critères ne sont pas réunis. Outre la mesure dimensionnelle et catégorielle, il précise si l’ESPT est actuel ou passé. Le cut-off étant compris entre 3 et 4 pour chacun des 17 items, le score seuil pathologique peut être fixé à 51 ou 68.

 

 

2.2.4. Evolution de l’ESPT

 

Il est précisé dans le DSM-IV que les symptômes et l’importance relative de la reviviscence, de l’évitement et des symptômes d’hyperéveil peuvent varier dans le temps.

Leur durée est variable avec une guérison complète survenant en trois mois dans environ la moitié des cas alors que de nombreux autres sujets ont des symptômes qui persistent plus de 12 mois après le traumatisme.

Les études de Kessler indiquent que 9 mois après la survenue de l’événement traumatisant, 42 % des individus présentent encore un ESPT et que ces troubles persisteront durant des années pour 15 à 25 % des sujets ayant été soumis au traumatisme.[81].

Si le soutien social, les antécédents familiaux, les expériences durant l’enfance, les troubles mentaux préexistants et bien sûr, la présence ou non d’un suivi thérapeutique peuvent influencer le développement de l’ESPT, il est précisé dans le DSM-IV que ce trouble peut se développer chez des sujets ne présentant aucun facteur prédisposant, surtout si le facteur de stress a été particulièrement important.

 

 

2.3. Discussion autour du critère A

 

De nombreux auteurs se rejoignent pour affirmer que la constitution d’un ESPT est intimement liée à la perception subjective par l’individu de l’événement traumatisant et ce, beaucoup plus souvent qu’aux caractéristiques objectives de l’événement.

Dans un article sur l’ESPT dans le cadre du travail[82] Ravin et Boal affirment que le DSM, à cause de son héritage militaire et lié aux accidents, ne parvient pas à identifier correctement les problèmes de travail qui causent pourtant des ESPT dans des proportions épidémiques chez les travailleurs américains. Les auteurs sont convaincus que l’événement stressor tel que défini par le DSM est fallacieux et qu’il peut être en fait constitué d’une série d’évènements, aucun d’eux n’étant bouleversant en soi, mais dont le dernier mènerait à l’éclatement de l’équilibre psychologique déjà précaire du travailleur, causant ainsi un ESPT.

En admettant qu’un diagnostic d’ESPT ne puisse être donné que si le critère A1 est rempli, Scott et Tradling[83] ont proposé un diagnostic supplémentaire : le Prolonged Duress Stress Disorder (PDSD) pour lequel les symptômes de stress résultent de l’accumulation de petits incidents qui, pris individuellement, ne menacent pas la vie.[84]. La symptomatologie et l’évolution du PDSD semblent être la même que celles de l’ESPT.

Il semble que le PDSD puisse potentiellement naître de n’importe quelle période prolongé de stress négatifs au cours de laquelle certains facteurs sont présents, et notamment l’aspect de captivité (l’individu qui vit le traumatisme est incapable d’échapper à la situation).

Ces situations incluent le harcèlement moral, les abus, les violences conjugales, les carences affectives précoces, les conflits non résolus, etc.).

 

Ceci étant, malgré l’existence de preuves empiriques indiquant que les situations que nous venons de décrire, et notamment le harcèlement, peuvent être traumatisantes, nous ne savons toujours pas exactement pourquoi. Dans une étude récente, S. Enarsein et M. Mikkelsen, posent l’hypothèse que l’ESPT faisant suite à des situations de maltraitance au travail pourrait être du à l’endommagement de certaines idées fondamentales que les victimes avaient d’elles-mêmes, des autres et du monde. Des exemples de telles hypothèses sont « je suis une personne compétente », ou encore « les gens font attention aux autres ».

Les auteurs pensent que ces sentiments, développées dès l’enfance, permettent aux personnes de fonctionner au quotidien et de les aider à garder une sensation d’invulnérabilité. Les résultats de leur étude semblent rendre viable l’hypothèse selon laquelle les symptômes de la victime seraient dus à l’ébranlement des hypothèses précédemment décrites.

 

D’autres auteurs, comme Groeblinghoff et Becker[85], pensent que les personnes exposées à une menace prolongée et persistante au travail peuvent, suite à une anxiété profonde, sentir que leur vie est menacée et qu’un malheur peut leur arriver à n’importe quel moment.

 

 

 

2.4. Harcèlement moral au travail et espt : les enquêtes

 

 

2.4.1     Introduction

 

 

Malgré l’absence du critère A1 pour effectuer un diagnostic d’ESPT « pur » dans les situations de harcèlement, Ravin et Boal, en 1989, furent vraisemblablement les premiers auteurs américains à affirmer qu’il existe une corrélation entre harcèlement au travail et développement d’un ESPT[86]. En Europe, Heinz Leyman évoquera en 1996 une possible « réaction post-traumatique » [87]faisant suite à un harcèlement. Par la suite, dans son premier ouvrage[88], en 1998, Marie-France Hirigoyen indiquera clairement que certaines victimes peuvent développer toute une série de symptômes qui se rapprochent de la définition de l’ESPT du DSM-IV.

 

Les enquêtes dans ce domaine sont donc très récentes et peu nombreuses.

Avant d’interroger les spécialistes français à ce sujet, nous proposons ci-après un recensement des travaux de recherche sur ce thème.

2.4.2  Les enquêtes à l’étranger

 

 

1.             USA

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

2000

N = 1335

Recrutement par Internet de personnes estimant qu’elles sont victimes de bullying

Questionnaire et réponses via Internet

26 %

 

Tableau 3 : US. Hostile Workplace Survey 2000[89]

 

Définition du harcèlement retenue : On entend par bullying une maltraitance illégitime et répétée d’un employé visé par une ou plusieurs personnes. Cette maltraitance est caractérisée par des actes négatifs qui portent atteinte à la santé physique et psychologique de la cible ainsi qu’à sa sécurité économique.

 

Mode d’évaluation de l’ESPT: les participants du sondage ont complété une checklist de 35 items sur la santé (un tableau indiquant les pourcentages rapportés pour les catégories les plus fréquemment rencontrées est présenté en annexe p 17).

 

Toutes les catégories de symptômes (critères B, C, D) du DSM-IV ont été inclues dans la check-list. Ont été considérés comme étant en état de stress post-traumatique les individus qui présentaient les trois symptômes suivants :

-       hypervigilance (sursaute facilement, se tient sur ses gardes, se sent énervé, paranoïa)

-       pensées intrusives (cauchemars, flashback, souvenirs récurrents)

-       évitement/dissociation (« engourdissement » des pensées, des sentiments, besoin d’éviter les lieux traumatisants)

 

 

 

 

 

2.             Canada

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

2001

n = 86

Personnes remplissant les critères de harcèlement du LIPT et dont la situation répondait à la définition du harcèlement ci-après.

Envoi et retour de questionnaires par la poste

47,5 %

 

Tableau 4 : enquête auprès des travailleurs affiliés à la CSQ (Centrale des Syndicats du Québec) [90]

 

Définition du harcèlement retenue : le harcèlement psychologique au travail peut se définir comme toute action (geste, parole, comportement, attitude, etc.) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa gravité, à la dignité ou à l'intégrité d'une travailleuse ou d'un travailleur.

Il peut être exercé tant par une ou un collègue de travail que par un supérieur hiérarchique.  Il peut prendre différentes formes et se traduire notamment par des insultes, des humiliations, des menaces, du chantage, des accusations parfois ouvertes, parfois exprimées à demi-mot, des insinuations non fondées, des représailles injustifiées, des critiques constantes portant plus sur la personnalité que sur le travail accompli.

 

Mode d’évaluation de l’ESPT : auto-questionnaires (IES[91] et PTS-10[92])

 

3.             Norvège

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

2001

N =118

Auto-sélection par réponse à des news-letter, puis sélection des personnes remplissant les critères de harcèlement du NAQ[93] et dont la situation répondait à la définition du harcèlement indiquée ci-après.

Envoi et retour de questionnaires par la poste

90 %

 

 

Tableau 5 : étude sur les symptômes de Stress post-traumatique chez les victimes de bullying au travail (S. Enarsein, E. Mikkelsen)[94]

 

 

Définition du harcèlement retenue : le concept de bullying se réfère à des situations dans lesquelles, pendant une certaine période, une personne est exposée à des actes négatifs de façon répétitive (abus verbaux, remarques offensantes, tournée en dérision, diffamation, exclusion sociale), venant de ses collègues, de ses chefs ou de ses subordonnés (Enarsein 2000)

 

Mode d’évaluation de l’ESPT : auto-questionnaire : PDS[95] dans une version modifiée (suppression des items concernant la nature de l’état traumatique)

 

4.             Belgique

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les personnes ayant été victimes et n’étant plus exposées à la situation de harcèlement

2001

N = 131

Personnes ayant été victimes de harcèlement  recrutées par le biais d’une enquête téléphonique. Sélection ultérieure suite à des entretiens en face à face + questionnaires

Pour l’évaluation de l’ESPT : envoi d’auto-questionnaires par la poste

61 %

(dans cette étude, la présence d’un ESPT est non significativement liée aux variables temporelles : le temps ne guérirait pas les symptômes occasionnés par le harcèlement...)

 

Tableau 6 : Violences au travail : enquête qualitative en Wallonie et à Bruxelles[96]

 

Définition du harcèlement retenue : on appelle harcèlement moral au travail les conduites abusives et répétées de toute origine, externe ou interne à l’entreprise ou l’institution, qui se manifestent notamment par des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur (ou d’une personne à qui la loi s’applique) lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant ou offensant 

 

Mode d’évaluation de l’ESPT : auto-questionnaire : QE- PTSD[97]

2.4.3. Les enquêtes en France

 

a.             Consultation « Souffrance et Travail », Hôpital Max Fourestier, Nanterre

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

2000- 2001

N = 94

Salariés accueillis à la consultation « Souffrance et Travail » pour lesquels un diagnostic de harcèlement a pu être établi à la suite d’entretiens cliniques prolongés et d’une collaboration entre M. Pezé[98] et le médecin du travail.

Expertises

65 %

 

Tableau 7 : étude quantitative d’une cohorte de 96 patients harcelés (C. de Gasparo, M. Pezé)

 

Repérage du harcèlement : par l’étude des mécanismes utilisés pour harceler (techniques relationnelles, d’isolement, de persécution, d’attaque du geste de travail et punitives) utilisés de façon répétitive[99].

Les expertises visent à reconstituer le parcours professionnel du salarié, les évènements importants de sa vie, la chronologie de la dégradation de la situation de travail, à repérer les techniques de harcèlement et à identifier une névrose traumatique.

 

Mode d’évaluation de l’ESPT: entretiens cliniques + recensement des informations concernant les répercutions du processus de harcèlement sur la santé à l’aide d’une trame.[100]

 

 

 

 

 

 

b.             Consultation « Souffrance et Travail », de l’hôpital R. Poincaré de Garches

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

1999 à 2001

N = 84

Salariés adressés à la consultation pour harcèlement moral par le médecin du travail, et pour lesquels le diagnostic de harcèlement a pu être confirmé à la suite d’entretiens cliniques

Entretiens cliniques

65 %

 

Tableau 8 : étude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral[101]

 

Repérage du harcèlement : par l’étude des mécanismes utilisés pour harceler (techniques relationnelles, d’isolement, de persécution, d’attaque du geste de travail) utilisés de façon répétitive[102].

 

Mode d’évaluation du PTSD : entretiens cliniques et référence à la sémiologie décrite dans le DSM IV.

 

 

c.             Consultation « Souffrance et Travail », FNATH[103]

 

Année

Echantillon

Sélection

Méthode

% PTSD parmi les victimes

2001-2002

N = 168

Salariés adressés à la consultation pour harcèlement, majoritairement par le médecin du travail. Confirmation du diagnostic de harcèlement suite à des entretiens cliniques

Entretiens cliniques + grille d’analyse+ travail en pluridisciplinarité (psychologue, médecin du travail, sociologue, juriste)

6 %

 

Tableau 9 : rapport d’activité de la consultation « Souffrance et Travail » de la FNATH

 

Définition du harcèlement retenue : définitions de la Commission Nationale consultative des Droits de l’Homme.

 

Mode d’évaluation du PTSD : repérage des symptômes correspondant aux critères diagnostiques B et C du DSM-IV lors des entretiens cliniques.

2.4.4. Conclusion

 

Nous pouvons donc conclure que les résultats de ces enquêtes varient de façon très significative, de 6 à 90 %, en fonction :

-       de la définition retenue

-       de l’importance de la cohorte

-       des moyens d’évaluation de l’ESPT (auto-questionnaires validés, grilles spécifiques, évaluation lors d’entretiens cliniques)

-       du mode interrogatoire (Internet, téléphone, courriers, entretiens)

-       des buts de l’enquête (obtenir simplement des données quantitatives ou effectuer un rapport de consultations spécialisées dans ce domaine)

-       de la durée du harcèlement

 

Afin d’approfondir notre analyse, nous avons recueilli les avis de 12 spécialistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.5. Harcelement moral au travail : recueil de l’avis de spécialistes français

 

 

 

2.5.1. Interviews

 

 

 

Chaque personne interviewée a une compétence reconnue et une expérience clinique en matière de harcèlement moral au travail.

 

Les questions suivantes ont été posées :

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)    Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

2)    En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

3)    Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

4)    Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

5)    Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

6)    Quelles sont les conséquences pour la famille ?

7)    Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

8)    Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)    Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

2)    Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

3)    Quels sont les critères du DSM-IV les plus souvent retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

4)    Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

5)    Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

6)    Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

a. Docteur M.F. HIRIGOYEN

Médecin psychiatre, psychanalyste.

Auteur de deux ouvrages majeurs dans le domaine du harcèlement moral :

Le harcèlement moral, la violence au quotidien, Editions Syros, 1998.

Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, démêler le vrai du faux, Editions Syros,2001.

 

 

Entretien du 12 juin 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

La définition que j’en donne est la suivante :

« Le harcèlement moral au travail se définit comme toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude...) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail ».

C’est une violence à petites touches, qui ne se repère pas, mais qui est très destructrice. Chaque attaque prise séparément n’est pas vraiment grave, c’est l’effet cumulatif des microtraumatismes fréquents et répétés qui constitue l’agression.

 

2)        En se référant votre liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On retire à la victime son autonomie (A1)

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On critique son travail injustement ou exagérément (A4)

On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1)

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

En ce qui concerne la fréquence des agissements, sans pour autant avancer un chiffre, 1 ou 2 items retrouvés chaque semaine ne suffisent pas, loin s’en faut, à qualifier une situation de harcèlement moral.

 

3)            Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

La souffrance la plus intense est retrouvée dans les atteintes à la dignité (car les personnes ne peuvent s’en défendre) et les techniques d’isolement (qui génèrent un sentiment d’humiliation). La violence verbale ou physique est plus ouverte et entraîne généralement une souffrance de moindre intensité

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Les personnes harcelées éprouvent un sentiment d’humiliation, de dévalorisation associée à une culpabilité (elles ont l’impression qu’elles ont peut-être mérité cette situation), dont l’intensité est en rapport avec la personnalité (on retrouve également ce sentiment dans les situations de viol ; il est dû au fait que les personnes n’ont pas pu réagir).

Les personnes concernées se demandent toujours si « elles n’y sont pas pour quelque chose », si elles ne sont pas comme il faudrait être (le fait d’être trop vieux ou d’être une femme par exemple), même si ces raisons sont sans rapport avec la personnalité.

Dans le cas des traumatismes avec événement unique, les attentats par exemple, cette notion de culpabilité est remplacée par quelque chose de l’ordre de la fatalité (« pourquoi ai-je pris ce métro-là ? ») car l’origine du traumatisme vient de l’extérieur.

 

On retrouve également un sentiment d’absurdité (« pourquoi me harcèle-t-on ? Je fais un bon chiffre, je travaille bien, pourtant...; on m’empêche de travailler, et en plus, on n’hésite pas à porter préjudice à l’entreprise ») et d’incohérence.

Les personnes ayant subi un attentat éprouvent également ce sentiment d’absurdité, mais il  est à nouveau lié à un sentiment de fatalité (« je me trouvais là par hasard).

 

Je rajouterais deux autres sentiments éprouvés de façon systématique : l’injustice et l’impuissance à faire face à la situation.

 

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Oui, ce sont des personnes généralement hyper-investies dans leur travail, scrupuleuses, des personnes qui ont déplacé leur identité dans le travail.

Par ailleurs, ces personnes ont souvent de grands principes et sont peut-être un peu rigides au plan de la morale. En tout état de cause, utiliser l’autre ne fait pas partie de leurs valeurs. Ce sont généralement des personnes intègres, droites.

Et elles éprouvent d’autant plus de souffrance face aux attaques perverses dont elles sont l’objet qu’elles sont précisément attachées à leurs valeurs éthiques.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Vivre une situation de harcèlement moral change l’équilibre du couple. Il y a certainement un risque de crise conjugale.

Ces situations sont encore plus difficiles à vivre quand c’est le mari qui est victime   (en général, les femmes se font protéger par leur conjoint).

Cependant, il arrive parfois que le soutien du conjoint s’opère dans un registre fusionnel...

En ce qui concerne les relations avec les enfants, il y a également des difficultés car généralement, la personne harcelée est devenue irritable, moins patiente, intolérante avec ses enfants : elle s’énerve pour un rien tout en se rendant compte qu’elle se comporte de façon injuste avec eux.

Par ailleurs, les enfants ont parfois une vision négative de leur père quand il est victime de harcèlement.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Je pense qu’en cas de harcèlement moral, le soutien social devient encore plus important.

 

 

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Je ne pense pas qu’un individu puisse harceler un groupe de travail car la notion d’isolement n’est pas présente. Cependant, il arrive que certaines personnes utilisent des procédés visant à monter les personnes les unes contre les autres, cassant ainsi les alliances possibles, tout en visant individuellement plusieurs personnes et en s’attaquant précisément à leurs points faibles respectifs.

 

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je m’élève contre le rapport effectué entre harcèlement moral et ESPT pour plusieurs raisons :

-       le diagnostic d’ESPT n’est pas toujours évident, il peut être confondu avec d’autres pathologies.

-       le lien avec la situation de travail n’est pas toujours évident non plus.

-       il existe des situations de travail qui déstabilisent, mais ne relèvent pas pour autant de harcèlement moral. Ce sont par exemple des situations de non-respect, de non-reconnaissance ou d’humiliations qui peuvent réactiver des traumas anciens.

 

Il faut donc être très prudent avant d’effectuer ce rapprochement.

 

Par ailleurs, le critère A (1) du DSM IV[104] n’est pas présent dans les situations de harcèlement.

Cependant, même si la description des événements ne correspond pas à celle du harcèlement au cours duquel de multiples situations sidèrent la personne (humiliations, peur pour son avenir, peur physique), je pense, que ces deux situations peuvent être considérées comme équivalentes.

En ce qui concerne le critère A (2), le sentiment d’impuissance est constant, la peur toujours présente, de même que le sentiment d’horreur (« comment a-t-on pu me faire cela ? »)

La grande difficulté est de distinguer le passage de l’état de stress aigu à celui de stress post-traumatique. Ce passage n’est pas aussi net que dans les traumas classiques : en cas de harcèlement moral, il y a une continuité sans scission nette.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Je ne pourrais le dire.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

La détresse psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’évènement (B4)

La réactivité physiologique à un stimulus évocateur de l’évènement (B5)

La réduction d’intérêt pour les activités antérieures (C5)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

Les difficultés de concentration (D3)

 

Commentaires :

 

- critère B3 (vécus « comme si » l’événement allait se reproduire (...) incluant des épisodes dissociatifs (flash-back)) : ces flash- back peuvent apparaître de façon transitoire ou il peut s’agir de moments pendant lesquels la personne ne sait plus qui elle est, ou se demande si c’est réellement elle qui a fait cela.

- critère B5 (réactivité physiologique à un stimulus évocateur de l’évènement) : il existe une véritable phobie du lieu de travail et une peur intense à l’idée de rencontrer l’agresseur.

- critère C1 (éviter les pensées et les sentiments évocateurs) : il peut parfois s’agir de fascination.

- critère C5 (sentiment de détachement d’autrui) : il s’agit plutôt d’un sentiment d’incompréhension d’autrui.

Il faudrait également rajouter un critère très important qui est le ressassement.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Cela dépend des personnes. La prise de conscience s’effectue désormais plus tôt du fait de la médiatisation du harcèlement moral.

 

5)      Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

La dépression n’est pas systématiquement associée à l’ESPT.

 

6)      Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La sévérité, la gravité et la violence des agissements ainsi que la durée du processus et la proximité avec l’agresseur sont incontestablement des facteurs de risque importants.

Les expériences négatives de l’enfance sont des éléments de fragilisation : les troubles seront plus intenses. Par contre, les personnes ayant une bonne confiance en elles tiennent plus longtemps.

Par ailleurs, lorsque les personnes ont entamé une thérapie ou qu’il existe des solutions envisageables, elles ont moins de risques de développer un ESPT.

Je constate que je vois de plus en plus d’ESPT, ceci étant probablement du à la conjoncture économique qui n’est pas favorable à la résolution des situations.

 

 

 

 

 

 

b. Docteur N. DANTCHEV

Praticien hospitalier, unité de psychiatrie, Hôtel-Dieu, Paris

 

Entretien du 26 juin 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Tout d’abord, il me semble qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de plaintes de harcèlement moral au travail, mais qu’en réalité, peu soient fondées : il s’agit en effet plutôt de situations liées à la maltraitance au travail (maltraitance managériale en particulier).

Pour être certain qu’une personne est victime de harcèlement moral avéré, il serait idéalement nécessaire d’effectuer une enquête dans l’entreprise. On peut aussi repérer ce type de situation par rapport au contexte dans lequel la personne se trouve (personne mise en inaptitude par la médecine du travail, déclaration en maladie à caractère professionnel, action prud’homale).

 

En ce qui concerne la définition du harcèlement moral, je peux vous citer quelques exemples éclairants :

Le premier concerne une personne travaillant comme femme de service dans un établissement d’enseignement depuis 25 ans. Le lycée ayant décidé de faire désormais appel à une entreprise de restauration extérieure, cette dame a été poussée à la démission, vraisemblablement en raison des indemnités élevées qui lui auraient été dues en cas de licenciement.

On lui a donc demandé d’effectuer des tâches humiliantes, par exemple de ramasser tous les jours les excréments de chiens sur le trottoir. Quand elle avait terminé, la directrice lui faisait remarquer « qu’elle était dégueulasse » et « qu’elle puait ».

Cette dame, pourtant très perturbée par sa situation, a « tenu » pendant 3-4 ans, sans prendre d’arrêt de travail. Puis, son médecin lui a prescrit des arrêts maladie qui se sont prolongés durant 3 ans. Elle vient d’être licenciée.

 

Dans le deuxième exemple, un employé de banque sans problème, marié, avec des enfants, s’est vu un jour convoqué par son directeur. Ce dernier lui a alors proposé une relation sexuelle en le menaçant de refuser son crédit immobilier s’il s’y opposait. Le directeur a fini par abuser de lui. Ce monsieur est donc rentré chez lui mortifié et a porté plainte dès le lendemain.

Le directeur fut retrouvé mort par suicide le surlendemain et l’on appris qu’il avait violé plusieurs personnes depuis une semaine.

Au sein de son agence, cet employé a alors été complètement mis à l’écart, ignoré, humilié, accusé implicitement d’avoir provoqué le suicide du directeur.

Malgré une demande de mutation, il était toujours dans son agence un an ½ après les évènements, le directeur ayant émis un avis défavorable. Cette personne était accusée par l’ensemble du collectif d’avoir jeté l’opprobre sur l’agence.

Il est toujours dans un état de grande souffrance bien qu’il ait enfin pu être muté.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

Voici les critères que j’ai fréquemment retrouvés lors des entretiens que j’ai pu avoir avec mes patients victimes de harcèlement moral :

 

On critique son travail injustement ou exagérément (A4)

On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences (A8)

On la pousse à la faute (A16)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On utilise envers elle des gestes de mépris (C2)

On fait courir des rumeurs à son sujet (C4)

On lui attribue des problèmes psychologiques (C5)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

 

J’ai également retrouvé les agissements suivants :

 

On retire à la victime son autonomie (A1)

On lui retire le travail qui normalement lui incombe (A6)

On fait pression sur elle pour qu’elle ne fasse pas valoir ses droits (A9)

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Les atteintes à la dignité et l’isolement génèrent une grande souffrance.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

L’humiliation, l’injustice et l’impuissance sont des sentiments ressentis de façon intense. Certains éprouvent également un sentiment de culpabilité.

Les personnes qui sont harcelées n’arrivent pas à se distancier, à prendre du recul par rapport à la situation qu’elles vivent au travail.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Non, les victimes ne présentent pas de profil particulier. Tout le monde peut être harcelé ; les personnes restent car elles ne veulent pas perdre leur emploi.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Les conséquences familiales sont fréquentes, mais pas forcément les divorces. Au bout de quelques temps, on observe de la part des familles, soit un sentiment de lassitude, soit une attitude de surprotection.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Le soutien social est important, bien sûr, mais je ne puis établir de comparaison avec les personnes victimes d’un trauma unique.

 

 

 

 

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

A mon avis, un individu ne peut harceler un groupe de travail dans son intégralité ; dans ce cas, il s’agit plutôt de maltraitance.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je pense que les personnes victimes de harcèlement moral présentent une dépression chronique d’épuisement d’intensité sévère avec une composante post-traumatique (cauchemars, flash-backs, ruminations, angoisse, évitement). Mais on ne peut pas parler d’ESPT.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Je ne puis me prononcer, ne voyant en consultation que ceux pour qui le harcèlement a eu de graves conséquences...

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

- La réduction d’intérêt pour les activités antérieures (C4)

-   Le sentiment de détachement d’autrui (C5)

-   Le sentiment d’avenir bouché (C7)

-   Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

 

Commentaires :

 

Il me semble que les rêves répétitifs ne sont pas de même nature que ceux que l’on observe dans les vrais ESPT. De même, l’hyper vigilance est moins sévère.

 

4)        Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Les troubles psychiques s’installent de façon progressive.

 

5)        Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Pour moi, il s’agit d’une dépression.

 

6)        Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

Oui, plus le harcèlement durera, plus la probabilité de voir s’installer des troubles psychiques sera importante. De même, la survenue d’un autre événement susceptible de provoquer un traumatisme (effet cumulatif) aura une incidence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

c.  Madame A. MAURANGES

Psychologue clinicienne

Conseillère en ressources humaines à la direction de l’hôpital Tenon.

 

Entretien du 26 juin 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Le harcèlement moral est une situation que l'on peut qualifier de persécutante, provenant souvent d'une stratégie managériale ou construite sur des conditions de travail dysfonctionnelles. 

Il me semble, au vu de la définition donnée par la loi, que l’impact de l’histoire singulière du sujet est plus important que celui des évènements ; il est donc difficile de systématiser, d’identifier des éléments déclencheurs de harcèlement moral.

A mon sens, le harcèlement moral est une notion trop subjective pour être incluse dans une démarche juridique.

Il y a eu exploitation d’un thème porteur, avec le risque de s’exposer à de nombreuses dérives.

Pour savoir si une personne est réellement victime de harcèlement moral, une vérification concrète et objective est nécessaire ; la seule solution serait d’effectuer une enquête au sein de l’entreprise. Je pense qu’il faut analyser le harcèlement moral sous un angle systémique : même s’il y a eu effectivement harcèlement, je ne peux jeter l’anathème sur le harceleur sans avoir étudié les conditions de travail.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On lui retire le travail qui normalement lui incombe (A6)

On ne tient pas compte des avis médicaux formulés par le médecin du travail (A15)

La direction refuse toute demande d’entretien (B9)

On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1)

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3)

On lui attribue des problèmes psychologiques (C5)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Cela dépend vraiment des personnes.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Systématiquement, un sentiment d’injustice, de culpabilité et d’impuissance. Puis, selon le degré d’estime que l’on a de soi, il peut y avoir un sentiment d’humiliation.

Les personnes vivent la situation de l’intérieur, donnent prise aux évènements, et il peut exister également un sentiment d’absurdité, de gâchis.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Je pense qu’un environnement institutionnel à caractère affectif, une certaine lourdeur hiérarchique peuvent favoriser la mise en place de telles situations.

Dans ce contexte, certaines personnes peuvent éprouver un ressenti de harcèlement moral :

-                              les personnalités borderline, que nous rencontrons de plus en plus souvent, et qui sont sensibles à tout ce qui peut déstabiliser la situation relationnelle,

-                              les personnalités narcissiques car leur attente est dans la reconnaissance et leurs repères sont brouillés ; il leur faut se construire sur des bases différentes de celles de leur fonctionnement habituel.

-                              les personnes introverties ayant des stratégies d’adaptation ne faisant pas forcément appel au support social.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Il y a incontestablement des répercutions sur l’environnement direct dues à la dépressivité permanente et aux troubles thymiques.

Les personnes victimes de harcèlement peuvent réagir de deux manières : soit elles se replient sur elles, soit elles en parlent énormément.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Je pense que l’importance du soutien social est la même dans les deux cas.

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Je pense que certains individus, dits pervers, dont le mode de fonctionnement est la perversion, peuvent pratiquer un harcèlement pluri-personnel, une personne étant toutefois l’objet d’un harcèlement plus prononcé que les autres.

 

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Tout d’abord, le critère A1 n’est pas présent, puisque dans le cas du harcèlement moral, nous avons plusieurs évènements qui s’étalent dans la durée. Cela dit, dans le développement de la situation, il se peut qu’un événement parmi d’autres réveille un trauma antérieur.

Je ne sais pas, en matière de harcèlement moral, ce qui va déclencher les symptômes.

Je me pose la question, comme Freud, de l’existence du trauma : celle des représentations, du fonctionnement imaginaire qui peuvent générer une situation traumatique.

Il faut également tenir compte du seuil de tolérance par rapport à des évènements bouleversants.

En conclusion, pour ma part, je ne parlerais pas de situation post-traumatique, en tous cas pas dans le sens du DSM IV. J’aurais plutôt tendance à considérer le harcèlement comme une situation qui aboutit à un épuisement professionnel.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Je ne puis donner de réponse à cette question.

 

3)        Quels sont les critères du DSM IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Eviter les pensées et les sentiments évocateurs (C1)

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

L’irritabilité (D2)

Les difficultés de concentration (D3)

Les réactions de sursaut exagérées (D5)

 

Commentaires :

 

- critère B1 (souvenirs répétitifs avec détresse) : je pense que le terme de « détresse » est inapproprié dans le cas du harcèlement : il s’agit plutôt d’une fragilité, d’une anxiété et d’une vulnérabilité extrêmes, voire même d’une dépression.

Cela étant, la présence de ces troubles n’est pas systématique, cela dépend des personnes.

- critère C1 : (évitement des pensées et sentiments évocateurs) : c’est un comportement d’ajustement relatif au style de coping. Ces personnes se sentent très mal, mais leur énergie est mise au service de la gestion dépressive, ne leur permettant pas, parfois, de mettre en place des stratégies d’évitement.

- critère C3 (incapacité de se souvenir d’un aspect...) : cette incapacité est en lien avec le refoulement. Ce n’est pas surprenant.

- critère C5 (sentiment de détachement d’autrui) : pour moi, il ne s’agit pas d’un sentiment de détachement : la pensée entièrement occupée par la situation traumatisante, ne laisse plus place à l’autre. Il y a une limitation pour les sentiments qui se situent hors de la sphère du problème, mais ce n’est pas du détachement.

- critère C6 (restriction des affects) : bien au contraire, la sphère émotive est au premier plan.

- critère D4 (hypervigilance) : cela dépend à la fois des moments et des personnes.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Il peut s’écouler plusieurs années entre le début des agissements et la prise de conscience de la situation. Mais, une fois que cette dernière a eu lieu, la décompensation intervient en général dans un délai rapide. Cependant, certaines personnes savent se protéger longtemps ou rebondir...les personnes qui adoptent des stratégies actives, qui ont un tempérament plutôt combatif supportent plus longtemps que d’autres ces situations.

 

5)   Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

On retrouve des éléments dépressifs qui font suite à la situation d’impasse, d’incapacité à trouver une solution.

Les personnes harcelées ont des réactions d’isolement et de repli sur elles-mêmes.

 

6)   Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

Les antécédents familiaux, les expériences de l’enfance et les variables de la personnalité jouent certainement un rôle très important dans l’apparition, ou non, d’un état de stress post-traumatique.

 

 

 

 

 

 

 

d.  Docteur L. CROCQ

Psychiatre des armées

Professeur associé de psychologie pathologique à l’université Paris V

Ancien Président de la section militaire de l’Association mondiale de psychiatrie

Fondateur du réseau de cellules d’urgence médico- psychologique

 

 

Entretien du 9 juillet 2003

Le médecin Général Crocq étant un spécialiste des traumas psychiques, et notamment de ceux concernant les guerres, certaines questions touchant spécifiquement les réactions de victimes de harcèlement moral au travail, ne lui ont donc pas été posées.

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

C’est soumettre un sujet de manière répétitive, voire sans répit à des excitations par le biais d’une action à laquelle l’homme participe, pas forcément volontairement.

En cas de harcèlement volontaire, intentionnel, les agressions peuvent prendre la forme de demandes contradictoires, infaisables et surtout incessantes, d’humiliations quotidiennes (par exemple dire chaque jour à une personne « qu’elle est nulle »), visant systématiquement un individu.

 

Etre l’objet de dispositions mal intentionnées, délibérées (comme, par exemple, ne plus donner de travail à un salarié), ne relève pas du harcèlement : le harcèlement est une accumulation d’agissements nuisibles ; l’esprit n’a jamais de répit.

Une personne peut être mise « au placard », sans sollicitations ni agressions incessantes ; si, tout en se rendant compte que l’on veut lui nuire, elle passe ses journées à ressasser ses problèmes, on ne peut pas dire qu’elle soit victime de harcèlement moral ; elle se harcèle elle-même, ou encore, il s’agit d’un harcèlement en négatif, car on la met sans arrêt dans une situation propre à la désespérer.

Surmenage, épuisement et harcèlement moral sont des situations semblables, la différence étant l’intention, délibérée ou non, de nuire présente dans le harcèlement.

 

A mon sens, il conviendrait de définir plusieurs formes de harcèlement au travail:

- un harcèlement physique : dans ce cas, la personne est sans arrêt sollicitée par des travaux physiques d’une intensité très forte. Ce peut être également le cas dans des environnements de travail très bruyants, où les employés sont sans cesse dérangés par une lumière agressive, des vibrations, etc...et un chef mal intentionné peut faire exprès d’affecter un subordonné soumis à de telles nuisances (le harcèlement physique se double de l’intention de nuire)

- un harcèlement psychique : ici, la personne est continuellement occupée à des tâches intellectuelles, sans qu’il y ait nécessairement une intention de nuire. Mais ce peut être aussi le cas d’un patron qui trouve un malin plaisir à surcharger sa secrétaire de travail pour lui reprocher son efficience insuffisante.

- un harcèlement moral :

. soit la personne qui vous harcèle fait continuellement appel à votre morale, votre sens de la justice. Ce pourrait être le cas d’une collègue qui se plaindrait continuellement auprès de vous, vous interromprait sans arrêt dans votre travail pour vous relater des humiliations qu’elle aurait subies.

. soit la personne qui vous harcèle le fait dans l’intention de vous nuire, de vous détruire. Dans ce cas, les demandes d’exécution de tâches sont incessantes, contradictoires ou infaisables.

 

Par ailleurs, il faut également distinguer le harcèlement vertical (qui vient du dirigeant), horizontal (qui vient d’un collègue) et des subordonnés (ce peut être le cas d’employés qui vous demandent sans arrêt des ordres ou des précisions).

 

En conclusion, le harcèlement moral a deux composantes :

- l’intention (délibérée ou non) qu’a une personne de nuire à une autre,

- de multiples agissements, exercés sans répit

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On occasionne des dégâts à son poste de travail (A13)

On lui donne délibérément des consignes impossibles à effectuer (A14)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On se moque de ses handicaps ou de son physique ; on l’imite ou on la caricature (C6)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

On menace la victime de violences physiques (D1)

On envahit sa vie privée par des coups de téléphone ou des lettres (D4)

 

Et il faut bien sûr que ces agissements soient répétés.

 

3)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Plusieurs personnes peuvent effectivement être harcelées par une autre : certains « dictateurs » peuvent harceler tous les salariés, par exemple en leur donnant plus de travail qu’ils ne peuvent en faire, en vérifiant sans arrêt, en les interrompant incessamment (avez-vous terminé ceci, ou cela, etc.), de façon intentionnelle ou non.

Que ces personnes agissent ainsi en cherchant à faire du mal, gentiment, ou bien par mépris, ou encore parce qu’ils sont tatillons et pointilleux, cela relève du harcèlement moral.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Non, car un trauma potentiel est une confrontation directe, par surprise, inopinée, avec la mort ou avec une menace de mort physique ou psychique, qui entraîne une effraction des défenses de soi.

Par le terme « menace de mort psychique », on entend ce que la personne ne peut accepter psychiquement (par exemple, pour un pompier, la vision d’un enfant éventré).

On peut dire toutefois que le harcèlement moral peut correspondre à l’ancienne névrose traumatique, c’est à dire que ses conséquences sont un état psycho- traumatique postérieur à un stress vécu comme un trauma.

 

Lorsqu’une personne est soumise à une agression ou à une menace, elle y répond immédiatement par une réaction de stress.

On peut vivre cet événement sur le mode d’un stress adaptatif (l’organisme se met alors en état d’alerte, d’organisation et ultérieurement de défense). C’est une réaction immédiate (biologique, physiologique et psychologique) d’alarme, de défense et de mobilisation, face à une agression ou une menace. Cette réaction est éphémère et non pathologique.

Si le stress est trop intense, répété ou prolongé, on se rabat sur un des quatre modes de stress dépassé (réaction de sidération, d’agitation désordonnée, de fuite panique ou d’action automatique).

Ces réactions de stress dépassé débouchent parfois sur un syndrome psychotraumatique, transitoire ou durable.

Il semble que la surprise, la frayeur, l’impossibilité d’exercer une maîtrise sur la situation, le désarroi et le vécu de détresse soient des indices évocateurs d’un vécu traumatique du stress. L’expérience semble montrer qu’un sujet qui est capable de comprendre la situation ne la subit pas complètement, tandis qu’un sujet qui ne peut la comprendre la subit passivement et est submergé par elle.[105]

L’installation de ce syndrome psycho- traumatique se fait avec l’apparition de symptômes qui ne relèvent plus du stress mais du trauma.

Je me demande si l’on peut réellement assimiler le harcèlement moral au trauma ou si ce n’est pas plutôt « quelque chose de l’ordre du trauma ». En effet, les critères du DSM-IV qui exigent que le sujet ait vu sa vie menacée sont insuffisants : dans le harcèlement moral, c’est l’intégrité psychique et non la vie qui est menacée (...). Peut-être la torture répétée dans le temps est-elle la situation qui se rapproche le plus du harcèlement. Mais la violence n’est pas la même. Il ne faudrait pas étendre abusivement le concept de trauma comme certains analystes l’ont fait il y a 50 ans en parlant de traumas en chaîne, de traumas répétitifs et de traumas silencieux.[106]

 

A mon avis, il y a abus dans l’utilisation du terme ESPT pour indiquer les conséquences du harcèlement moral : la sémiologie ne fait que chevaucher partiellement celle décrite dans le DSM-IV. Il conviendrait plutôt de se référer à la classification de la CIM-10[107]

2)        Quels sont les critères du DSM IV les plus souvent retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Il faudrait rajouter au DSM IV d’autres critères caractéristiques des situations de harcèlement moral qui traduisent une forme d’usure de la vie :

- la fatigue, l’épuisement physique, mental, sexuel. Cette triple asthénie est toujours

   présente.

- l’anxiété : attente anxieuse (de la prochaine agression) et crises d’angoisse

- la dépression

- les plaintes somatiques (mal au cœur, au ventre, au dos, à la tête...)

- les troubles psychosomatiques (hypertension artérielle, asthme, ulcère de l’estomac, urticaire, eczéma, perte de cheveux...)

- les troubles des conduites (alcool, tabac, dépendance aux tranquillisants ou au drogues, conduites de fuite telles les fugues, les conduites suicidaires...

- l’éréthisme émotionnel (les gens supportent mal le bruit, la lumière du jour...)

 

3)        Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Le harcèlement moral donne lieu à des états qui se rapprochent de la dépression, de l’anxiété et de l’ESPT sans, pour ce dernier diagnostic, en être toutefois car il manque la confrontation avec la mort associée à une effraction des défenses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

e.  Madame A. WADDINGTON

Psychologue clinicienne

Hôpital Charcot, Plaisir

Service Mobile d’Urgence Médico- Psychologique

 

 

Madame Waddington est l’auteur d’un article récemment paru dans la revue l’Encéphale, traitant des différents aspects de l’état de stress post-traumatique, et notamment de celui lié aux situations de harcèlement sur le lieu de travail.

 

Entretien du 9 juillet 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Nous pouvons nous référer à la définition donnée par la loi. Les personnes victimes de harcèlement vivent, de façon répétée et systématique, des évènements stressants, difficiles, qui ont des effets traumatiques.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On critique son travail injustement ou exagérément (A4)

On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences (A8)

On lui attribue contre son gré des travaux dangereux (A11)

On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On utilise des propos méprisants pour la qualifier (C1)

On fait courir des rumeurs à son sujet (C4)

On hurle contre elle (D3)

 

Une des limites de la définition proposée par la loi, qui évoque des agissements répétés, est que l’on a énormément de mal à apporter la preuve de ces agissements. Or, comme les personnes harcelées sont souvent éprises de justice, cette impossibilité de se défendre, ce sentiment d’impuissance, les amènent à décompenser.

A mon sens, la seule façon d’établir un diagnostic de harcèlement moral avéré est d’effectuer une enquête au sein de l’entreprise ou de l’institution. En tout état de cause, le diagnostic ne peut se faire au niveau médical puisqu’il n’apporte pas de preuves.

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Cela dépend des cas.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Un sentiment d’humiliation, d’absurdité, d’injustice, d’impuissance, de culpabilité, d’irréalité, sans oublier un sentiment de grande solitude, car ils ont l’impression de ne pas être accompagnés dans leur souffrance : l’entourage va certes aider à trouver des solutions, mais ne comprend pas que la souffrance dure si longtemps. De ce fait, dans la plupart des cas, l’entourage finit par se lasser.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Oui. Toutes les personnes que j’ai vues ont des valeurs et des priorités de justice. Elles aiment les choses bien faites et sont souvent très investies dans leur travail.

Ce sont en général des personnes franches, justes, honnêtes.

D’une façon générale, elles ont l’impression de pouvoir contrôler leur existence, que s’elles font les choses bien, elles n’ont rien à craindre.

Ce sont des personnes qui, fondamentalement, ne savent pas se protéger. Il s’agit bien souvent de valeurs acquises au cours leur propre histoire familiale : le fait de se battre pour la liberté et la justice, de ne pouvoir compter que sur elles, et d’être « propres ».

J’ai en tête l’exemple d’une personne d’origine cambodgienne qui pensait que si elle était juste et loyale envers son patron, celui-ci le serait en retour avec elle et saurait la protéger.

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

La famille est toujours « éclaboussée ». Des changements s’opèrent au niveau de la dynamique familiale : il y a souvent une inversion des rôles quand c’est l’homme qui est victime de harcèlement. Si l’on rajoute les problèmes d’irritabilité, le conjoint se retrouve souvent seul face à ses propres difficultés.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Je pense que le soutien social est aussi important dans un cas comme dans l’autre. Or, je constate que sur le long terme, la situation devient insupportable pour les familles qui ont du mal à comprendre pourquoi les personnes ne peuvent « tourner la page ».

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Il s’agit alors plutôt de maltraitance managériale car il n’y a pas de techniques d’isolement. Et les personnes s’en remettent beaucoup mieux. Ce qui caractérise les entreprises dites « harceleuses », c’est qu’elles ont leur propre loi qui est une loi interne, les lois externes n’ayant aucune valeur. Si l’on n’accepte pas la loi interne, on devient « celui qui a trahi » et l’on risque de se retrouver en proie à une situation de harcèlement.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je préfère utiliser un autre terme : celui de « vécu traumatique » : sous prétexte que l’on ne peut pas parler d’ESPT « pur » (absence du critère A), on risque de laisser de côté l’état traumatique dans lequel se trouvent ces personnes.

Je crois que cette notion d’ESPT définie sur un plan psychopathologique est beaucoup trop rigide.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Les souvenirs répétitifs avec détresse (B1)

Les rêves répétitifs (B2)

La détresse psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement (B4)

La réactivité physiologique à un stimulus évocateur de l’événement (B5)

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

Les difficultés de concentration (D3)

L’hypervigilance (D4)

 

Commentaires :

 

- critère B1 (souvenirs répétitifs avec détresse) : ce sont plus des ruminations que des flash-back.

- critère C6 (restriction des affects) : les personnes s'enferment comme si elles étaient dans une bulle. La relation avec l'abuseur est très prégnante du fait des ruminations.

Leur situation est tellement envahissante qu’il n’y a plus de place pour le reste. Sans soutien ni traitement, il ne reste de place que pour la spirale vers le bas.

Pourtant, si on insiste, on se rend compte qu’ils sont présents, pas en première ligne, mais ils sont là. Et si l'entourage familial est soutenant, on va pouvoir les « tirer vers le haut ».

- critère D1 (difficultés d’endormissement, sommeil interrompu) : soit les personnes présentent les troubles décrits, soit, au contraire, elles dorment trop.

 

 

 

4)        Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Ce délai est d’autant plus important que les valeurs de justice sont présentes chez la personne : elle mettra en général du temps à se rendre compte qu’elle n’est pas l’unique responsable de la situation.

 

5)   Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Des anti-dépresseurs sont souvent prescrits ; ils répondent aux problèmes d’évitement, mais en même temps, le patient a l’impression que l’on s’occupe moins de lui, puisqu’on lui prescrit un médicament. Cette thérapeutique peut aider, mais elle est loin d’être suffisante.

 

6)   Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La sévérité, la violence ou la gravité des agissements ne sont absolument pas prédictifs. C’est la façon dont la personne va les percevoir qui importe. Nous sommes dans un domaine subjectif.

Par contre, la durée du harcèlement peut  favoriser la mise en place d’un ESPT, bien que certaines personnes « tiennent » longtemps, jusqu’à 4-5 ans. A ce moment, elles sont dans un état d’épuisement intense et s’écroulent en présentant effectivement les signes cliniques caractéristiques d’un syndrome post-traumatique.

La proximité du sujet avec l’agresseur peut également un être facteur favorisant.

Par ailleurs, il arrive parfois qu’un événement tout à fait mineur (une mauvaise note rapportée par un enfant par exemple) puisse être le point de départ d’une décompensation, chez des personnes qui subissaient depuis longtemps des agissements caractéristiques de harcèlement moral et avaient « tenu » jusque-là.

 

 

 

 

 

f. Docteur M.C. SOULA

Médecin inspecteur régional du travail, DRTFP d’Ile de France

Le Docteur Soula est également chargée de la consultation « souffrance au travail » au sein du service de pathologie professionnelle de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches

En outre, elle a dirigé les travaux de nombreux internes en médecine du travail[108], notamment sur la base d’une cohorte de 151 patients adressés pour des pathologies liées au harcèlement moral entre 1999 et 2001 par leurs médecins du travail.

 

Entretien du 15 juillet 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)    Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Il faut qu’il y ait une répétitivité, d’ailleurs plutôt une accumulation de faits avec des techniques différentes sur au moins 3 mois corrélés à des symptômes psychiques induits par le harcèlement. L’intentionnalité des actes n’est pas nécessaire.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On retire à la victime son autonomie (A1)

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On lui retire l’accès aux outils de travail (A5)

On lui retire le travail qui normalement lui incombe (A6)

Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus (B2)

On l’installe à l’écart des autres (B5)

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3)

On critique sa vie privée (C7)

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Cela dépend vraiment des situations.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Un sentiment d’humiliation, d’injustice, d’impuissance, de culpabilité (sans que les victimes en soient toujours conscientes) et, dans une moindre mesure, un sentiment d’absurdité.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Oui. Ce sont des personnes qui ont souvent une grande éthique personnelle et professionnelle.

Ceux qui ont une forte personnalité, ne plient pas l’échine, ne se taisent pas. Dans une équipe, ce n’est jamais le faible qui est harcelé.

Ces personnes ont des valeurs personnelles et professionnelles et ne vont pas hésiter à dire, par exemple, qu’il y a des malversations.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Les conséquences familiales sont fréquentes, mais pas forcément les divorces.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

On a beaucoup de mal à mobiliser le soutien social. Au début, on a l’impression que les proches se demandent si la personne n’est pas un peu responsable.

Le travail mobilise des données externes et internes (personnalité). Les attentats, des données uniquement externes. Donc, au travail, on se sent pris en défaut par rapport à ce qu’on a mobilisé depuis notre petite enfance.

 

Il est beaucoup plus difficile de mobiliser les familles sur un problème de harcèlement moral au travail que sur un problème d’attentat. Beaucoup n’osent pas en parler (on va me remettre en question, moi, en tant qu’homme au travail).

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Souvent, il s’agit d’une équipe en souffrance dans laquelle va se développer une situation de harcèlement sur une personne ; il s’agit alors de harcèlement transversal : on désigne un bouc émissaire, on stigmatise la souffrance de l’équipe sur une personne.

Il peut aussi s’agir de maltraitance.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

On retrouve des signes cliniques d’ESPT chez beaucoup de patients victimes de harcèlement moral au travail, mais tous ne présentent pas l’intégralité des signes et pendant la bonne durée.

C’est une nosologie que l’on emploie car elle est facile d’utilisation.

Par rapport à la définition typique, et notamment en ce qui concerne le critère A1, l’origine des troubles n’est pas un événement unique : il y a une succession d’évènements, un crescendo qui peut s’améliorer pendant un temps, puis repartir ; de ce fait, les personnes sont de plus en plus hypervigilantes et arrivent à développer un ESPT.

C’est une pathologie à part, qui devrait avoir une dénomination à part ; on ne l’a pas trouvée pour l’instant, il n’y a pas de consensus.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Un ou deux critères du DSM-IV sont toujours présents. Je pense qu’un vrai tableau d’ESPT n’est retrouvé que dans une proportion d’à peine un cas sur deux.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Les souvenirs répétitifs avec détresse (B1)

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

Les difficultés de concentration (D3)

 

Commentaires :

 

- critère D2 (irritabilité) : la plupart du temps, c’est l’inverse : ce sont des personnes qui sont surinvesties dans la recherche de soutien social et qui sont donc plutôt « gentilles ».

- critère D3 (difficultés de concentration) : j’ai observé beaucoup de troubles de la mémoire.

- critère D4 (hypervigilance) : c’est ce qu’on appelle « le syndrome du tenir »

 

Il y a également une perte des repères « bien/mal », « vrai/faux », « juste/injuste », et ce dans toutes les catégories sociales

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Cela dépend des personnes : cela peut aller de 3 à 6 mois jusqu’à 4-5 ans. Mais pas en dessous de 3 mois.

 

5)        Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

La dépression n’est pas systématiquement associée à l’ESPT ; certains patients sont beaucoup moins dépressifs que d’autres.

J’ai constaté qu’une dépression très faible présente chez certains patients pouvait évoluer vers une dépression secondaire très forte après une mise en inaptitude.

 

 

6)        Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La sévérité, la gravité et la violence des agissements ne vont pas forcément être des facteurs prédictifs. Il peut s’agir de petites choses (ne pas dire bonjour, donner beaucoup moins de travail qu’à ses collègues par exemple)

La durée du harcèlement n’est pas non plus un facteur prédictif de développement d’ESPT ; cela dépend des personnes : certains peuvent tenir pendant 4-5 ans.

En revanche, la proximité de la victime avec l’agresseur et la survenue d’un autre événement susceptible de provoquer un traumatisme vont favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

g.  Madame M. PEZE

Docteur en psychologie et psychanalyste, spécialisée dans les problèmes de souffrance au travail et notamment de harcèlement moral.

Auteur de l’ouvrage Le deuxième corps, Paris, La Dispute, 2000.

 

M. PEZE assure des consultations « Souffrance et travail » au sein du département de consultations et de santé publique du Professeur HERVE (CASH de Nanterre).

Elle est fréquemment amenée à réaliser des expertises dans le cadre du harcèlement moral au travail.

 

Entretien du 15 juillet 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

C’est l’utilisation répétée de mécanismes visant à obtenir la reddition émotionnelle d’un sujet. J’ai établi une liste de ces mécanismes [109]:

-       les techniques relationnelles, qui assoient la relation de pouvoir

-       les techniques d’isolement, qui visent la séparation du sujet de son collectif de travail

-       les techniques persécutives, qui passent par la surveillance des faits et gestes de la  

      victime

-       les techniques d’attaque du geste de travail, qui visent la perte du sens du travail.

Cela dit, la définition donnée par la loi me paraît bonne, même si elle n’était pas nécessaire.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

Tous les items sont pertinents s’ils sont suffisamment nombreux, s’ils font système, donc, je ne puis opérer de sélection parmi eux.

 Par ailleurs, je pense que tout ce qui est de l’ordre des agressions physiques n’a pas lieu de figurer dans cette liste d’agissements : nous ne sommes plus dans le cadre du harcèlement moral, mais dans celui de la maltraitance.

D’autre part, il me semble que certains items devraient être rédigés d’une autre manière, notamment ceux de la rubrique « atteintes aux conditions de travail ». C’est le cas du critère que vous avez intitulé A7 : « on lui donne en permanence des tâches nouvelles » : c’est le type de fonctionnement des nouvelles organisations sans pour autant que l’on puisse parler de technique de harcèlement moral.

Enfin, il serait opportun d’indiquer que nous n’avons qu’un point de vue, celui de la personne qui déclare être en proie à ces agissements.

 

Pour ma part, je pense que l’utilisation des injonctions paradoxales a une grande importance : c’est une technique spécifique visant à détruire l’autre et à mon sens, c’est le « nœud » du harcèlement moral.

Pour conclure, je rajouterai que pour faire un diagnostic de harcèlement moral, il est nécessaire d’avoir des avis pluridisciplinaires ; un questionnaire ne suffit pas.

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Les attaques du geste de travail sont certainement les plus délétères. Ce sont ces attaques qui vont faire décompenser les personnes.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Les sentiments d’humiliation, d’injustice, d’impuissance, de culpabilité et d’absurdité sont tous systématiquement présents.

Il faudrait y rajouter un critère majeur : le sentiment de peur (certaines personnes vomissent tous les matins avant d’aller au travail... ou sont en proie à une crise de panique si dans la rue, un passant porte une veste de la même couleur que celle de leur agresseur...)

 

 

 

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Systématiquement, ce sont des personnes très authentiques dans leur travail, qui ne « lâchent » pas. Elles ont besoin de réaliser correctement leur travail quand bien même le reste du collectif le bâclerait un peu.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Il y a certainement des répercutions familiales, notamment pour les enfants, qui peuvent être conséquentes.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

L’essentiel est que ces personnes reçoivent les soins en rapport avec leur névrose traumatique et soient incluses dans un réseau de prise en charge spécialisée comprenant le médecin généraliste, le médecin du travail, le médecin inspecteur du travail, le juriste ou l’avocat et bien sûr le psychothérapeute connaissant le monde du travail.

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Il s’agit le plus souvent d’une équipe en souffrance dans laquelle va se développer une situation de harcèlement moral visant une personne ; il s’agit alors de harcèlement transversal : l’équipe désigne un bouc émissaire, souvent celui qui dénonce le travail mal fait, pour « tenir » des conditions de travail devenues trop difficiles.

 

 

 

 

 

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je n’utilise pas le terme d’« ESPT », mais celui de « névrose traumatique » , concept étayé par une autre théorisation qui me convient mieux:

Ces personnes présentent une névrose traumatique avec, de surcroît, une dimension de souffrance éthique. Il y a un véritable désarroi identitaire, une perte des repères moraux, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et mal, que l’on ne retrouve pas dans le DSM IV. Ces atteintes sont dues aux injonctions paradoxales qui entraînent une effraction du psychisme et une atteinte du lien du patient au réel. En ce sens, je trouve que le DSM-IV est très réducteur.

Je rajouterai que dans une situation de harcèlement moral, on attaque le geste de travail d’une personne. Or, dans le lien de subordination qui lie un employé à son employeur, il n’y a pas d’échappatoire possible, car la démission fait perdre tous ses droits sociaux. Et face aux injonctions paradoxales, le travail habituel d’élaboration mentale ne peut se mettre en place.

Les salariés dont le geste de travail est quotidiennement attaqué se sentent en danger de mort.

D’ailleurs, si la situation de harcèlement moral est poursuivie trop longtemps, les séquelles psychiques et somatiques peuvent être définitives. Un travail devra se faire sur les atteintes identitaires, l’effondrement dépressif et la décompensation somatique, sans oublier ce qui fait la spécificité d’un tel tableau : énoncer le vrai et le faux, le juste et l’injuste à un patient dont l’organisation éthique a vacillé au contacts de valeurs institutionnelles devenues contradictoires.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Dans ma cohorte clinique, toutes les personnes victimes de harcèlement moral qui n’ont pas été sorties à temps de cet environnement, ont présenté un tableau de névrose traumatique. Dans cette cohorte, le tableau clinique repérable se décompose en deux phases :

-    une phase d’alerte dite « de tenir », difficilement repérable par l’entourage car le salarié ne dit rien.

-       une phase de décompensation en deux temps

.    premier temps : tableau clinique de névrose traumatique

. deuxième temps : décompensation lié à la structure psychique individuelle : effondrement anxio-dépressif, bouffée délirante aiguë, somatisation grave....

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

On retrouve tous les critères du DSM IV, plus cette dimension de souffrance éthique que j’ai déjà évoquée.

 

4)        Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de

harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Il n’y a pas véritablement de prise de conscience : les personnes ne se rendent pas compte de ce qui leur arrive ; elles n’ont pas de recul par rapport à cette situation d’attaques répétées liées au geste de travail. On pourrait presque dire que si les personnes en ont conscience, c’est qu’elles ne sont pas véritablement harcelées, même si depuis la médiatisation du harcèlement moral, la prise de conscience a été un peu facilitée.

 

5)   Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT ?

 

Il ne s’agit pas, dans les cas de harcèlement moral, d’une dépression au sens strict du terme. C’est un effondrement, une dépression d’épuisement, mais qui n’a rien à voir avec le burn-out et sa dimension d’anesthésie émotionnelle qui n’est pas présente chez les personnes en situation de harcèlement moral.

 

6)     Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La sévérité, la gravité et la violence des agissements ne sont pas forcément des facteurs prédictifs. Ce sont plutôt les impasses dans lesquelles les gens se sentent piégés et le fait de ne pas pouvoir répondre.

 

h. Madame M. DRIDA

Présidente de l’association Mots pour Maux au Travail

Psychosociologue du travail.

 

Mots pour Maux, créée en 1997, est la seule association française de professionnels bénévoles, tous confrontés dans leur quotidien à des victimes de souffrance psychologique au travail, et notamment de harcèlement moral.

Les buts principaux de l’association sont de trois ordres :

-       donner la possibilité aux victimes de toute souffrance psychologique au travail de s’exprimer, de s’informer, d’avoir un soutien

-       aider les différents partenaires au sein des entreprises à analyser, comprendre et maîtriser les problèmes de souffrance au travail

-    tenter de faire évoluer la reconnaissance juridique de cette forme de violence au travail

 

Entretien du 21 juillet 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

La définition que je propose est celle issue des observations des membres de l’association Mots pour Maux : « c’est un ensemble de conduites et de pratiques qui se caractérisent par la systématisation, la durée et la répétition d’atteintes à la personne ou à la personnalité, par tous les moyens relatifs au travail, en les détournant de leur finalité, infligeant ainsi, consciemment ou inconsciemment, une souffrance intense, afin de nuire, d’éliminer, voire de détruire ».

Ce qui est visé, ce n’est pas l’accomplissement d’une tâche, c’est la personne.

 

Je pense que le harcèlement est vraiment une pathologie de l’isolement, un état ultime de dégradation du lien social.

 

 

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On retire l’accès aux outils de travail (A5)

On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter (A14) : les personnes qui harcèlent utilisent de façon quasi-systématique les injonctions ou les attitudes paradoxales.

Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus (B2)

On refuse tout contact, même visuel avec elle (B4)

On l’installe à l’écart des autres (B5)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On ne la laisse plus parler aux autres (B8)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Ceux qui ont rapport avec l’isolement ; le fait de se sentir exclu du travail et du contexte social, de ne plus se sentir utile.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Les sentiments d’humiliation, d’injustice, d’impuissance, sont éprouvés de façon systématique. Un sentiment d’absurdité est également souvent éprouvé, mais de façon moins systématique.

Il existe également un sentiment de culpabilité à partir du moment où ils ont pris conscience de la situation ; ils se demandent alors ce qui se passe et s’ils y sont pour quelque chose. C’est une façon d’exprimer une incompréhension : il arrive que des personnes victimes de harcèlement me disent : « j’ai agi ainsi parce que j’ai des valeurs et que j’y tiens...et j’ai eu tort de défendre mes valeurs... »: ils disent cela avec un peu d’ironie ; ce n’est pas réellement un questionnement.

Par contre, alors que dans les premiers temps ils se demandent tous ce qu’ils ont fait de mal, à partir du moment où ils commencent à élaborer une compréhension, ce sentiment disparaît.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Pour moi, il n’y a pas de profil, en tous cas, pas de profil psychologique type.

Ce que je peux dire, c’est qu’en général, ce sont des gens qui tiennent à ce qu’ils sont. Ce sont des personnes assez affirmées, qui ont un sens de l’honneur et une idée assez élevée d’eux-mêmes et de ce qu’ils font. Ils défendent un certain nombre de choses et tiennent bon.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Les personnes victimes de harcèlement moral au travail sont beaucoup moins disponibles pour leur famille et cela peut avoir des conséquences, sans toutefois aller forcément jusqu’au divorce. A cet égard, le rôle du conjoint est absolument déterminant, en tant que premier soutien social. Il a parfois une position ambivalente, à savoir qu’il n’est pas forcément à l’écoute de l’autre : il le soutient tout en se référant à sa propre idée du problème.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Je n’ai pas d’éléments de comparaison, mais ce qui est certain, c’est que le soutien social est extrêmement important ; en effet, dans ces situations absurdes, une parole autre qui ramène le sujet dans la réalité et dans ses certitudes permet de resituer le vrai par rapport au faux, le juste par rapport à l’injuste.

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Oui, mais il faut qu’il y ait une stratégie d’isolement et que chaque personne soit spécifiquement visée, indépendamment des autres. Cette situation peut se rencontrer dans des groupes de travail où l’on « divise pour mieux régner » et où peuvent alors se mettre en place, de façon simultanée, des stratégies d’isolement visant plusieurs personnes.

La mise en place de tels processus est facilitée par le contexte de l’emploi, la peur : les stratégies d’isolement misent sur la peur des autres : certaines personnes, pour se protéger, « sauver leur peau », en arrivent à agresser la personne visée par le harceleur.

Néanmoins, je pense que dans ces situations, une coalition est toujours possible. C’est donc une situation limite. A mon avis, le harcèlement est avant tout une pathologie de la solitude, aboutissant à un isolement total de la personne en cause.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je tiens avant tout à préciser que je ne suis ni psychiatre, ni spécialisée dans le domaine des traumas psychiques.

Néanmoins, il me semble que les gens qui subissent un harcèlement moral présentent un tableau clinique particulier ressemblant à ce qui est décrit comme étant un ESPT.

Mais à mon avis, il y a une autre dimension, liée à la répétition d’évènements qui ne sont pas vraiment des traumatismes, dans le sens d’une effraction brutale.

Dans les situations de harcèlement moral, nous sommes face à des atteintes répétées de la personne et de sa structure.

 

En théorie, nous ne pouvons pas parler d’ESPT puisqu’il manque le critère A1. Néanmoins, je me suis posé la question de l’origine de l’effraction des défenses.

Il me semble que cette origine peut se trouver :

 

a)       dans le fait que, lorsque les personnes subissent des attaques perverses (ce qui n’est pas toujours le cas), ils ne peuvent pas imaginer, anticiper, se préparer à ce qui va se passer.

Une des personnes vue à l’accueil de Mots pour mots me disait récemment : « j’ai beau passer mes nuits à anticiper sur ce qui va pouvoir se dire, se faire à partir de ce que je connais de lui, quand je sais que je vais avoir un entretien le lendemain avec la personne en question, je sais aussi que ce sera quelque chose que je n’ai pas prévu ».

 

b)     il y a également une mise à mal de tout ce qui fait partie des certitudes, des invariants de la vie : le juste/l’injuste, le vrai/le faux, n’existent plus. Je pense que c’est également un aspect traumatisant.

c)     enfin, le sentiment de se sentir en danger ; de craindre pour sa vie psychique.

Ces trois aspects pourraient expliquer l’origine de l’effraction des défenses. Mais pour moi, il n’y a pas de traumatisme au sens propre du terme.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Quasiment toutes les personnes qui sont réellement victimes d’un harcèlement moral avéré. Néanmoins, je tiens à signaler que dans le cadre de notre association, nous ne pouvons pas poser de diagnostic de harcèlement moral avéré (nous ne voyons que la victime présumée).

Je pense que la nature de la souffrance est déterminante dans la suspicion de harcèlement moral : nous sommes sans aucun doute face à des personnes qui sont détruites, excepté dans le cas où ces personnes ont un traitement médicamenteux qui efface un peu les symptômes, les rendant un peu plus distantes.

En dehors de ce cas, ce sont des personnes dont la souffrance nous touche beaucoup, parfois même, nous bouleverse.

 

3)        Quels sont les critères du DSM IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Les souvenirs répétitifs avec détresse (B1)

Les rêves répétitifs (B2)

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement (D1)

L’irritabilité (D2)

L’hypervigilance (D3)

 

 

Commentaires :

 

- critère B4 (détresse psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’évènement) : nous retrouvons très souvent chez ces personnes une grande détresse lorsqu’elles doivent passer devant leur lieu de travail

- critère C1 (éviter pensées et sentiments évocateurs) : la plupart des personnes harcelées ne parviennent pas à ne pas y penser

- critère C5 (sentiment de détachement d’autrui) : il n’existe pas d’expression de ce sentiment. Pour ces personnes, il ne s’agit pas d’un détachement d’autrui mais d’un envahissement de la pensée par leur problème de travail.

- critère C6 (restriction des affects) :  à nouveau, il ne s’agit pas d’une restriction des affects, mais d’un envahissement de la personne par la situation.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Il n’y a pas de règle concernant ce délai.

 

5)     Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

N’étant pas psychiatre, je ne puis me prononcer. Je peux seulement dire qu’il existe une composante dépressive.

 

6)     Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La sévérité, la gravité et la violence des agissements ne sont pas forcément des facteurs prédictifs de développement d’ESPT ; par contre, la durée du harcèlement et la proximité du sujet avec l’agresseur le sont.

 

 

 

 

 

i.  Docteur DAVEZIES

Chercheur en médecine du travail (santé au travail- relations entre organisation du travail et santé) à la faculté de Lyon.

 

Entretien du 11 août 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Le harcèlement moral est un phénomène sociologique construit par les médias. Il traduit en fait un malaise réel et profond auquel la notion de harcèlement moral donne une expression.

Dans un contexte de désorganisation et de désorientation associé à une individualisation des relations de travail, les travailleurs se sont emparés de ce modèle accessible.

L’intensification du travail, les pressions bien souvent exprimées dans un discours ambigu et contradictoire, les modalités de contrôle de plus en plus éloignées des réalités de l’activité m’amènent à penser que dans un grand nombre de situations, c’est l’organisation du travail et non la structure de personnalité d’un responsable ou d’un collègue qui est à l’origine des comportements qualifiés de harcèlement moral.

Par ailleurs, l’expérience montre que l’on retrouve quasiment toujours un conflit de travail à l’origine du harcèlement. Et qu’à l’origine de ces conflits, nous retrouvons systématiquement des différents quant à la façon d’envisager le travail. C’est l’absence d’issue à ces conflits qui entraîne une dégradation des relations pouvant aboutir à une situation de harcèlement moral

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

Je pense que tous les agissements décrits peuvent être courants, et que l’on ne peut pas diagnostiquer une situation de harcèlement moral en repérant des comportements dans une liste.

Certains collègues, dans une perspective de repérage d’éléments objectifs, essayent effectivement de définir le harcèlement de cette manière.

Je ne pense pas que les questions du travail se jouent dans une perspective d’objectivité des faits, mais dans la façon dont ces faits sont vécus.

Il existe toujours en arrière-fond de ces situations, des conflits de valeurs liés à la perte des repères communs concernant la définition du travail, les règles du métier et ce que signifie « bien travailler ». La perte de ces repères communs, l’absence de sentiment de valeurs partagées amènent les salariés à ne plus savoir dans quel sens orienter leur activité et aboutissent à l’installation d’une extrême sensibilité aux remarques des collègues ou de la hiérarchie.

Les comportements pervers à l’égard d’une personne, comme ils sont décrits dans les diverses listes d’agissements, ne se déploient pas indépendamment du contexte de travail , nous ne sommes pas dans une relation de face à face.

Bien entendu, je ne peux nier l’existence de harcèlement moral de type pervers ; mais mon expérience m’a montré que systématiquement, ces cas se retrouvent dans des situations où existent des différences fondamentales de conceptions de travail. Ensuite, des manifestations de mépris, de destruction peuvent se manifester.

Or, actuellement, certaines personnes portent des diagnostics cliniques de perversion sur des personnes qu’elles n’ont pas rencontrées de même qu’elles ne connaissent pas non plus le contexte de travail dans lequel a pu se déployer une telle situation.

Nous constatons qu’en entreprise, les situations les plus fréquentes sont celles de personnes en proie à un désaccord majeur concernant la manière d’envisager le travail. Ce conflit, indépendamment de mauvaises intentions va être investi par chacun et aboutir à des situations de grande souffrance.

Dans une perspective de résolution du problème et de guérison, il me semble extrêmement important de ne pas enfermer la personne dans un statut de victime : étudier ce qui, dans l’organisation du travail et notamment dans la manière de chacun d’envisager son rôle, a pu aboutir à cette situation, permet, même si l’on est face à un pervers, de donner un sens à la situation et de se battre contre une situation partageable avec autrui.

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Il est difficile de mettre sur le même plan tous les agissements. Par exemple, l’isolement en soi n’est pas une agression. Il le devient à partir du moment où l’on aurait besoin de soutien. Ce qui me semble grave, c’est de faire percevoir à une personne qu’elle n’est plus capable de donner la moindre chose digne d’intérêt. Ce type de comportement aboutit à des états de grande souffrance. L’isolement est alors un facteur aggravant.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Avant tout un sentiment d’incompréhension. Ces personnes affrontent la conflictualité, l’illégitimité des pressions auxquels elles sont soumises dans une désorientation très importante due à l’incompréhension de la situation : elles ne savent pas dans quel sens orienter leur action pour répondre aux critiques paradoxales de la direction.

Cette situation d’incohérence fragilise les salariés et les rend extrêmement sensibles aux remarques de la hiérarchie. Par la suite, des agissements minimes peuvent les amener à décompenser.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

J’évoquerai, de façon plus générale, les personnes victimes de souffrance au travail : nous savons depuis longtemps que ce sont des personnes consciencieuses, qui ne trichent pas, qui s’investissement dans leur travail et le considèrent comme important.

Elles ont généralement développé un sens du travail bien fait.

Le désaccord sur la façon d’envisager le travail qui est à l’origine du conflit et de la situation de souffrance, n’est pourtant que rarement pris en compte dans les analyses cliniques sur la souffrance au travail.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Les conséquences de la souffrance au travail se manifestent au niveau familial : les répercutions sont très importantes.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Dans le cas du harcèlement moral, la prise de distance des proches est généralement importante. Le harcèlement est une pathologie de l’individualisation et la prise en charge des patients doit avant tout permettre, non seulement à des tiers de s’interposer quand la santé de la victime est menacée, mais également de penser la situation, de reprendre l’histoire (et particulièrement ses causes communes avec autrui), d’en débattre et d’agir pour lui donner une issue.

C’est la condition de la préservation de la santé et de l’insertion sociale.

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Dans ces situations, il faut que l’individu ait échappé à tout cadrage de sa hiérarchie sur la pression qu’il exerce ou qu’il soit soutenu par cette dernière, voire même que l’injonction lui en ait été donnée. Mais je ne qualifierais pas de harcèlement moral l’attitude d’un chef de service vis à vis de l’ensemble de son équipe.

En revanche, certains responsables recrutés pour remettre de l’ordre dans une équipe jusqu’alors peu encadrée, peuvent subir ce qu’on l’on nomme un harcèlement de la part de l’ensemble de l’équipe (tout en étant accusé de harceler...).

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Je ne vois pas ces personnes dans une perspective nosographique : je travaille sur la dynamique de l’histoire, je les aide à comprendre ce qui s’est joué dans leur contexte de travail. Lorsqu’elles viennent me voir, elles sont souvent déjà suivies par un psychiatre et je suis frappé par ce que décrivent mes collègues en terme de symptômes d’évitement, de comportements phobiques, de détresse psychique liée à ce qui évoque ce qu’ils ont vécu au travail et qui peuvent effectivement s’intégrer dans un tableau d’ESPT.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Si je me réfère aux cas des personnes vues en consultation de pathologie professionnelle pour harcèlement, je ne pense pas que ces personnes soient en état de grande décompensation. Mes collègues psychiatres ne pensent pas que ces personnes présentent un tableau d’ESPT ; il s’agirait plutôt de dépressions spécifiques.

Par contre, lorsqu’elles ont du quitter leur emploi, elles ont souvent du mal à retrouver des postes de même type, n’étant plus capables de supporter des situations leur rappelant ce qu’elles ont vécu.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Ma fonction n’est pas d’effectuer un bilan psychiatrique. Les personnes viennent me voir pour réfléchir sur leur histoire, souvent parce qu’ils ont l’impression d’être dans une impasse après avoir été suivi un psychiatre.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Mon hypothèse est que le diagnostic d’attaque perverse a un caractère traumatisant. Je pense qu’avant le diagnostic, les personnes sont dans un état de désorientation avec des manifestations dépressives et qu’ensuite ils sont dans un état de traumatisme.

 

5)     Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Je ne parlerai pas de dépression, mais de dépressivité (ou de manifestation anxio-dépressive) qui est une des formes de souffrance les plus communément rencontrées dans le monde du travail chez des personnes se trouvant en situation d’impasse.

 

6)     Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

La probabilité de souffrir au travail est liée au fait de porter un intérêt à sa fonction, de s’y investir. Cette particularité prédit aussi bien le plaisir au travail que la souffrance...

Concernant spécifiquement les situations de harcèlement moral, je ne suis pas en mesure de vous répondre.

 

j.  Docteur M. PASCUAL et S. VASSEUR

Docteur M. PASCUAL

Médecin du travail,

Conseiller technique sur les questions de santé au travail auprès de la FNATH[110]

Consultation Souffrance au Travail de la FNATH

 

 S. VASSEUR

Psychologue clinicienne,

Consultation Souffrance au Travail de la FNATH

 

Entretien du 2 septembre  2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Devant la difficulté à retenir une définition du harcèlement, nous nous référons au harcèlement moral tel qu’il est défini par la loi, de même que nous nous basons sur les 3 formes de harcèlement indiquées par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

Il nous semble que s’il existe des situations caractéristiques de harcèlement individuel telles que celles décrites par Marie-France Hirigoyen, la plupart des cas sont très liés à l’évolution du monde du travail et notamment à la dégradation des conditions de travail.

Par ailleurs, l’émergence du harcèlement a pu être favorisée par :

-       une augmentation des exigences des employés en matière de défense des libertés individuelles et de respect de l’individu.

-    une sorte de « modélisation » de l’employé : il semble qu’il n’y ait plus de place pour l’humain, la personnalité, la compassion et qu’il existe une forme d’intolérance vis à vis des "défauts" ou "faiblesses" ou simplement "caractéristiques"de chacun, en fait des différences par rapport à une "norme".

 

Dans l’ensemble, toutes les situations sont extrêmement complexes et les frontières ne sont pas toujours très claires entre harcèlement et autres formes de souffrance psychique au travail. Le fait de travailler de façon pluridisciplinaire (notamment avec les médecins du travail et les syndicalistes) permet de faire la synthèse de plusieurs points de vue.

 

2)     En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On critique son travail injustement ou exagérément (A4)

On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences (A8)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On utilise des propose méprisants pour la qualifier (C1)

On utilise envers elle des gestes de mépris (C2)

On lui attribue des problèmes psychologiques (C5)

On hurle contre elle (D3)

 

Les injonctions paradoxales sont constantes sans être pathognomoniques ; nous considérons par contre que les atteintes à la dignité sont vraiment les stigmates des situations de harcèlement (ce sont les items B et C qui paraissent les plus significatifs)

 

3)     Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Sans aucun doute, les atteintes à la dignité.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Dans le rapport d’activité de la Consultation « Souffrance et Travail » de la FNATH (février 2001 à février 2003), nous avons étudié l’importance relative des manifestations de souffrance psychique liées au harcèlement. Le sentiment de solitude est éprouvé par plus de 50 % de nos patients. Suivent des sentiments d’humiliation et de perte de sens (respectivement 47 et 46 %), de perte d’estime de soi (44 %) et de honte (28 %).

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Tout d’abord, l’éventail social est très large : toutes les catégories socio- professionnelles sont concernées. Ensuite, nous avons remarqué que les personnes se situant dans la tranche d’âge allant de 40 à 50 ans étaient particulièrement touchées.

Ces sujets sont tous forcés à s’interroger sur les raisons de l’agression dont ils sont l’objet : « pourquoi et pourquoi moi ? » Sans réponse et sans soutien, ils s’enferment souvent dans un discours plaintif et ne parviennent pas à donner un sens à leur vécu. Ils n’ont pas toujours d’autres alternatives que de s’accrocher à leur statut de victime sans pourtant se départir d’une certaine expression de culpabilité : « quelle faute ai-je commis ; que suis-je pour mériter ça ? »

Nous voyons des personnes particulièrement honnêtes, qui ont un sens développé de la justice, mais également certaines qui ne se laissent pas faire ou encore d’autres qui semblent plus fragiles, sans défenses (on a relevé par exemple le nombre important, parmi les personnes accueillies, de femmes qui élèvent seules leurs enfants.)

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Les conséquences familiales sont systématiques et il existe notamment une répercussion de l’anxiété chez les enfants des victimes.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Le soutien social est fondamental ; d'ailleurs le harcèlement s'installe aussi parce que la solidarité, le collectif, fait défaut au travail : quand il existe, il peut faire écran au harcèlement.

En ce qui concerne le soutien des collègues, quand la situation est installée, les victimes ne sont pas dans un refus d’aide, mais la dépression latente à laquelle ils sont sujets est un frein à la création ou au maintien des liens.

Si les mécanismes du harcèlement sont très insidieux, il n’est pas évident pour les collègues de considérer qu’il s’agit d’une agression ... de plus, leur soutien procède d’un mécanisme compliqué dans la mesure où ils prennent eux-mêmes des risques en s’engageant.

Quant à la famille et à l’entourage, ils sont souvent impuissants face aux problèmes de harcèlement et font preuve d’une certaine lassitude quand la situation dure et que la victime paraît "enfermée" dedans.

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Dans la mesure où il existe un lien de subordination, le responsable qui est familier de ce genre d’outils va les décliner en fonction de ses objectifs et de la personnalité des salariés concernés.

Mais, dans ce cas, nous préférerions employer les termes de « mauvaises relations au travail » ou de « maltraitance », avec « des éléments pouvant relever de situations de harcèlement ».

 

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)    Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

On retrouve des signes cliniques d’ESPT chez certaines personnes victimes de harcèlement. L’apparition de ces signes dépend de la durée du harcèlement, de son intensité et de la capacité du harcelé à objectiver ce qui se passe.

 

2)    Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Les statistiques effectuées dans le cadre de notre consultation indiquent que 6 % des personnes victimes de harcèlement présentent des symptômes de névrose traumatique.

 

 

 

3)    Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

Les difficultés de concentration (D3)

Nous constatons souvent également une angoisse déclenchée par des détails rappelant la situation, une impossibilité de retourner sur les lieux, une remémoration en boucle des moments traumatisants, des cauchemars récurrents.

Commentaires :

- critère C5 (sentiment de détachement d’autrui) : il ne s’agit pas de distance par rapport à autrui : chez les victimes de harcèlement, il n’y a simplement plus d’espace pour accueillir l’autre en tant qu’autre, ce qui engendre une grande souffrance.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

Le tableau clinique ne succède pas à une prise de conscience : il la précède. Reconnaître avec les personnes le fait qu’elles sont victimes de harcèlement (nommer l'origine de leur souffrance) leur permet d’être considérées comme étant dans une situation connue, qui a un certain sens, une réalité « objectivable », ce qui leur procure un certain soulagement.

 

5)    Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Une dépression est souvent associée à l’ESPT...ou, du moins, les patients sont traités pour dépression. Mais nous restons prudentes quant à une association systématique ESPT / dépression : une situation de harcèlement va révéler toutes les fragilités de la personne concernée ; un diagnostic de dépression est souvent rapidement porté.

 

6)            Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

Nous ne saurions répondre à cette question.

k.  Docteur G. LOPEZ

Médecin psychiatre.

Expert auprès des tribunaux

 

Entretien du 3 septembre2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Le harcèlement psychologique résulte de méthodes de déstabilisation et d’exclusion.

Le plus fréquemment, ces méthodes sont appliquées dans le cadre de techniques de management des « ressources humaines » validées par l’idéologie de la performance (beaucoup d’agresseurs ne sont pas des pervers, mais des personnes qui ont été éduquées dans une idéologie de compétition), mais elles peuvent aussi, plus rarement, être pratiquées par des personnalités perverses.

Le livre de Marie-France Hirigoyen a eu un effet extrêmement positif en termes de reconnaissance des victimes et d’utilité, même si certaines personnes paranoïaques se sont emparées de son contenu et l’ont détourné.

Cependant, je n’emploierais pas le terme « moral », qui suggère un jugement de valeur, mais plutôt celui de « psychologique » qui fait référence à des notions plus scientifiques (médicales, psychologiques).

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

D’une façon générale, ce sont les détournements d’informations, les humiliations, les ordres et les contre-ordres et l’alternance de périodes pendant lesquelles la victime se croit tranquille et celles où elle est soumise à des agressions.

Il s’agit finalement des méthodes habituelles de déstabilisation et d’humiliation...

Concernant les agissements de la liste de Marie-France Hirigoyen, bien que je n’accorde que peu de crédit à ce type de liste, les agissements les plus fréquemment retrouvés seraient :

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On lui donne délibérément des consignes impossibles à effectuer (A14)

On l’installe à l’écart des autres (B5)

On ignore sa présence en s’adressant exclusivement aux autres (B6)

On utilise des propose méprisants pour la qualifier (C1)

On utilise envers elle des gestes de mépris (C2)

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés (C3)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Incontestablement les atteintes à la dignité. De ce type d’agissements découlent les autres...

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

En premier lieu, l’incrédulité. Puis, l’effondrement de l’image de soi et la culpabilisation, surtout si la personne a déjà subi des situations d’emprise au cours de son enfance.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Non.

Soit les personnes sont victimes de harcèlement professionnel, dont le but est de les pousser à démissionner en évitant les indemnités de licenciement, et l’on agit alors indistinctement, quelle que soit la personnalité des employés en cause.

Soit, elles sont victimes de harcèlement institutionnel, qui participe d’une stratégie de gestion du personnel considérant que seuls les plus forts doivent « survivre ». Nous retrouvons d’ailleurs ce type d’idéologie dans la société en général. Les plus faibles sont alors ciblés. C’est, il me semble, le cas le plus fréquent.

Enfin, elles peuvent être choisies par des pervers qui vont éprouver une jubilation à détruire ceux qui sont en général très vivants, appréciés et peuvent leur faire de l’ombre.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

Comme dans tous les cas d’emprise psychique, les conséquences pour l’environnement familial sont très importantes. Il y a effectivement un risque de retentissement au niveau des enfants, mais également à l’intérieur du couple.

Souvent, la personne n’est pas crue par ses proches ; et ce d’autant plus que les victimes ont parfois au bout d’un moment, des réactions paranoïaques (qui cessent à l’arrêt du harcèlement).

Le livre de Marie-France Hirigoyen a beaucoup aidé les familles et les proches à comprendre ces phénomènes.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Pour moi, le soutien social consiste à soustraire la personne à cette situation qui la rend malade, puis à mobiliser le réseau d’aide (institutions médicales, juridiques, sociales, environnement familial, etc...).

Le statut de victime est tout à fait différent selon que la personne est victime d’un traumatisme unique (attentat par exemple) qui peut être objectivé, ou de traumatismes répétés comme dans le harcèlement où il sera plus difficile d’apporter la preuve des évènements. Cette situation est beaucoup plus compliquée et peut s’apparenter au « pot de fer (le système : responsables d’entreprise, collègues, etc...) contre le pot de terre ».

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Bien sûr. L’histoire nous a appris que certaines personnes sont capables de manipuler, déstabiliser, soumettre et exclure un groupe important de personnes...cf. la terreur totalitaire.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)        Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Oui, les victimes de harcèlement présentent dans leur grande majorité un ESPT.

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Un questionnaire IES est proposé à toutes les personnes victimes de harcèlement qui consultent au Centre de Psychothérapie de l’Institut de Victimologie : dans plus de 70 % des cas, les scores sont supérieurs à 42.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Les souvenirs répétitifs avec détresse (B1)

Le fait d’éviter les pensées et les sentiments évocateurs (C1), mais pour autant, s’ils tentent de le faire, ils n’y parviennent jamais.

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés d’endormissement, le sommeil interrompu (D1)

Les difficultés de concentration (D3)

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

L’apparition de l’ESPT est bien antérieure à la prise de conscience de la situation de harcèlement.

 

5)     Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

Mon impression clinique est qu’une dépression est très fréquemment associée.

 

6)     Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

Dans ces situations de détresse très importante où les personnes se sont senties personnellement menacées, souvent, la survenue d’un événement « traumatique » va entraîner un bouleversement intense et l’apparition d’un ESPT dans les jours qui suivent.

l. Docteur J.P. ALARD

Médecin attaché, service de pathologie professionnelle du CHU de Brest – consultations souffrance au travail.

 

Entretien du 3 septembre 2003

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

1)        Comment définiriez-vous le harcèlement moral au travail ?

 

Il faut se référer à la définition légale dont il faut se satisfaire, mais je pense qu’elle est trop large et qu’elle peut s’appliquer à d’autres types de souffrance au travail que le harcèlement moral.

Le harcèlement moral, stricto sensu, est celui décrit par Marie-France Hirigoyen : il s’agit d’un individu qui, par sa personnalité, va détruire une personne.

Ensuite, il existe d’autres types de harcèlement (institutionnel, professionnel) ; dans ces cas, le harcèlement ne sera pas pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d’autrui, le management y verra quelque intérêt.

Selon les types de harcèlement, le traitement ne sera pas le même.

Je précise que les diagnostics de harcèlement doivent être « mis au conditionnel » : tant que l’on n’a pas rencontré l’agresseur, on ne dispose que du discours, de l’interprétation que la victime fait de la situation. Il faut être extrêmement prudent dans ce domaine : des situations peuvent évoquer un harcèlement et pour autant ne pas en être.

 

2)        En se référant à la liste des agissements hostiles caractéristiques du harcèlement moral au travail établie par Marie-France Hirigoyen, pourriez-vous identifier les 8 agissements les plus fréquemment retrouvés ?

 

On retire à la victime son autonomie (A1)

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche (A2)

On conteste systématiquement toutes ses décisions (A3)

On critique son travail injustement ou exagérément (A4)

On fait pression sur elle pour qu’elle ne fasse pas valoir ses droits (A9)

On la pousse à la faute (A16)

On interrompt sans cesse la victime (B1)

On lui attribue des tâches humiliantes (C10)

 

3)        Quels types d’agissements génèrent la plus grande souffrance ?

 

Les atteintes à la dignité, qui sont aussi les agissements les plus fréquemment évoqués, entraînent les plus grandes souffrances.

 

4)        Quels sont les sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement ?

 

Un sentiment de honte est éprouvé de façon systématique, de même que la stupéfaction  car ces situations se mettent en place de façon inattendue (je peux vous citer l’exemple d’un salarié en poste depuis 30 ans dans une entreprise qui, après le rachat de cette dernière par un grand groupe, est continuellement humilié, considéré comme totalement incompétent...)

Ce qui touche le plus les personnes, c’est la perte de reconnaissance au travail.

 

5)        Avez-vous retrouvé des caractéristiques chez les victimes de harcèlement moral au travail ?

 

Non. Tout le monde peut être victime de harcèlement. D’ailleurs, dans les cas où nous avons pu suivre le parcours professionnel des agresseurs, nous avons remarqué qu’ils avaient harcelé d’autres salariés de façon récurrente.

 

6)        Quelles sont les conséquences pour la famille ?

 

En général, quand les couples sont soudés, il existe une très grande solidarité entre conjoints. Dans le cas inverse, ou si la personne ne vit pas en couple, elle est souvent seule et la culpabilisation sera majorée.

 

7)        Quelle est l’importance du soutien social dans le cas particulier des personnes présentant un tableau d’ESPT suite à un harcèlement moral au travail (en comparaison avec un ESPT lié à un traumatisme unique)?

 

Le soutien social a d’autant plus d’importance quand il n’est pas présent : l’absence de réaction ou l’indifférence affichée des syndicats ou des élus du CHSCT, par exemple, entraîne une grande souffrance (ces instances auraient du défendre la victime et ne l’ont pas fait...)

 

8)        Pensez-vous qu’un individu puisse harceler un groupe de personnes ? (une équipe de travail par exemple)

 

Oui, dans le sens où les éléments précisés dans le texte de loi sont présents : il y a une volonté de nuire, une répétition, etc...Mais personnellement, je parlerai plutôt de souffrance d’origine manageriale ou organisationnelle.

 

Concernant l’Etat de Stress Post-Traumatique :

 

1)    Les victimes de harcèlement moral présentent-elles un tableau d’ESPT ?

 

Oui, nous retrouvons les signes cliniques d’ESPT dans la plupart des cas de harcèlement.

Le sujet n’a pas été directement confronté avec la mort qui est néanmoins très présente au travers des idées suicidaires.

 

2)        Quelle est, selon vous, la proportion des personnes harcelées au travail qui va développer un ESPT ?

 

Toutes les personnes victimes de harcèlement moral avéré vont développer un ESPT.

Le sentiment d’impuissance éprouvé par la victime lorsqu’elle n’est plus en mesure de se défendre va permettre la mise en place de ce tableau clinique. Pour moi, les personnes réactives ne sont pas facilement harcelées.

 

3)        Quels sont les critères du DSM-IV systématiquement retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement moral au travail ?

 

La détresse psychique lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement (B4)

Le fait d’éviter les activités, les lieux et les gens évocateurs (C2)

Le sentiment d’avenir bouché (C7)

Les difficultés de concentration (D3)

Commentaires :

 

- critère C1 (éviter les pensées et les sentiments évocateurs) : malgré toutes leurs tentatives, les victimes ne peuvent pas éviter ces pensées qui envahissent leur vie

-   critère C4 (réduction d’intérêt pour les activités antérieures) : il ne s’agit pas d’une réduction d’intérêt (les victimes évoquent souvent leurs activités antérieures en précisant combien elles étaient agréables...), mais d’une incapacité à faire quoi que ce soit. 

-    critère C6 : (restriction des affects) : bien au contraire : nous sommes face à une explosion d’émotions, souvent négatives.

-   critère D1 (difficultés d’endormissement, sommeil interrompu) : je ne puis porter de jugement, toutes les personnes vues en consultation étant sous anti-dépresseurs, anxiolytiques et hypnotiques.

 

4)     Quel est habituellement le délai entre la prise de conscience de la situation de harcèlement moral et l’apparition d’un ESPT ?

 

L’apparition de l’ESPT se fait généralement de façon insidieuse et dépend du « mode opératoire » : en cas d’agression brutale, la survenue d’un ESPT se fera de également de façon brutale. Des agissements plus insidieux entraîneront une mise en place des symptômes plus progressive.

 

5)     Une dépression est-elle souvent associée à l’ESPT?

 

La dépression est systématiquement associée à l’ESPT , avec une intensité plus ou moins grande. Quand les victimes ne sont plus en mesure de se défendre et abandonnent le conflit, des symptômes dépressifs s’installent.

 

6)     Dans les situations de harcèlement moral au travail, avez-vous identifié des facteurs prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT ?

 

Non, dans la mesure où un ESPT va se mettre en place chez toutes les personnes victimes de harcèlement avéré. Pour autant, certains facteurs de risque antérieurs peuvent en aggraver les symptômes.

 

2.4.1. Synthèse

 

 

 

Dans cette partie, nous tenterons de trouver s’il existe une régularité entre les réponses des différents spécialistes interrogés (4 psychiatres, 4 psychologues, 3 médecins du travail et un médecin généraliste).

 

Concernant la situation de harcèlement moral au travail :

 

-        définition du harcèlement moral au travail :

 

Tout en exprimant leur conception du harcèlement moral de façon différente, l’ensemble des professionnels s’accorde sur les critères de la définition telle qu’elle est proposée par la loi. Pour autant, nombre d’entre eux émettent des réserves quant aux risques de dérives possibles, cette définition leur semblant trop large et pouvant s’appliquer également à d’autres formes de souffrance au travail.

Par ailleurs certaines personnes envisagent essentiellement le harcèlement comme étant lié aux nouvelles techniques de management déstabilisantes, alors que d’autres le considèrent plutôt sous l’angle d’une relation duelle (harcèlement individuel, au cours duquel un individu cherche à détruire un autre individu, ou encore acte de management conscient destiné à améliorer les performances).

Ces deux types d’approches peuvent expliquer les divergences constatées entre les définitions apportées par les différents professionnels interrogés.

 

-           agissements les plus fréquemment retrouvés :

 

Dix personnes sur 12 ont accepté de citer les 8 agissements qu’elles retrouvaient le plus fréquemment dans les situations de harcèlement, en se référant à la liste des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen.

Le tableau détaillé des agissements cités est présenté en annexes p 21 et 22.

 

Trois remarques s’imposent :

-       les deux professionnels qui n’ont pas souhaité sélectionner les agissements les plus caractéristiques, estiment que ces derniers ne se déploient pas indépendamment d’un contexte de travail qu’il convient avant tout d’analyser.

-       sept professionnels ont souligné la grande fréquence des injonctions paradoxales, des ordres associés aux contre-ordres, ce type d’agissement n’étant pas explicitement présenté dans la liste de Marie-France Hirigoyen (le critère A14 étant celui qui se rapprocherait le plus de cet agissement indique que l’on donne délibérément des consignes impossibles à effectuer).

-       la répartition des agissements les plus fréquemment retrouvés est inégale selon les catégories : nous ne retrouvons notamment que 4 agissements dans la catégorie « violence verbale, physique ou sexuelle » (ce score confirme le caractère insidieux du harcèlement).

 

 

Nombre de réponses

en %

Atteintes aux conditions de travail

34

42.5 %

Isolement et refus de communication

17

21.25 %

Atteinte à la dignité

25

31.25 %

Violence verbale, physique ou sexuelle

4

5 %

Tableau 10 : agissements les plus souvent retrouvées selon les catégories

 

 

Pour autant, il convient de relativiser ces données, la liste des agissements présentés dans chacune des catégories n’étant malheureusement pas exhaustive...

De plus, ce sont les atteintes aux conditions de travail, pour lesquelles un nombre important d’agissements a été retrouvé, qui entraînent à terme les situations d’isolement et d’atteintes à la dignité décrites dans les autres catégories.

Il convient maintenant de recenser les agissements les plus souvent retrouvés dans les situations de harcèlement:

 

 

Agissement

Nbre de professionnels ayant sélectionné cet agissement

A 2

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche

7 sur 10

B 6

On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres

7 sur 10

C 10

On lui attribue des tâches humiliantes

6 sur 10

A 4

On critique son travail injustement ou exagérément

5 sur 10

A 14

On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter

5 sur 10

C 1

On utilise des propos méprisants pour la qualifier

5 sur 10

Tableau 11 : agissements caractéristiques de harcèlement les plus fréquemment retrouvés

 

Il nous a ensuite semblé qu’il serait intéressant d’établir une corrélation entre ces agissements et ceux décrits comme pouvant être considérés comme des critères objectifs de harcèlement moral au regard de la loi[111]

 

 

Agissement

Au cas où cet agissement serait répété, la preuve d’un harcèlement moral serait-elle retenue en cas de procès ?

A 2

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche

Pas du tout d’accord 

B 6

On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres

Ne sait pas (trop dépendant du contexte)

C 10

On lui attribue des tâches humiliantes

Plutôt d’accord 

A 4

On critique son travail injustement ou exagérément

Pas du tout d’accord 

A 14

On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter

Ne sait pas (trop dépendant du contexte)

C 1

On utilise des propos méprisants pour la qualifier

Plutôt d’accord 

 

Tableau 12 :  agissements caractéristiques de harcèlement les plus fréquemment retrouvés pouvant être éventuellement considérés comme des critères objectifs de harcèlement moral au regard de la loi

 

Ainsi, parmi les agissements les plus souvent retrouvés, seuls les critères C1 et C10 pourraient être objectivés au regard de la loi.

 

-        type d’agissements générant la plus grande souffrance :

 

La plupart des professionnels pensent que les attaques à la dignité et l’isolement sont la source de la plus grande souffrance.

 

-       sentiments éprouvés par les victimes de harcèlement :

 

La quasi-totalité des personnes interrogées s’accordent sur la présence systématique d’un sentiment d’humiliation, de culpabilité, d’injustice et d’impuissance face à la situation.

Sont également cités à plusieurs reprises des sentiments d’irréalité, d’incompréhension, de peur, de solitude et de dévalorisation.

 

-       caractéristiques retrouvées chez les victimes de harcèlement :

 

La majorité des professionnels soulignent que les personnes victimes de harcèlement sont très souvent particulièrement investies dans leur travail, scrupuleuses, honnêtes, et qu’elles possèdent de grandes valeurs morales et des priorités de justice.

Mis à part une personne décrivant des personnalités plutôt border line, narcissiques ou introverties, les autres professionnels ne retrouvent aucune caractéristique psychologique spécifique chez les victimes.

 

-       conséquences pour l’environnement familial:

 

Tous les professionnels évoquent un retentissement important au niveau du couple et des enfants.

 

-       importance du soutien social :

 

Globalement, l’importance du soutien social semble être la même que la personne en cause soit victime de traumas répétés, comme dans le harcèlement ou d’un trauma unique.

Par contre, de nombreux professionnels soulignent les difficultés à mobiliser l’entourage, tant professionnel (en raison du caractère insidieux des agissement et du risque pris en soutenant la victime) que familial (que ce soit parce que la victime n’ose pas parler de ses problèmes, ou parce que l’entourage se sent impuissant face à la situation et finit par se lasser).

 

-       harcèlement d’un groupe de personnes par un seul individu:

 

Sur ce sujet, les avis sont partagés : 5 professionnels préfèrent parler de maltraitance manageriale, 5 estiment qu’un individu peut harceler un groupe dans son ensemble et 2 pensent que la situation est plutôt inverse : la souffrance d’une équipe de travail peut être stigmatisée sur une personne.

Si l’on se réfère à la définition donnée dans la loi, un individu peut effectivement harceler un groupe dans son ensemble. Cependant, mis à part le cas où l’agresseur brise les alliances, la notion d’isolement si caractéristique des situations de harcèlement n’est pas présente et dans la plupart des cas, la souffrance ressentie par les victimes sera moindre.

Concernant l’Etat de Stress Post-traumatique:

 

-       les victimes de harcèlement moral présentent-elles un ESPT ?:

 

Dans leur grande majorité, les personnes interrogées estiment que même si le critère A1 n’est pas présent, les personnes harcelées présentent effectivement les symptômes caractéristiques d’un ESPT ( 7 personnes) ou de névrose traumatique[112] (3 personnes).

Les deux personnes restantes préfèrent parler de dépression chronique d’épuisement avec une composante post-traumatique ou de situation aboutissant à un épuisement professionnel.

Enfin, il est signalé à plusieurs reprises que l’ESPT ne se manifeste que lorsque la situation de harcèlement est déjà très évoluée.

 

-            proportion de personnes harcelées au travail qui vont développer un ESPT ou tout du moins présenter des signes cliniques d’ESPT ?:

 

Sur cette question, les professionnels ont des avis partagés : 5 ne peuvent apporter de réponse, 3 pensent qu’une personne harcelée présente de façon systématique un tableau d’ESPT (ou de névrose traumatique) ; enfin, 1 professionnel (se basant sur la passation du questionnaire IES) retrouve 70 % d’ESPT, alors que le dernier (se basant sur la clinique) n’en retrouve que 6 %.

Cette hétérogénéité des réponses peut être liée au stade du processus de harcèlement dans lequel les personnes se trouvent quand elles sont vues en consultation par les différents professionnels..

 

-            critères du DSM-IV les plus souvent retrouvés chez les personnes harcelées au travail

 

Dix personnes sur 12 ont indiqué quelle était la fréquence à laquelle les différents critères diagnostiques du DSM-IV étaient retrouvés chez les personnes victimes de harcèlement.

 

Critères du DSM-IV                                          

                                                                      0 : jamais

Selon quelle fréquence retrouvez-vous les critères suivants chez les    1 : rarement

personnes victimes de harcèlement moral avéré ?                                  2 : quelquefois

3 : souvent         

4 : presque toujours

5 : toujours

 

 

a

b

c

e

f

g

h

j

k

l

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A - L'événement traumatique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A1 - menace de mort ou de blessure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A2 - vécu de peur, impuissance, horreur

 oui

  oui

  oui

 oui

 oui

 oui

 oui

 oui

 oui

 oui

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

B - Symptômes de reviviscence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(moy ; σ)

B1 - souvenir répétitif avec détresse

4

3

2

5

5

5

5

3

5

4

(4,1 ; 1,04)

B2 - rêves répétitifs

3

2

3

5

4

5

5

4

4

3

(3,8 ; 0,98)

B3 - vécus comme si...

2

0

4

NSP

2

5

2

4

4

4

(3 ; 1,49)

B4 - détresse psychique lors de l'exposition à
 des indices rappelant l'événement

5

3

4

5

2

5

3

4

4

5

 

(4 ; 1)

B5 - réactivité physiologique à un stimulus
 évocateur de l'événement

5

2

4

5

2

5

3

4

4

2

 

(3,6 ; 1,20)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C- Evitement et émoussement de la
réactivité générale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C1 - éviter pensées et sentiments évocateurs

4

0

5

0

0

5

0

3

5

0

(2,2 ; 2,27)

C2 - éviter activités, lieux et gens évocateurs

4

4

5

5

5

5

5

4

5

5

(4,7 ; 0,46)

C3 - incapacité de se souvenir d'un aspect...

4

0

3

0

0

5

2

0

2

3

(1,9 ; 1,76)

C4 - réduction intérêt pour activités
 antérieures

5

5

0

4

4

5

NSP

4

4

0

 

(3,4 ; 1,89)

C5 - sentiment de détachement d'autrui

2

5

0

0

4

5

NSP

0

4

0

(2,2 ; 2,15)

C6 - restriction des affects

2

0

0

2

4

5

0

4

4

0

(2,1 ; 1,92)

C7 - sentiment d'avenir bouché

5

5

3

5

5

5

5

5

5

5

(4,8 ; 0,60)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D- activation neuro- végétative

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D1 - difficulté endormissement,
sommeil interrompu

5

5

5

3

5

5

5

5

5

5

 

(4,8 ; 0,60)

D2 – irritabilité

4

3

5

4

1

5

5

4

4

3

(3,8 ; 1,17)

D3 - difficultés concentration

5

4

5

5

5

5

5

5

5

5

(4,9 ; 0,30)

D4 – hypervigilance

2

2

4

5

4

5

3

4

4

3

(3,6 ; 1,02)

D5 - réaction de sursaut exagéré

2

2

5

0

2

5

3

4

3

0

(2,6 ; 1,69)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

E - La durée des symptômes dure
plus d'un mois

 

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

F- entraîne souffrance significative et
altération fonctionnement social

 

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

 

Tableau 13  : critères du DSM-IV les plus souvent retrouvés chez les personnes harcelées au travail (à partir de la liste des agissements hostiles de Marie-France Hirigoyen)

Légende

a.      Dr M.F. Hirigoyen                                                         g.    Mme M. Pezé

b.     Dr N. Dantchev                                                             h.    Mme M. Drida

c.      Mme A. Mauranges                                                        j.    Dr M. Pascual- Mme S. Vasseur

e.      Mme A. Waddington                                                      k.    Dr G. Lopez                       

f.      Dr M.C. Soula                                                              l.    Dr J.P. Alard

Les critères A2 (vécu de peur intense, sentiment d’impuissance ou d’horreur), E (la perturbation dure plus d’un mois) et F (la perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social ou professionnel) sont toujours retrouvés, et ce pour tous les professionnels.

 

Les symptômes des catégories B,C et D sont retrouvés en proportions sensiblement équivalentes, les critères les plus fréquemment cités comme étant présents chez les personnes victimes de harcèlement sont:

-                D3 : les difficultés de concentration.

-                D1 : les difficultés d’endormissement et le sommeil interrompu.

-                C7 : le sentiment d’avenir bouché.

-           C2 : les efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme.

-                B1 : les souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions.

 

-            délai ente la prise de conscience du harcèlement et l’apparition de l’ESPT :

 

La plupart des professionnels pensent que ce délai peut varier d’une situation et d’une personne à l’autre (généralement, la prise de conscience de la situation n’intervenant que tardivement, l’ESPT s’est déjà manifesté).

 

-            présence d’une dépression associée à l’ESPT :

 

La plupart des personnes interrogées pensent que l’on ne peut pas parler de dépression au sens strict, mais qu’il existe plutôt des éléments dépressifs associés, et ce pour de nombreuses victimes.

 

-            éléments prédictifs pouvant favoriser la mise en place d’un tableau d’ESPT :

 

La durée du processus, la proximité avec l’agresseur, les expériences négatives de l’enfance, la survenue d’un autre événement susceptible de provoquer un traumatisme ainsi qu’un investissement important dans le travail et de fortes valeurs de justice sont les éléments prédictifs de survenue d’un ESPT les plus souvent cités par les personnes interrogées.

 

 

 

2.5. Conclusion

 

 

 

Cette étude nous a d’abord permis de comparer les différences de perception de la notion de harcèlement moral au travail.

Dans un premier temps, il nous est apparu que la réponse à la question du sens, ou de l’intentionnalité est loin de faire l’unanimité... et peut expliquer les divergences constatées entre les définitions apportées par les différents professionnels interrogés.

Cela étant, il existe incontestablement un consensus autour des techniques utilisées pour harceler (atteintes aux conditions de travail, à la dignité, isolement..) ainsi que sur les conséquences graves des agissements qui en découlent, notamment en termes de santé et de bien-être.

La synthèse des avis des spécialistes sur la question des agissements caractéristiques nous permet de suggérer que nous pourrions rechercher spécifiquement les agissements les plus souvent retrouvés dans une perspective de repérage des situations de harcèlement.

Les critères diagnostiques du DSM-IV évoluent et de nombreux auteurs s’accordent pour reconnaître la possibilité que de multiples évènements puissent constituer un traumatisme susceptible d’engendrer les symptômes de l’ESPT décrits dans le DSM-IV.

Dans les situations de harcèlement moral, nous pourrions ainsi avancer que l’événement traumatisant tel que décrit dans le DSM-IV ( critère A1 : menace de mort ou de blessure) est en fait un ensemble de petits agissements, fréquemment rencontrés dans ces situations, et exercés de façon répétée. Suite à notre enquête, il s’agirait des critères suivants (retrouvés pour plus de la moitié des professionnels interrogés) :

 

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche

On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres

On lui attribue des tâches humiliantes

 

Par ailleurs, si l’on excepte la question de la présence du critère A1, pourtant nécessaire au diagnostic si l’on se réfère au DSM IV, nous constatons que les spécialistes interrogés s’accordent tous sur la présence de symptômes caractéristiques d’un ESPT dans les situations de harcèlement.

Il semblerait que les ESPT (ou névroses traumatiques) soient retrouvés de façon systématique quand la situation de harcèlement est dépassée et perçue comme sans issue.

Ainsi, les divergences constatées au niveau des pourcentages d’ESPT retrouvés dans les enquêtes pourraient s’expliquer en partie par le fait qu’une personne peut être victime d’un harcèlement débutant sans pour autant présenter les symptômes d’un ESPT. Par contre, si la situation se poursuit et qu’aucune issue ne semble envisageable, il semblerait quasi-inéluctable que l’évolution se fasse vers une symptomatologie de ce type.

 

En conclusion, un harcèlement moral entraînerait systématiquement, à terme, un ESPT si la personne n’est pas sortie à temps de l’environnement de travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE 3.

Le harcèlement moral au travail :

application des données recueillies à l’analyse d’un cas concret

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3.1. Introduction

 

 

 

La complexité du harcèlement moral est liée à la présence de plusieurs facteurs (caractéristiques de l’agresseur, de la victime et caractéristiques organisationnelles) ; elle est renforcée par son caractère subjectif, puisque que le harcèlement est constitué d’impressions perçues différemment selon les individus et d’émotions totalement personnelles.

M-F. Hirigoyen[113] estime ainsi que « la difficulté qu’il y a à analyser les situations de harcèlement moral et à y trouver remède vient de ce que la réalité extérieure, visible des témoins ou intervenants, n’est pas la réalité psychique de chacun des protagonistes. Une situation ne prend sens qu’au travers de la subjectivité des personnes. Ce qui est considéré comme offensant par la personne harcelée, et l’effet que cette offense produit sur elle, est peut-être disproportionné par rapport à ce qui a été fait. Notre ressenti dépend de notre histoire, de notre éducation et de nos blessures passées. ».

 

En raison de cette complexité et de la composante nécessairement subjective du harcèlement moral, nous avons choisi de ne pas l’exposer seulement de manière théorique, mais également de l’illustrer à travers la description et l’analyse d’un cas concret. En effet, ceci permet de rendre compte de la complexité du phénomène, puisque l’analyse portera tant sur les types d’agissements perpétrés à l’égard de la victime, sur ses réactions et son ressenti que sur l’étude des réponses de l’entreprise. Par ailleurs, ce cas a retenu notre attention dans la mesure où, d’une part, il nous semble caractéristique des situations de harcèlement, et d’autre part, les dires de la personne interrogée sont appuyés par des preuves écrites (mails, lettres, etc., témoignant des réactions à la fois de la victime, de l’agresseur et de l’organisation).

 

3.2. Présentation d’une situation de harcèlement moral au travail

 

 

 

 « A la limite, il vaudrait presque mieux être licencié, d’un seul coup, plutôt que de subir la souffrance, la destruction progressive et la répétition quotidienne de ces petites attaques, qui vous vident, vous lessivent, et vous donnent finalement l’impression que l’on vous vole votre vie. C’est peut-être ça la mort, finalement. Je considère que je suis malade, je suis complètement à soigner. »

Pierre

 

 

Pierre a vécu une enfance facile et sans difficulté majeure. Son père était médecin ; il a grandi dans une famille unie, où ses parents lui ont procuré un environnement stable et protégé. Il n’a vécu aucun traumatisme particulier, et va même jusqu’à définir son enfance par une absence d’événement marquant.

 

Cet homme de 42 ans n’a jamais rencontré de difficultés lors de son parcours scolaire, qui fut même brillant, puisque après avoir été premier ou second de sa classe au collège et au lycée, il a intégré l’une des meilleures classes préparatoires aux grandes écoles françaises, avant d’intégrer une école d’ingénieurs.

Mû par un profond intérêt pour son domaine d’études, il vit dans cette formation l’occasion d’allier la recherche à une passion qui remontait à son enfance. Afin de mener à bien une véritable carrière scientifique, il termina donc ses études par un doctorat en soutenant une thèse à Paris.

Entre temps, il s’était marié, et à la fin de sa thèse, il trouva un poste à La Rochelle, ce qui lui permettait de quitter Paris afin de mener à bien le plan de famille qu’il s’était fixé avec sa femme : avoir  six enfants – ce qui était naturellement plus facile en province. Au bout de quatre ans, Pierre changea d’employeur, car l’entreprise pour laquelle il travaillait à l’époque l’avait détaché auprès d’un centre étatique de recherche, d’expertise et d’essais employant à la fois des civils et des militaires, au sein duquel il se plaisait plus que chez son premier employeur. Il y disposait, en effet, d’un champ d’action plus large, d’une latitude de moyens et de possibilités de contacts bien plus intéressants. Ce centre était une référence dans son domaine scientifique, et il pouvait y travailler en partenariat avec un important réseau de scientifiques ainsi qu’avec des sociétés, qui fabriquaient et vendaient les systèmes dont il participait à la conception.

 

A vu de ses résultats, Pierre fut très rapidement promu responsable de l’un des services. Pendant 7 ans, il dirigea donc une équipe d’une dizaine de chercheurs, anima un réseau scientifique, publia beaucoup, encadra de nombreux thésards et obtint d’excellents résultats. Les bulletins de notation correspondant à ces années sont éloquents : « excellence compétence scientifique, très bons résultats avec les organismes extérieurs, a beaucoup œuvré pour le rayonnement du centre... »

Il avait de nombreux contacts avec son chef de secteur, scientifique de haut niveau, qui appréciait particulièrement son dynamisme, ses capacités relationnelles qui lui avaient permis de motiver son équipe et ses larges compétences scientifiques ( toutes ces expressions sont extraites des bulletins de notation).

En 1993, le chef de secteur fut remplacé par un ingénieur militaire débutant, X. Pierre eut donc avec lui moins d’occasions d’échanger ses points de vue sur des questions scientifiques. Ses résultats étaient toujours excellents et il reçu deux ans après, la fonction de conseiller scientifique du centre.

Un des collaborateurs de Pierre, que nous appellerons H, responsable d’un service collatéral, entrepris alors de dénigrer systématiquement le nouveau chef devant Pierre qui, à vrai dire, n’y prêtait guère attention. Pour autant, H semblait vouloir se rapprocher de ce chef et recherchait fréquemment les contacts avec lui.

A la même époque, un nouvel ingénieur, fut affecté dans le service de Pierre. Cet ingénieur avait des difficultés à travailler en collaboration avec les autres membres de l’équipe à tel point qu’une jeune thésarde qu’il avait lui-même recrutée quitta le service du jour au lendemain pour ces raisons. Il obtenait par ailleurs des résultats médiocres quand il effectuait des travaux de recherche.

Il fut reproché à Pierre, en fin d’année, de ne pas avoir su l’intégrer à l’équipe. Cet épisode marqua très progressivement le début d’une série de remarques concernant les capacités relationnelles et de gestion d’équipe de Pierre. Il le comprit d’autant plus mal que le reste de l’équipe était soudé et performant et que H, qui prit ultérieurement cet ingénieur dans son service, eut de gros problèmes relationnels et de collaboration avec lui.

En 1997, un événement très surprenant se produisit : alors que Pierre continuait à obtenir d’excellents résultats, son chef, X, qui devait changer d’affectation très prochainement, le convoqua dans son bureau et lui montra un tee-shirt sur lequel était imprimée la photo de Pierre portant une inscription « enfin débarrassé » tout en déclarant : « regarde ce qu’on m’a offert pour mon départ ! ». Certes, Pierre n’avait jamais eu beaucoup de contacts avec ce chef, mais il n’avait jamais éprouvé l’impression d’une quelconque tension avec lui. Il resta donc absolument interdit devant ce tee-shirt, mais décida de ne pas donner suite à cet événement, ce chef devant être muté dans les jours qui suivaient, il pensait que cette affaire n’aurait pas de suites.

X fut remplacé à son poste par le collatéral de Pierre, H, bien que celui-ci, bénéficiant de la même ancienneté que Pierre, fût beaucoup moins diplômé que lui. Pour autant, cette promotion n’affecta aucunement Pierre ; son équipe continuait à produire de nombreux travaux et il était passionné par son travail de chercheur. Il pensa même que H, scientifique et à la tête d’un service depuis plusieurs années, remplacerait avantageusement X qui manquait d’expérience.

Et pourtant, c’est à partir de ce moment que la situation de Pierre commença à se dégrader : diminution significative des budgets accordés au fonctionnement de son service alors que les autres services n’avaient pas ce genre de soucis, tracasseries administratives... et bulletins de notation sur lesquels apparurent progressivement des remarques concernant sa façon d’être : « excellent scientifique, rayonnement exemplaire, connaissances encyclopédiques », mais « singulièrement inconstant dans ses actions, les menant rarement à leur terme car elles perdent sans doute très vite leur attrait dès que les études de faisabilité démarrent... » ou bien « personnalité originale et attachante qui justifie une grande indulgence de la part de son autorité hiérarchique... ». Remarques qui n’étaient assorties d’aucune explication et qui tranchaient avec les appréciations des 7 années précédentes sans que Pierre ne puisse l’expliquer. Il commença à douter et à se sentir mal à l’aise. D’autant plus qu’en 1999, il fut averti par une note de service, sans explication à nouveau, qu’il était nommé par intérim au poste qu’il occupait depuis de nombreuses années. Aussi, lorsqu’à nouveau par une note de service, il fut nommé « commercial » au sein de la nouvelle division « affaires » que le centre venait de créer, il y vit une occasion de rebondir, d’oublier ces tracasseries, bien qu’appréhendant le fait de n’avoir aucune formation dans ce domaine. Il ne contesta donc pas les ordres de sa hiérarchie militaire. Sa nouvelle mission fut de démarcher les institutions privées pour vendre les prestations du centre. H fut nommé responsable de ce service.

Pendant les deux années que Pierre passa dans ce service sous les ordres de H, ses conditions de travail se dégradèrent d’une façon dramatique : injonctions paradoxales récurrentes, humiliations, brimades dont quelques exemples seront donnés dans le chapitre suivant. L’intérêt du service « affaires » n’était pas ce qui importait puisqu’à plusieurs reprises, on empêcha Pierre de se déplacer pour signer des contrats qui devaient rapporter des sommes importantes au centre et pour lesquels il avait travaillé durant de nombreuses heures. On envoyait de jeunes ingénieurs à sa place qui, par manque d’expérience, ne pouvaient concrétiser les actions entreprises par Pierre. Tout cela n’avait aucun sens pour lui ; excepté qu’il commençait à comprendre qu’il se battait « comme un moulin à vent » pour son reprendre sa propre expression, et que quoi qu’il fasse, quel que soit le mal qu’il se donnait pour accomplir sa mission de chargé d’affaires, rien ne pourrait aboutir car H, sans lui en donner l’explication, faisait en sorte que ses actions ne puissent aboutir et par là-même, l’empêchait de respecter ses objectifs définis en début d’année.

On alla même jusqu’à supprimer de la base de données informatiques plusieurs affaires dont notamment sa plus grosse affaire de l’année. Pierre demanda des explications et on lui répondit que « de toutes façons, il fallait faire du ménage » et que ces affaires « encombraient la base de données ».

Paradoxalement, malgré toutes les brimades et les humiliations qu’il subissait de la part de H qui, par exemple, lui faisait remarquer très régulièrement d’un ton ironique qu’il ne comprenait pas comment il trouvait encore la force de travailler pour un salaire de misère comme le sien (Pierre n’avait pas eu de promotion depuis 5 ans et son salaire n’avait donc pas été augmenté depuis ce temps), et le surnommait « le grouillot de base », il garda son titre de conseiller scientifique du centre.

Les ordres que Pierre recevait devenaient de plus en plus contradictoires, dépourvus de sens ; et malgré tous les efforts qu’il fournissait, son travail était toujours réduit à néant.

Il tenta de confier sa souffrance au médecin du travail, mais celui-ci bien qu’affirmant le comprendre n’entreprit aucune action.

Pierre pensa alors à démissionner mais son état de santé s’était tellement dégradé (insomnies, cauchemars récurrents, angoisse, sentiment de doute très important...) qu’il se sentait « incapable de mener à bien un entretien d’embauche ». De plus, ses charges familiales ne lui permettaient pas de rester longtemps sans travail...

Alors que toutes ses tentatives pour faire face et trouver une issue à sa situation demeuraient vaines, des malversations émanant d’un centre dépendant de la même direction furent dénoncées et sanctionnées par la justice. Le juge parlait « d’associations de malfaiteurs qui agissaient en bande organisée».

 Pierre qui connaissait, comme beaucoup d’agents, les pratiques similaires qui avaient eu lieu dans son centre, écrivit quelques lignes au procureur, suggérant qu’il avait été témoin d’exactions similaires dans son centre. Son geste fut suivi d’effets puisque qu’il y eut enquête et auditions de témoins.

Rétrospectivement, Pierre pense que dans un autre contexte, il n’aurait pas agi de la sorte, en tous cas, pas seul. Il se définissait à l’époque comme « exsangue » tant sur le plan moral et sur le plan du travail ; tous ses efforts pour tenter de redresser sa situation professionnelle étaient restés vains et il n’avait trouvé aucun soutien, tant du côté de ses collègues de travail que du côté des institutions telles que la médecine du travail. Il vit plutôt dans cette dénonciation une ultime occasion de dénoncer un système qui promouvait la malhonnêteté et les « magouilles » de toutes sortes, et qui n’hésitait pas, en autres, à cautionner les pratiques dont il faisait l’objet, au détriment de l’intérêt du centre, et donc celui de l’Etat.

Suite au geste de Pierre, le collectif se structura rapidement et personne ne lui serra plus la main, il fut « complètement éjecté ». Dans ce contexte, il demanda à réintégrer son ancien service, ce qui fut accepté, mais il redevint simple ingénieur, sous les ordres de ceux qu’il avait encadrés pendant longtemps ; une sorte de « mise au placard », puisque si au début, on lui confia quelques missions habituellement réservées aux débutants, bientôt il n’eut absolument plus rien à faire et ne fut même plus convoqué aux réunions.

Il demanda à être muté dans un autre centre : aucune réponse de sa hiérarchie. Puis il tenta d’alerter le CHSCT, à qui il demanda d’examiner sa situation lors de la prochaine réunion... et reçut en réponse une lettre de son directeur lui demandant « d’arrêter de faire pression sur le CHSCT et , pourquoi pas, de se mettre au travail ! ». Demande paradoxale puisque Pierre, réduit à l’inactivité, lui avait adressé à plusieurs reprises des courriers dans lesquels il demandait précisément à ce que des tâches lui soit affectées.

Pierre, soutenu par sa famille, est depuis peu aidé par un avocat. Suite aux courriers de ce dernier, il a été récemment affecté à un poste de chargé de mission. Sa fiche d’objectifs indique ses deux missions principales :

-            organiser un travail dans un domaine que sa direction lui a signalé ne plus faire partie des axes stratégiques du centre

-            et... organiser sa mutation.

 

3.3. Les agissements caractéristiques

 

 

 

3.3.1. Recensement des agissements subis

 

 

 

Le but de ce mémoire étant de trouver des corrélations entre une situation (de harcèlement moral) et une pathologie spécifique (un Etat de Stress Post-Traumatique), il convient, préalablement à toute analyse, de diagnostiquer de la façon la plus rigoureuse possible la situation de souffrance psychique au travail.

 

L’outil de diagnostic le plus fréquemment utilisé dans le cadre de la recherche sur le harcèlement moral (Suisse, Canada, Belgique, pays scandinaves...) est le LIPT (Leymann Inventory of Psychological Terrorization) qui est une liste des actes constitutifs de mobbing établie par Heinz Leyman ; y sont ajoutés des critères de fréquence et de durée : pour être considérée comme relevant de harcèlement, une situation doit comporter la présence d’au moins un agissement qui doit se reproduire au moins une fois par semaine et ce pendant 6 mois au minimum.

Pour notre part, nous avons retenu, en tant qu’aide au diagnostic, la liste des critères définis par M.F. Hirigoyen à laquelle nous avons associé les critères de fréquence et de durée tels que définis dans le LIPT, et un critère supplémentaire : celui de la souffrance ressentie pour chaque type d’agissement.

Le choix de cette liste a été motivé, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, par le fait que la notion de harcèlement moral recouvrait des réalités différentes selon les pays. D’autre part, comme Christophe Dejours le signalait lors de la réunion de l’A.F.P.P.S.[114] , consacrée en 2000 au thème du harcèlement moral : « dans la mesure où le terme ‘harcèlement moral’ est retenu, que Marie-France Hirigoyen l’a introduit,  il serait absurde de remettre en cause la définition qu’elle en donne ». Nous considérons en effet que le succès et la portée de ses ouvrages correspondent à la conception du harcèlement moral retenue par une majorité de Français.

Par ailleurs, afin de préciser les éléments recueillis dans la liste, d’effectuer des liens avec l’organisation de travail et d’aborder la question du vécu subjectif des évènements, nous avons choisi de réaliser des entretiens cliniques. Ces échanges d’une durée d’une heure trente en moyenne, ont eu lieu à quatre reprises. Ils étaient menés dans le cadre d’un travail de recherche et leur finalité n’était donc pas celle d’une thérapie. Ils étaient non directifs, même si nous souhaitions aborder certains thèmes.

 

 

a.      agissements hostiles retrouvés en se référant à la liste établie par Marie-France Hirigoyen[115]

 

Le tableau d’agissements présenté à la page suivante prend en compte :

 

-       la période des agissements : en se basant sur les 4 stades du processus de harcèlement décrits par Heinz Leymann [116], pour notre exemple, nous avons réparti les différentes phases de la façon suivante :

. Stade I (1993-1995) : agissements difficilement repérables

. Stade II ( 1996-2000) : isolement et dégradation progressive des conditions de travail

. Stade III ( 2001-2003) : intensification du processus d'exclusion ; décompensation ;

mesures officielles de la direction.

 

-           la fréquence des agissements : en adoptant le barème suivant :

. 0 : jamais

. 1 : occasionnellement

. 2 : une fois/ mois

. 3 : une fois/ semaine

. 4 : difficilement quantifiable mais conséquences quotidiennes

. 5 : au moins une fois/ jour

 

-           l’intensité de la souffrance générée par les agissements : en adoptant le barème suivant :

. 0 : pas de souffrance

. 1 :souffrance à peine sensible

. 2 :légère souffrance

. 3 : souffrance moyenne

. 4 : forte souffrance

. 5 : souffrance intense

 

LISTE DES AGISSEMENTS HOSTILES ( classification de MF Hirigoyen)

 

 

 

Atteinte aux conditions de travail

Pér

Fréq

Souf

 A1 : On retire à la victime son autonomie

2-3

4

5

 A2 : On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d'une tâche

2-3

4

4

 A3 : On conteste systématiquement toutes ses décisions

-

-

-

 A4 : On critique son travail injustement ou exagérément

2-3

2

3

 A5 : On lui retire l'accès aux outils de travail ( téléphone, fax, ordinateur...)

2-3

1

1

 A6 :On lui retire le travail qui normalement lui incombe

3

1

5

A7 : On lui donne en permanence des tâches nouvelles

-

-

-

A8 : On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences

2-3

4

5

A9 : On fait pression sur elle pour qu'elle ne fasse pas valoir ses droits ( congés, horaires, primes)

3

1

4

A10 : On fait en sorte qu'elle n'obtienne pas de promotion

2-3

4

5

A11 : On lui attribue contre son gré des travaux dangereux

-

-

-

A12 : On lui attribue des tâches incompatibles avec sa santé

-

-

-

A13 : On occasionne des dégâts à son poste de travail

3

1

3

A14 : On lui donne délibérément des consignes impossibles à exécuter

3

4

5

A15 : On ne tient pas compte des avis médicaux formulés par le médecin du travail

-

-

-

A16 : On la pousse à la faute

3

1

0

 

 

 

 

Isolement et refus de communication

 

 

 

B1 : On interrompt sans cesse la victime

-

-

-

B2 : Ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues ne lui parlent plus

2-3

5

3

B3 : On communique avec elle uniquement par écrit

2-3

3

3

B4 : On refuse tout contact même visuel avec elle

3

5

4

B5 : On l'installe à l'écart des autres

-

-

-

B6 : On ignore sa présence en s'adressant exclusivement aux autres

2-3

2

3

B7 : On interdit à ses collègues de lui parler

-

-

-

B8 : On ne la laisse plus parler aux autres

-

-

-

B9 : La direction refuse toute demande d'entretien

-

-

-

 

 

 

 

Atteinte à la dignité

 

 

 

C1 : On utilise des propos méprisants pour la qualifier

2-3

2

5

C2 : On utilise envers elle des gestes de mépris ( soupirs, regards méprisants, haussements d'épaules

-

-

-

C3 : On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés

1-2-3

3

5

C4 : On fait courir des rumeurs à son sujet

-

-

-

C5 : On lui attribue des problèmes psychologiques ( on dit que c'est une malade mentale)

-

-

-

C6 : On se moque de ses handicaps ou de son physique; on l'imite ou on la caricature

-

-

-

C7 : On critique sa vie privée

2-3

1

0

C8 : On se moque de ses origines ou de sa nationalité

-

-

-

C9 : On s'attaque à ses croyances religieuses ou à ses convictions politiques

2-3

1

0

C10 : On lui attribue des tâches humiliantes

-

-

-

C11 : On l'injurie avec des termes obscènes ou dégradants

-

-

-

 

 

 

 

Violence verbale, physique ou sexuelle

 

 

 

D1 : On menace la victime de violences physiques

-

-

-

D2 : On l'agresse physiquement, même légèrement, on la bouscule, on lui claque la porte au nez

-

-

-

D3 : On hurle contre elle

-

-

-

D4 : On envahit sa vie privée par des coups de téléphone ou des lettres

-

-

-

D5 : On la suit dans la rue, on la guette devant son domicile

3

1

1

D6 : On occasionne des dégâts à son véhicule

-

-

-

D7 : On la harcèle ou on l'agresse sexuellement ( gestes ou propos)

-

-

-

D8 : On ne tient pas compte de ses problèmes de santé

-

-

-

 

Tableau 15 : recensement des agissements hostiles

b.      agissements retrouvés, non répertoriés dans la liste de M.F. Hirigoyen

 

Deux types d’agissements n’ont pu être répertoriés. Il s’agit :

- des injonctions paradoxales, très caractéristiques des situations de harcèlement moral.

Michèle Drida, présidente de l’association Mots pour Maux au Travail[117] constate que la manipulation du paradoxe est une pratique couramment utilisée dans le harcèlement moral et rajoute « que les gens ont l’impression de devenir fous. Ils luttent contre ces tentatives de les rendre fous en s’accrochant justement au travail (...) »

Dans le cas étudié, de multiples exemples pourraient être donnés, les relations entre Pierre et sa hiérarchie étant basées sur ce type de fonctionnement.

Par exemple, depuis 2002, Pierre n’a pas obtenu de fiche de poste définissant clairement ni ses fonctions ni sa position hiérarchique.

Sa fiche d' objectif annuel mentionnait pour 2003 qu'il devrait d'une part promouvoir une activité dont il était dit sur la fiche de notation de l’année précédente qu’elle ne faisait pas partie des axes stratégiques du centre, d’autre part de contacter et rencontrer officiellement la DRH pour une mutation éventuelle.

Pierre rédigea donc un fax de demande de rendez-vous à l’attention de la DRH, fax que son directeur refusa d’envoyer ( « dans quel cadre veux-tu envoyer ce fax ? »).

 

- du fait que l’on s’approprie les travaux de la victime.

L’exemple donné par Pierre est celui de travaux et de publications scientifiques qu’il avait entièrement réalisées et que d’autres personnes, désignées par la hiérarchie, présentèrent en leurs noms propres, sans que Pierre fut invité à participer

 

 

3.3.2. Commentaires

 

 

Le harcèlement moral n’est pas facile à repérer ; son efficacité réside justement dans l’insignifiance des agissements qui le constituent. Il n’agit pas en une fois, à travers un événement traumatisant, certes, mais facile à identifier ; au contraire, c’est à travers l’accumulation sournoise d’agissements séparés, dont la constante répétition finit par faire plonger la victime dans un état de décompensation sévère de façon si progressive qu’elle-même peut ne pas s’en apercevoir, que ce phénomène se manifeste dans toute son ampleur.

Bien souvent, comme cet exemple nous le prouve, les actes constitutifs de harcèlement moral ne sont pas infamants en tant que tels, s’ils sont déconnectés du contexte dans lequel ils sont commis. Ainsi, pour se justifier, pour prouver l’impact que ces agissements ont eu sur elle, la victime est tenue de les resituer dans leur contexte, de les relier à d’autres événements. C’est ainsi qu’ils prennent tout leur sens, mais aussi qu’ils contribuent à l’isolement de la victime dans la mesure où cette dernière se situe en position permanente de justification, lassant à la longue son entourage.

 

 

 

3.3.3. Analyse des résultats obtenus

 

 

 

a.           répartition des agissements par catégorie :

 

 

Nombre d’agissements (retrouvés au moins 1 fois/semaine pendant au minimum)

Atteintes aux conditions de travail

5

Isolement et refus de communication

3

Atteintes à la dignité

1

Violence verbale, physique ou sexuelle

0

 

Tableau 16 :répartition des agissements par catégorie

 

On remarquera qu’un seul agissement de la catégorie « atteintes à la dignité » a été retenu sur la base des critères de fréquence d’H. Leymann. Pour autant, certaines paroles proférées de façon régulière, sans que l’on puisse pour autant parler de fréquence hebdomadaire, ont profondément affecté Pierre.

Par ailleurs, la prédominance des atteintes aux conditions de travail corrobore l’avis des spécialistes interrogés à ce sujet (voir chap. II, p 119).

 

 

 

 

b       agissements les plus souvent retrouvés

 

Atteintes conditions de travail

 

A1

On retire à la victime son autonomie

A2

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche

A8

On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences

A10

On fait en sorte qu’elle n’obtienne pas de promotion

A14

On lui donne délibérément des consignes impossibles à effectuer

Isolement, refus de communication

 

B2

Ses supérieurs hiérarchiques ne lui parlent plus

B3

On communique avec elle uniquement par écrit

B4

On refuse tout contact, même visuel avec elle

Atteintes à la dignité

 

C3

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés

Tableau 17 : agissements les plus souvent retrouvés

 

Nous remarquons que deux des agissements en rapport avec les atteintes aux conditions de travail cités par Pierre font partie des 6 agissements les plus fréquemment cités par les professionnels interrogés lors de l’enquête (voir chap. 2 p. 119). Il s’agit des critères A2 et A 14.

 

c.         agissements ayant généré la plus grande souffrance

 

Souffrance intense

 

A1

On retire à la victime son autonomie

A6

On lui retire le travail qui normalement lui incombe

A8

On lui attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à ses compétences

A10

On fait en sorte qu’elle n’obtienne pas de promotion

A14

On lui donne délibérément des consignes impossibles à effectuer

C1

On utilise des propos méprisants pour la qualifier

C3

On la discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés

Forte souffrance

 

A2

On ne lui transmet pas les informations utiles à la réalisation d’une tâche

A9

On fait pression sur elle pour qu’elle ne fasse pas valoir ses droits

B4

On refuse tout contact, même visuel avec elle

Tableau 18 : agissements ayant généré la plus grande souffrance

 

La plupart des atteintes aux conditions de travail entraînent une souffrance intense, de même que les atteintes à la dignité ; l’isolement et le refus de communication semblent générer une souffrance moindre chez Pierre...

Ces constatations contrastent avec les impressions des spécialistes qui estiment globalement que les atteintes aux conditions de travail engendrent moins de souffrance que celles des autres catégories d’agissements.

Nous pensons que cette divergence est vraisemblablement en rapport avec la façon dont Pierre avait très fortement investi son travail.

 

e.         remarques sur le système de mesure des fréquences d'occurrence des évènements :

 

Il a souvent été difficile, dans le cas que nous avons étudié, de préciser la fréquence à laquelle les agissements étaient effectués. En effet, autant il est facile, quand on ne vous serre plus la main le matin, d’affirmer que cet agissement est quotidien, autant il est plus difficile de déterminer la fréquence à laquelle sont effectués d’autres agissements.

Par exemple, si nous reprenons le critère A8 « on vous attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à vos compétences », l’attribution de ces tâches ne se fait pas quotidiennement, mais c’est quotidiennement que vous effectuez ces tâches inférieures à vos compétences. Ce type de situation a été classé dans la catégorie de fréquence 4 : « difficilement quantifiable, mais conséquences quotidiennes ».

En tout état de cause, la situation que nous avons choisi d’étudier correspond à une situation de harcèlement moral selon les critères de fréquence et de durée définis par Heinz Leyman puisque même en exceptant la catégorie de fréquence 4 (appliquée pour 5 types d’agissements tous retrouvés dans la classe « atteinte aux conditions de travail), 2 agissements sont exercés quotidiennement, et 1 de façon hebdomadaire, sur une durée de plus de 6 mois.

 

 

 

3.4. analyse des reactions et des tentatives d’adaptation

 

3.4.1. Styles de coping

 

 

 

Les évaluations de la situation déterminent un choix de « styles de coping », qui sont des stratégies proposées par un individu afin de faire face à des situations évaluées comme stressantes.

Dans le cadre de notre étude, nous avons utilisé l’inventaire de coping pour situations stressantes (CISS)[118], qui est une mesure multidimensionnelle des styles de coping orientés vers la tâche, l’émotion et l’évitement. Cet inventaire mesure la façon dont les sujets gèrent le stress et ce qu’ils font habituellement lorsqu’ils sont confrontés à un événement stressant. Il comporte 48 items, et à chaque fois, il est demandé au sujet d’indiquer ce qu’il ressent habituellement lorsqu’il a des soucis professionnels, quand il vit des situations ou des événements difficiles, sur une échelle en cinq points qui vont de  1 : « pas du tout » à  5 : « beaucoup ».

 

L’analyse de ce questionnaire, sans qu’il me soit permis de parler de validité d’interprétation, a apporté des éléments corroborant ce que nous avions constaté lors des entretiens : il semble que les composantes de la personnalité de Pierre soient à l’origine de stratégies de coping essentiellement centrées sur la tâche, la résolution des problèmes.

Dans la mesure où des travaux récents (enquête auprès d’une cohorte de victimes d’un attentat terroriste en décembre 1996)[119] ont pu montrer une corrélation négative entre les stratégies de coping centrées sur la tâche et la sévérité de l’ESPT (alors que cette corrélation est positive pour les stratégies de coping centrées sur les émotions et non significative pour les stratégies centrées sur l’évitement), il serait intéressant d’étudier les relations entre stratégies de coping et intensité des troubles liés cette fois-ci à une situation de harcèlement moral.

En ce qui concerne Pierre, les stratégies de coping essentiellement centrées sur la tâche et la résolution des problèmes, n’ont pas eu d’effet protecteur : l’impossibilité d’action et d’interaction avec l’environnement, souvent caractéristique des situations de harcèlement moral a renforcé le désarroi de Pierre et a abouti à la décompensation grave que nous avons évoquée.

 

 

 

3.4.2. Stratégies d’adaptation selon les phases du processus de harcèlement

 

 

 

S’inspirant des travaux de Nield[120] et partant de l’hypothèse que le harcèlement moral au travail se structure en quatre stades (Leymann, 1996[121]) et qu’au début de ce processus, les victimes utilisent des stratégies d’adaptation constructives qui, si elles n’aboutissement pas aux effets escomptés, sont remplacées par des stratégies d’adaptation destructives, un travail de recherche a été récemment été effectué[122] sur les stratégies d’adaptation spécifiques aux différents stades du harcèlement.

Les stratégies d’adaptation constructives sont celles qui visent à faire resurgir des conditions de travail satisfaisantes (informer les supérieurs ou les collègues de la situation, suggérer des améliorations, ou tout simplement attendre en espérant que la situation s’arrangera par elle-même)

Les stratégies d’adaptation destructives tendent à rompre la relation entre le travailleur et son organisation (arrêts de travail, comportements d’obstruction, demandes de mutation, etc...)

 

Il a été tout d’abord été démontré que le déroulement des faits de mobbing correspondait bien au modèle proposé par Leymann pour la plupart des sujets interrogés.

Dans un second temps, l’hypothèse selon laquelle les victimes de harcèlement mettent en place des stratégies d’adaptation spécifiques au stade du processus a été partiellement vérifiée.

On constate en effet que les stratégies décrites par les victimes au cours du stade I sont uniquement constructives. Au cours du stade II, les victimes utilisent un panel de stratégies, tant destructives que constructives, pour n’utiliser que des stratégies destructives au cours des stades III et IV.

 

Ces données semblent s’appliquer à l’exemple que nous avons choisi d’analyser :

-           au cours des stades I et II, Pierre s’est fortement investi dans son travail afin de prouver qu’il pouvait obtenir de bons résultats malgré la dégradation progressive de ses conditions de travail. Ainsi, par exemple, lorsque des crédits lui étaient refusés pour l’achat de matériel nécessaire à la réalisation de ses travaux de recherche en cours, et alors que les services collatéraux n’étaient pas concernés par ce type de problème, il se retournait vers d’autres centres de recherche qui disposaient du matériel voulu.

De même, à partir du moment où il fut nommé commercial, il s’investit fortement dans cette nouvelle fonction, cherchant par tous les moyens, malgré les obstacles qu’il rencontrait, à remplir ses objectifs.

Pierre pris conscience des faits de harcèlement moral dont il était l’objet à la fin de cette période.

-           c’est durant la troisième période (stade III), qu’il prit réellement conscience de l’impossibilité de remédier à la situation.

Son but ne fut plus alors de maintenir ou de faire resurgir coûte que coûte une relation satisfaisante avec son milieu de travail, mais de prouver la nature des agissements dont il était l’objet, en vue d’une éventuelle réparation, incluant la possibilité d’être muté. Il commença ainsi à garder des preuves (mails, courriers), prit contact avec une association et un avocat.

 

 

 

3.5. evaluation des consequences sur la sante

 

 

 

De nombreux auteurs ont analysé les conséquences du harcèlement moral sur la santé des personnes. Les consultations spécialisées ont notamment permis de préciser le tableau clinique et le cadre nosographique dans lequel se situent les personnes victimes de harcèlement. Ainsi, si la période d’installation des troubles (phase d’alerte) est peu spécifique, au cours de la phase d’état, le tableau clinique s’apparente à celui de la névrose traumatique.

 

 

3.5.1. Les premiers signes : la phase d’alerte

 

 

Dans son ouvrage sur le harcèlement moral au travail[123], Marie-France Hirigoyen explique que « lorsque le harcèlement moral est récent et qu’il existe encore une possibilité de riposte ou un espoir de solution, les symptômes sont d’abord très proches du stress ».

La phase d’alerte se caractérise donc par une tentative d’adaptation de l’organisme au danger pouvant se traduire par diverses manifestations psychosomatiques (anxiété, troubles du sommeil, palpitations, consommation d’alcool, nausées...).

En général, la personne ne s’exprime pas dans cette phase. Elle fait preuve d’une hypervigilance au travail, d’un activisme défensif supposé la mettre à l’abri des critiques et des brimades.

Cette phase d’alerte est donc difficile à repérer.

 

 

3.5.2. La phase de décompensation en deux temps

 

 

a.      premier temps

 

Si le processus de harcèlement perdure, la victime va alors décompenser. Cette décompensation peut se faire selon plusieurs modes :

      - anxiété généralisée, telle que décrite par Marie-France Hirigoyen et Heinz Leymann. S’y associent des phénomènes de ressassement et parfois des conduites d’évitement.

      - pathologies dépressives ; l’enquête réalisée auprès des médecins du travail de la région PACA par J. et P. Chiaroni[124] réalisée sur la base d’un échantillon de 489 personnes identifiées comme victimes de harcèlement moral indique que 70 % des salariés présentent des troubles de l’humeur dépressifs et que 13 d’entre eux ont tenté de se suicider)

      -troubles psychosomatiques : digestifs, endocriniens, dermatologiques, cardiaques, amaigrissement...)

      - la forme de décompensation la plus grave correspond à la névrose traumatique ou Etat de Stress Post-Traumatique, décrite aussi bien par Marie-France Hirigoyen que par Heinz Leymann, et que nous avons abordée dans le chapitre précédent.

 

 

b.      deuxième temps

 

Dans son ouvrage, le harcèlement moral dans la vie professionnelle, Marie-France Hirigoyen indique que toutes les victimes, à de rares exceptions près, subissent une déstabilisation importante, pouvant conduire à des changements durables de la personnalité.

Cette décompensation structurelle est décrite par Marie Pezé et Marie-Christine Soula[125] : « Derrière ce tableau de névrose traumatique spécifique, immédiatement ou à distance, c’est avec sa structure de personnalité que le patient décompense : bouffée délirante aiguë, dépression grave, désorganisation psychosomatique, paranoïa...Toutes les lignées structurelles sont représentées, témoignant du fait que le harcèlement ne vise pas une personnalité particulière, mais se révèle d’une redoutable nocivité pour toutes. »

 

 

 

3.5.3. Application au cas concret

 

 

a.      modifications de l’état de santé

 

Notre exemple montre que, dans un premier temps (qui correspond à la première phase décrite ci-dessus), Pierre décrit des troubles du sommeil, des cauchemars, des nausées, une perte de tonus et de confiance en lui ainsi qu’une consommation d’alcool.

A ces signes, s’ajoutent des sentiments d’humiliation, d’injustice et d’absurdité.

 

Puis, dans un second temps, apparaissent des signes cliniques superposables à ceux d’un ESPT :

-       reviviscence des évènements : souvenirs répétitifs et anxiogènes des évènements, cauchemars au cours desquels il revit les agressions subies, sentiment de grande détresse lorsqu’il est exposé à des situations évoquant celles vécues sur son lieu de travail.

-       évitement des stimuli associés aux évènements et émoussement de la réactivité générale : évitement des personnes, activités, lieux, pensées et sentiments évoquant sa situation professionnelle, amnésie de certains aspects des évènements (Pierre se rappelle par exemple qu’on a offert un T-Shirt à son effigie portant l’inscription « enfin débarrassé » à son directeur, mais il est incapable de se souvenir des circonstances de cet événement), réduction d’intérêt pour ses activités habituelles, sentiment d’avenir bouché, sentiment de détachement des autres.

-       symptômes persistants d’hyperactivité neurovégétative : difficultés d’endormissement et sommeil systématiquement interrompu, pleurs fréquents, troubles de la mémoire, difficultés de concentration, sueurs froides. Un tic est également apparu ( secousses de la tête).

-     à ces symptômes qui persistent depuis 2 ans, il faut ajouter :

         . une perte d’estime de soi très importante,

         . un désarroi identitaire (perte des repères moraux : le bien, le mal, le juste,

           l’injuste...) 

         . un sentiment de culpabilité

         . une position défensive de justification

         . des idées suicidaires ( « j’ai l’impression d’être en sursis et préfèrerais être mort »).

Pierre est sous anti-dépresseurs (Prozac) et anxiolytiques (Lexomil) depuis deux ans. Il a été mis en arrêt de travail à trois reprises (en raison d’une peur panique à l’idée de se rendre à certaines réunions où il était prévu qu’il rencontre son agresseur), mais pour une durée très courte.

 

b.      instruments psychométriques

 

Plusieurs auto-questionnaires ont été proposés à Pierre[126] :

-           le Trauma History Questionnaire (THQ)[127] est un instrument permettant de lister quels sont les évènements traumatiques auquel un patient a pu être confronté.

La passation de ce questionnaire corrobore ce qui est apparu lors des entretiens, à savoir que Pierre n’a pas vécu d’évènements traumatiques particuliers.

 

 

-           le General Health Questionnaire dans sa version en 28 items (GHQ 28)[128] , destiné à détecter les troubles psychiques généraux.

La version en 28 items permet d’avoir une large mesure du retentissement psychique des évènements survenus. Elle permet d’identifier 4 facteurs comprenant chacun 7 items.

-symptômes somatiques

-anxiété et insomnie

-dysfonctionnement social

-dépression sévère.

 

Concernant la première catégorie « symptômes somatiques », seul un item (« vous-êtes-vous senti malade ? ») a recueilli une réponse « bien plus que d’habitude », 4 autres ont recueilli une réponse « moins bien que d’habitude ».

Dans la deuxième catégorie « anxiété et insomnie », un item a recueilli une réponse « bien plus que d’habitude » ( « avez-vous manqué de sommeil à cause de vos soucis »), 2 autres une réponse « moins bien que d’habitude ».

Concernant le dysfonctionnement social, aucun item n’a recueilli de réponse « bien plus que d’habitude », 3 recueillant une réponse « moins bien que d’habitude »

Par contre, dans la catégorie « dépression sévère », nous avons retrouvé 3 items « bien plus que d’habitude » ou « oui, certainement » et 2 « plus que d’habitude » ou « m’a traversé l’esprit ».

Ces éléments corroborent ce qui a été constaté lors des entretiens, à savoir que si nous retrouvons une forte composante dépressive (malgré le traitement anti-dépresseur), il existe peu d’affections somatiques, l’anxiété est modérée (mais Pierre est sous traitement anxiolytique depuis 2 ans) et le fonctionnement social est moyennement altéré.

 

 

-       le Maslach Burnout Inventory (MBI)[129] mesure l’épuisement professionnel (en fréquence et en intensité)

Le MBI se compose de 22 items répartis en 3 dimensions : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation et l’accomplissement personnel. Dans la version que nous avons choisie, chaque item est évalué en fonction d’un critère de fréquence cotée de 0 à 6 (de jamais à chaque jour)

Un niveau élevé de burn out se manifeste au travers des scores élevés sur les dimensions « épuisement émotionnel » et « déshumanisation » associés à un score faible sur l’échelle « accomplissement de soi ».

Cet instrument d’évaluation est particulièrement utilisé auprès des professions d’aide. Certains items sont donc difficilement applicables à d’autres professions.

Néanmoins, Pierre a obtenu des scores faisant état d’un degré élevé de burn out dans les 3 dimensions de ce questionnaire :

-   « épuisement professionnel , score = 34 (total > 30 = élevé)

-   sur la dimension « dépersonnalisation », un score = 21 (total > 12 = élevé)

-   et sur la dimension  « accomplissement personnel », score = 33 (total < 36 = élevé).

 

 

-       l’Inventaire de Dépression de Beck (BDI-II)[130] donne une estimation quantitative de la dépression.

Il permet une évaluation des troubles depuis les deux dernières semaines et donne une mesure de l’intensité de la dépression.

Le score total de Pierre est de 33, ce qui correspond à une dépression de niveau sévère.

-           le Questionnaire de Stress post-traumatique (QSPT)[131] : il évalue l’intégralité des symptômes d’état de stress post-traumatique et vise aussi bien à établir un diagnostic qu’à mesurer la sévérité du trouble et de chaque symptôme.

Ce questionnaire comprend 17 items répartis en 6 sections, chaque item correspondant précisément aux critères du DSM et étant évalué sur une échelle allant de 1 (jamais) à 7 (extrêmement, toujours).

Dans le cas de Pierre, le score total de sévérité des troubles est de 101 (le score seuil pathologique pouvant être compris entre 51 et 68). Tous les items sont retrouvés avec des scores importants, excepté en ce qui concerne l’item D2 : « avez-vous été par moments plus irritable ou colérique que vous ne l’étiez avant cet événement » coté 1 (non, jamais).

 

 

En résumé, nous notons l’absence d’événement traumatique antérieur (qui aurait pu être un facteur de risque de développement d’ESPT), la présence d’un ESPT (avec un score total de sévérité des troubles élevé) associé à des troubles dépressifs sévères et un niveau élevé d’épuisement professionnel.

En revanche, il n’existe pas d’affections somatiques, les troubles anxieux sont limités, vraisemblablement grâce du traitement anxiolytique (quelques tentatives d’arrêt du traitement se sont soldées par un échec) et le fonctionnement social est moyennement altéré.

 

 

 

3.5.4. Facteurs de risque et de protection

 

 

 

Comment évaluer le risque et quels sont les facteurs de protection face aux situations stressantes, aux micro-traumatismes caractérisant le harcèlement moral ?

Indépendamment des agissements subis, un certain nombre de facteurs, interagissant les uns avec les autres, vont amener la personne à développer des troubles plus ou moins importants.

Le Docteur Thurin, dans son ouvrage Stress, pathologies et immunité identifie ces facteurs :

 

a.      les facteurs génétiques

 

b.      les facteurs biographiques ; un sentiment d’insécurité et de non-confiance dans la vie ayant pour origine un environnement précoce insécurisant, des évènements de vie antérieurs (négligences, divorces, catastrophes...) ou une histoire psychopathologique familiale sont des facteurs extrêmement importants de vulnérabilité au stress.

Dans le cas de Pierre, l’anamnèse n’a pas retrouvé de tels éléments.

 

c.      les facteurs sociaux incluant le soutient psychologique et social et la possibilité d’aide médicale et juridique.

L’importance du soutien social semble considérable.

Dans notre exemple, Pierre, bien qu’ayant peu tendance à se confier, a bénéficié d’un soutien social qu’il décrit globalement comme très satisfaisant (un ami et plusieurs membres de sa famille). Par contre, le médecin du travail, bien que sollicité, n’a pas pris sa demande d’aide en considération.

 

d.      les facteurs familiaux

 

Durant l’enfance, un environnement familial anxieux peut à terme devenir un facteur de vulnérabilité, ceci s’expliquant par le fait que la personne risquera de ressentir et de percevoir les évènements comme étant plus dangereux.

De plus, il existe un risque accru de développement d’ESPT chez les sujets dont un membre de la famille soit présente ce trouble, soit souffre d’une dépression ou d’un trouble anxieux.

Ces éléments n’ont pas été retrouvés dans l’environnement familial de Pierre.

 

e.      les facteurs neuro-cognitifs et intellectuels

 

Les personnes ayant une forte sensibilité émotionnelle associée à des ressources cognitives faibles sont plus exposées aux répercutions d’un événement traumatique que les autres.

Nous ne retrouvons pas non plus ces éléments dans notre exemple.

 

f.       les facteurs psychophysiologiques (influence des taux de cortisol, de catécholamines, du CRF)

 

g.      les facteurs psychopathologiques : l’existence antérieure d’une dépression majeure et de troubles anxieux renforce le risque d’ESPT.

Pierre n’a jamais présenté de troubles anxieux ni dépressifs avant de vivre la situation à laquelle il est actuellement confronté.

 

h.      les facteurs de personnalité :

 

Deux types de personnalité peuvent être mis en relation avec le stress :

- les personnalités de type A caractérisées par une hyper-réactivité psychologique et physiologique, une tendance à l’hostilité, à la colère facile, la compétition et la dureté.

les personnalités de type C marquées par le déni, la suppression des émotions, une amabilité « pathologique » , une patience et une compliance exagérées, une hyper- rationalité et un évitement des conflits. Ce mode de défense s’avère longtemps fonctionnel, jusqu’à ce que l’accumulation de stress et d’épreuves entraînent une dépression et des réactions de désespoir et de solitude.

 

Dans notre exemple, la personnalité de Pierre ne semble pas superposable aux deux types décrits ci-dessus.

 

i.       les comportements d’adaptation et les attitudes : une adaptation centrée sur le problème, une attitude optimiste, une expression pondérée de sa détresse, une faible hostilité sont des facteurs de bon pronostic. Ces caractéristiques semblent correspondre aux comportements et attitudes de Pierre.

 

Nous rajouterons à cette liste des caractéristiques envisagées comme facteurs de risque spécifiques aux situations de harcèlement moral au travail par plusieurs spécialistes interrogés et que Pierre semble particulièrement posséder:

-       un sentiment aigu de la justice,

-       des valeurs d’honnêteté, de loyauté, d’intégrité, de droiture

-       le fait d’être très investi dans son travail,

 

Les personnes possédant ces qualités éprouvent d’autant plus de souffrance face aux attaques perverses dont elles sont l’objet qu’elles sont précisément attachées à leurs valeurs éthiques.

 

En conclusion, le harcèlement moral dont Pierre était l’objet a entraîné, et ce malgré l’absence, à priori, de facteurs de risque marquants(mises à part les caractéristiques énoncées ci-dessus), le développement d’un ESPT.

 

 

 

3.5.5. Le rôle de la résilience

 

 

 

Si les facteurs de risque et de protection peuvent influencer la mise en place et le développement de troubles médico-psychologiques (dont l’ESPT), dans le cadre du harcèlement moral, qu’en est-il du devenir à long terme pour ces personnes une fois le problème résolu ?

Cette question est très peu abordée, principalement du fait du manque de recul, la notion de harcèlement moral n’étant apparue que très récemment.

Une étude portant sur le devenir médical et professionnel de 89 patients identifiés comme victimes de harcèlement moral au travail a néanmoins été menée récemment dans le cadre d’un mémoire pour le DES en médecine de travail[132]. Cette étude montre qu’un ou deux ans après la résolution du problème, près de 70 % des personnes interrogées ont toujours recours à un suivi médico-psychologique...

 

La perspective de la résilience permet-elle d’envisager qu’une telle situation puisse aussi être génératrice de « rebondissement » en terme de santé et de développement personnel ?

La résilience, vulgarisée en France par Cyrulnic[133] est « la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comportent normalement le risque grave d’une issue négative ».

Dans sa thèse Traumatisme, question d’urgence : étude des troubles psycho-traumatiques et de la résilience chez des victimes de l’attentat du RER Port Royal[134], Clara Duchet explore longuement les moteurs de la résilience, notamment à travers les récits de plusieurs individus qui, confrontées au même traumatisme psychique que d’autres, sont épargnés de troubles psychotraumatiques et de séquelles.

Tout en soulignant que l’analyse statistique effectuée dans le cadre de ses travaux de recherche reste insuffisante pour apporter de réelles avancées en matière de résilience, elle propose néanmoins quelques pistes de réflexion et rappelle que la résilience n’est pas un acquis, mais au contraire un phénomène qui se construit et dont les conditions de développement sont :

-       une bonne condition physique (alimentation, sommeil, etc.)

-       la capacité de réintroduire progressivement les évènements dans son histoire de vie (prise de conscience de l’impact des évènements et acceptation de l’idée « qu’il faut faire avec » en cherchant en soi les moyens appropriés pour ce faire)

-       un réseau social au sein duquel la personne est acceptée pour elle-même

-       l’estime de soi (le fait de s’attribuer une certaine valeur et de la défendre aux yeux des autres)

-       l’humour, la « métaphorisation » qui représente une forme de mise à distance des évènements traumatisants

-       la capacité à fonctionner « normalement » sur d’autres plans (familial, amical)

-       les ressources personnelles de résistance avec la conservation de l’espoir et la capacité de donner un sens à sa vie (soulignons l’importance de l’élaboration psychique par la parole face aux situations de non-sens caractéristiques du harcèlement, afin de leur redonner sens)

-       .l’ouverture à d’autres expériences (qui peuvent être par exemple, la découverte pour un individu traumatisé de nouveaux aspects de lui-même, la rencontre avec une personne ou encore l’ouverture à l’environnement qui l’entoure).

 

Il est désormais acquis que le ressenti subjectif d’un événement est le meilleur indicateur prédictif de présence ou d’absence d’une pathologie traumatique, par rapport à la sévérité objective de la situation. Ainsi, certaines personnes peuvent, face à la perception subjective de l’événement, développer des ressources positives et des capacités d’adaptation étonnantes.

Clara Duchet souligne que « la résilience n’est pas synonyme d’invulnérabilité, mais signifie qu’une personne ayant traversé une expérience potentiellement traumatique doit conjuguer avec subtilité les conséquences négatives de ce qu’elle a subi avec ses capacités à les surmonter, voire à les utiliser pour poursuivre une vie heureuse »[135].

 

Nous avons utilisé un auto-questionnaire : le Connor-Davidson Resilience Scale (CD-RISC)[136] composé de 25 items évaluant le mode d’adaptation de la personne aux situations difficiles. D’autres aspects sont également évalués tels le soutien social, le coping, les croyances. Cet auto-questionnaire est présenté en annexe en langue anglaise (validée) ainsi que sa traduction française[137].

Dans le cadre de l’étude de notre cas concret, nous avons retenu le seuil correspondant aux patients atteints d’ESPT. Les résultats indiquent, pour cet exemple, un score de résilience élevé ( 60 alors que le seuil est fixé de 48 à 53).

Au-delà de la simple détermination de facteurs de protection, l’étude de la résilience pourrait ouvrir des perspectives de recherches centrées sur les mécanismes susceptibles de favoriser la résilience chez des personnes confrontées à des situations de harcèlement moral au travail avérées.

 

 

3.6. Rôle du contexte professionnel

 

 

 

On ne peut se contenter d’analyser le processus de construction du harcèlement moral en recensant des techniques de harcèlement et en identifiant les signes cliniques présentés par les victimes.

La recherche de caractéristiques liées à l’entreprise ainsi qu'au parcours professionnel du salarié qui sont favorables au développement du harcèlement moral se justifie pour deux raisons :

- d’une part, en termes de facteurs de risque pouvant aider à la prévention

               - d’autre part, en tant qu’aide au diagnostic de harcèlement moral : en effet, des caractéristiques spécifiques à l’entreprise identifiées comme favorisant le harcèlement moral constituent, si on les confronte au repérage des techniques de harcèlement et au tableau clinique présenté par la victime, un faisceau de présomptions.

 

En France, plusieurs études sur le harcèlement moral ont ainsi intégré des questionnaires concernant le profil des entreprises et les caractéristiques de l’emploi occupé.[138]

Il est intéressant de constater de nombreuses corrélations entre la situation professionnelle de Pierre et les résultats des travaux de recherche ayant intégré cette dimension ( le secteur d’activité: recherche, informatique ; l’ancienneté dans l’entreprise : de 5 à 10 ans, le type de contrat : CDI ou fonctionnaire ; les modifications dans l’organisation du travail : changement de responsable ; l’absence de tâches bien définies sont autant de caractéristiques fréquemment retrouvées dans les situations de harcèlement).

 

Indépendamment de ces critères facilement identifiables, certains chercheurs ont tenté d’expliquer le développement des situations de souffrance au travail et notamment du harcèlement moral par une analyse approfondie de l’évolution du monde du travail.

Ainsi, Philippe Davezies[139] constate qu’il existe aujourd’hui un grand trouble sur la définition du travail (le contrôle des activités évoluant vers des modalités de plus en plus éloignées des réalités de travail), que les discours à ce sujet sont bien souvent paradoxaux et que ce caractère paradoxal est l’expression de contradictions entre normes du marché et règles du métier.

Il ajoute que ce qui confère un caractère traumatique à nombre de situations, c’est l’incapacité de la victime à lui donner un sens. Or, cette histoire trouve systématiquement comme point de départ un différend lié aux contradictions et conflits de logique traversant l’entreprise quant à la façon de traiter les objets du travail.

Dans un second temps, l’absence d’issue se traduit par une dégradation des relations dans laquelle la haine peut prendre une place croissante et réaliser un tableau qui légitime le diagnostic de harcèlement moral

Ainsi, une interprétation du harcèlement moral strictement focalisée sur une relation interpersonnelle et n’intégrant pas les enjeux réels autour desquels se jouent ces drames rend la situation dénuée de tout sens, entravant la possibilité, pour la victime, de penser la situation et par là-même de trouver une issue.

 

 

 

3-7. Conclusion

 

 

 

Les techniques de harcèlement sont bien individualisées dans cette observation. La phase du « tenir » durant la seconde partie du processus (1996-2000) peut s’expliquer par le contexte familial ( père de famille de 6 enfants).

Pierre a tenté de résister, il a désespérément essayé de prouver qu’il pouvait obtenir de bons résultats, même dans une fonction à laquelle il n’était ni formé ni préparé.

 Le phénomène de harcèlement perdurant, les troubles psychiques se sont progressivement mis en place : crises d’angoisse, cauchemars, atteintes cognitives, perte des repères identitaires.

Ne pouvant se retourner vers son supérieur hiérarchique, ce dernier étant impliqué dans le processus de harcèlement, il a alerté le médecin du travail sur la souffrance générée par les agissements dirigés à son encontre, sans qu’aucune esquisse de solution ne soit apportée par ce dernier, et ce malgré que Pierre eût longuement fait part au médecin de ses difficultés, de sa "mise au placard", de sa dépression et des traitements qui en découlaient.

Concernant les bulletins de notation, le paradoxe est également présent : après 7 années durant lesquelles les notations ont été très élogieuses, les bulletins qui ont suivi le changement de supérieur hiérarchique ont très progressivement suggéré des difficultés relationnelles sans les définir précisément ni chercher à y remédier, tout en continuant à louer des capacités intellectuelles hors du commun (ingénieur d’une intelligence très vive, un des rares experts dans son domaine...Jamais Pierre n’a reçu de réponse à ses demandes d’explications.

 Une des questions sans réponse de Pierre est également de savoir pourquoi on a muté un expert scientifique reconnu, dirigeant une équipe dont les résultats étaient loués et au sein de la quelle régnait une bonne ambiance, dans un service commercial, domaine pour lequel il n’avait pas été formé ? Et pourquoi y avoir été muté en même temps que son supérieur qui ne semblait pas l’apprécier et sous les ordres duquel il s’est à nouveau retrouvé?

Dans ce service, les ordres et comportements de nature tout à fait aléatoire de son supérieur hiérarchique ont empêché toute maîtrise intellectuelle. L’utilisation systématique d’injonctions paradoxales a altéré le rapport de Pierre au réel, entraînant une atteinte identitaire. Isolé, sans recours possible auprès de l’institution qui l’emploie, le travail de sape lui ayant fait perdre ses repères après que toutes les tentatives de défense ou d’adaptation qu’il avait mises en place aient échoué, il a vu dans une dénonciation des pratiques frauduleuses une ultime tentative de faire comprendre à ses supérieurs que ceux qui s’étaient livrés à des malversations étaient également ceux qui l’empêchaient de travailler ».

Cette dénonciation[140] a généré un renforcement des mécanismes de harcèlement et une mise à l’écart totale du collectif de travail. Les nouvelles fonctions commerciales de Pierre l’avaient en effet isolé de ses collègues qui n’ont pas repéré les souffrances qu’il endurait quotidiennement ; sa plainte a donc été perçue comme incompréhensible et ce d’autant plus qu’elle mettait leur institution, et par là-même leur travail, en jeu.

Pierre s’est alors littéralement effondré, présentant un tableau clinique caractéristique d’ESPT; la peur ne le quitte plus, il est sujet à des insomnies majeures avec cauchemars intrusifs, la journée, il revoit en boucle les scènes d’humiliations. La restriction des affects, le sentiment d’avenir bouché sont également majeurs.

Il relate ainsi ce qu’il ressent :

 

« L’ensemble de ce qui s’est passé entraîne une destruction intérieure qui ne permet plus d’envisager l’avenir. La perte de confiance en soi et en la vie est immense, très handicapante. Il faut se motiver pour continuer à vivre. Peut-il y avoir une vie heureuse après cela ? »

Tout en n’ayant pu enquêter sur le lieu de travail, nous pensons que si un sujet a pu exercer les agissements hostiles décrits dans ce chapitre envers Pierre, l’institution, son organisation, ses méthodes de management ont joué un rôle déterminant tant pour avoir laissé le processus de harcèlement se développer que par son incapacité à résoudre le problème.

Pierre est actuellement aidé par un avocat de façon à ce que sa mutation soit acceptée et se déroule dans de bonnes conditions. Il envisage de suivre une psychothérapie.

Il nous a semblé intéressant d’étudier ce cas de harcèlement tendant à prouver qu’une personne reconnue comme très compétente dans son domaine, sans difficultés aucune durant 10 années de carrière, peut d’une part se retrouver confrontée à une situation de harcèlement et d’autre part développer un ESPT alors qu’elle ne présente pas de facteurs de risques prédisposants.

Cette analyse semble corroborer l’avis des spécialistes interrogés : il semblerait que les ESPT (ou névroses traumatiques) soient retrouvés de façon systématique quand la situation de harcèlement est dépassée et perçue comme sans issue, et ce quelques soient les caractéristiques de la personne visée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE 4.

Perspectives de recherche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au terme de ce travail, il semblerait que l’apparition d’une symptomatologie analogue à celle d’un ESPT soit quasiment inéluctable dans les cas de harcèlement moral évolués au cours desquels la personne, pour de multiples raisons, prend conscience du fait que sa situation est sans issue.

 

Plusieurs thèmes mériteraient d’être étudiés de façon plus approfondie :

 

-       le rôle de certains facteurs de risque de développement d’un ESPT sévère, spécifiques aux situations de harcèlement moral au travail : certains spécialistes suggèrent ainsi qu’une personne ayant des priorités de justice, particulièrement honnête et scrupuleuse décompensera de façon plus sévère qu’une autre ne possédant pas ces caractéristiques alors même qu’elle serait soumise aux mêmes techniques de harcèlement.

-       les critères diagnostiques de l’ESPT du DSM-IV semblent correspondre aux symptômes décrits par les victimes de harcèlement. Pour autant, existe-t-il d’autres symptômes pathognomoniques de ces situations qu’il conviendrait de rechercher ?

-       quel est le devenir, en termes de santé, des patients présentant les signes cliniques caractéristiques d’un ESPT lié à un harcèlement ? L’évolution et les chances de guérison sont-elles les mêmes qu’en cas d’ESPT suite à un événement unique ?

 

De plus, les futures recherches devraient concentrer leurs efforts sur la perception de la victime, à la fois du harcèlement et de ses conséquences, puisque ces facteurs peuvent jouer un rôle important dans l’explication des différences individuelles en termes de gravité des symptômes d’ESPT.

 

Enfin, il conviendrait de tenir compte du fait que l’apparition d’un ESPT peut faire suite à d’autres formes de souffrance au travail (maltraitance manageriale, stress, conflit ...) Cette question a d’autant plus d’importance que le diagnostic de harcèlement est aujourd’hui facilement posé du fait de sa médiatisation alors qu’il est dans la réalité difficile à établir, nécessitant une investigation longue et complexe.

 

Nous savons que certains facteurs de risque comme l’existence de traumas antérieurs peuvent s’exprimer chez certaines personnes dans des situations courantes telles qu’un conflit au travail. Ainsi, il faudra se garder de retenir la présence d’un ESPT comme preuve d’une situation de harcèlement moral.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, l’expression « harcèlement moral » possède de nombreuses significations différentes.

Le harcèlement, dans le sens où l’entendait Marie-France Hirigoyen dans son premier ouvrage découlait d’un processus pervers, voire de la mise en œuvre de celui-ci par un pervers. Le mobbing, précédemment décrit par H. Leymann renvoyait plus à la notion d’exclusion d’un individu par le groupe. Le harcèlement stratégique et institutionnel sont venus s’ajouter à cette typologie. Ainsi, le harcèlement moral est devenu le terme générique de ces réalités différentes.

Si l’on cherche à découvrir ce que ces types de persécutions ont en commun, on retrouve toujours des effets néfastes sur les victimes et une manière de procéder finalement assez stéréotypée, pour peu que l’on sache la mettre à jour.

 

Cette étude nous a permis de mesurer la complexité de la notion de harcèlement dont la mise en place est dépendante de nombreux facteurs. Le diagnostic d’une telle situation s’avère difficile à établir, nécessitant une investigation longue et complexe.

 

Elle confirme que de nombreuses victimes de harcèlement moral au travail avéré peuvent souffrir d’une symptomatologie analogue à celle de l’ESPT, bien qu’elles ne remplissent pas nécessairement les critères stricts d’ESPT mis en avant dans le DSM-IV (absence du critère A1).

Il nous a semblé, parmi les spécialistes interrogés, que ceux d’entre eux qui constataient le taux le plus élevé d’ESPT chez les victimes de harcèlement étaient ceux qui étaient amenés, de part leur pratique professionnelle, à rencontrer des cas de harcèlement évolués (à des fins d’expertise par exemple). L’apparition d’un ESPT intervient parfois des années après la mise en place du processus de harcèlement, ce qui peut expliquer les fortes disparités constatées sur la question du pourcentage de victimes présentant une telle symptomatologie, tant au niveau des enquêtes qu’au niveau des constations des spécialistes interrogés.

Il semble toutefois que son apparition ne soit pas uniquement liée à la durée du processus, mais plutôt à la perception subjective des évènements et à la sensation d’être dans une situation qui n’a plus d’issue.

L’analyse d’un cas concret est venue confirmer la plupart des avis des spécialistes interrogés ; elle met en avant une caractéristique essentielle des ESPT liés au harcèlement moral au travail qui est l’aspect de « captivité » : les processus du harcèlement étant insidieux, il s’avère que, dans la plupart des cas, les victimes ne prennent réellement conscience de la gravité de la situation que lorsque les faits sont très avancés.

Le sujet vit alors le traumatisme degré par degré tout en étant incapable d’échapper à la situation. Malgré ce que certains ont pu avancer, le harcèlement est une situation dont il est généralement extrêmement difficile de se sortir, et ce pour de nombreuses raisons : outre la vulnérabilité financière, la conjoncture de l’emploi défavorable et l’absence de références du précédent employeur, le sujet s’avère dans la plupart des cas incapable de mener à bien une recherche d’emploi en raison du retentissement psychique qu’aura eu le harcèlement.

 

Des recherches ultérieures devraient permettre de mieux préciser les circonstances d’apparition et l’évolution de cette catégorie de symptomatologie analogue à celle de l’ESPT.

 

Enfin, il convient d’insister sur l’intérêt d’une détection précoce et de la résolution rapide des problèmes de harcèlement, afin de prévenir l’apparition de la symptomatologie que nous venons d’évoquer.



[1] Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral, Editions Syros, Paris, 1998.

[2] Marie-France Hirigoyen, Malaise dans le travail, harcèlement moral, démêler le vrai du faux. Editions Syros, Paris, 2001, pp. 135-136.

[3] Peter-Paul Heinemann, Mobbing – De la violence de groupe chez les enfants, 1972

[4] Caroll M. Brodsky, The Harassed worker, Lexington, 1976.

[5] Leymann H. Mobbing. La persécution au travail, Editions du Seuil, Paris, 1996.p 27

[6] Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral, Syros, Paris, 1998, p. 18.

[7] Michèle Drida, Le harcèlement moral ; articulations avec la psychodynamique du travail, communication à la réunion de la Société de Médecine du 22 octobre 1999.

[8] En ce qui concerne la durée, Heinz Leymann estime que la victime doit subir au moins un agissement, au moins une fois par semaine, et ce pendant au moins six mois. En France, cette notion de durée est moins définie, Marie-France Hirigoyen estimant qu’une personne n’a pas toujours besoin de six mois pour être totalement détruite.

[9] Pour Laurence Huchet (centre ESTA), dans le cas où le harcèlement moral ressenti par un salarié est le symptôme grave d’un dysfonctionnement de l’organisation du travail générateur de stress, la situation est en partie inconsciente pour les protagonistes ( Colloque Harcèlement et Citoyenneté au travail, Paris, 30 novembre 2000).De même, Marie-France Hirigoyen parle de malveillance inconsciente chez les pervers narcissiques (Malaise dans le travail, Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Syros, Paris, 2001, p 348).

[10] Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, Avis portant sur le «  harcèlement moral dans les relations de travail », adopté par l’assemblée plénière du 29 juin 2000.

[11] Extrait du rapport du Conseil Economique et Social sur le harcèlement moral au travail, Editions des journaux officiels, Paris, 2001.

[12] S. Rondey, Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, mémoire pour le DES en médecine du travail, Paris V, 2002.

[13] Voir le tableau de Leymann et celui d’Hirigoyen en annexe 2 et 3.

[14] Marie Peze, Techniques de harcèlement, voir classification en annexe 4 et 5

[15] C. Dejours, Souffrance en France, Editions du Seuil, Paris 1998, p. 26.

[16] Colloque « Le harcèlement moral au travail : un traumatisme grave », Quimper, 6 mars 2002, intervention du Dr Dominique Castel

[17] C. Mancel, Y. Montoya, Violences et harcèlement en milieu professionnel, rapport de recherche DRTEFP- Université V. Ségalen, Bordeaux, 2002.

[18]B. Seiler-Van Daal,  Evaluation du harcèlement moral, thèse de Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Strasbourg, 2000.

[19] Association Mots pour Maux au Travail, 47 rue de la Course, 67 000 Strasbourg.

[20] voir définitions retenues en annexe 6

[21] F. Lorho, U . Hilp,  Rapport sur le harcèlement moral au travail, série affaires sociales, SOCI 108 FR, Editions du parlement européen, août 2001

[22] O. Neuberger, Mobbing,Übel mitspielen in Organisationen, Munich, 1999, cité par F. Lorho, U. Hilp, dans le Rapport sur le harcèlement moral au travail du Parlement européen, août 2001

[23] M..F. Hirigoyen, Le harcèlement moral, Editions Syros, Paris, 1998.

[24] Le Journal d’Alsace, Reportage sur la grève à l’Usine Daewoo, 24 juin 1999.

[25] Voir le texte de loi en annexes 7,8,9,10.

[26] Cette disposition est également applicable à la fonction publique.

[27] Le Larousse de 1980 le définit comme « l’action de soumettre à des attaques répétées, à des critiques ou moqueries incessantes. ».

[28] op. cit. p 307

[29] C. Dejours, Violence ou domination ? Travailler 1999 n° 3, pp. 11-29.

[30] Valérie Langenvin, Stress, les évolutions récentes, Santé et sécurité, octobre 2002, p. 10.

[31] Rapport sur la santé mentale au travail, INRS, 24 octobre 2002, p. 3

[32] Tribunal de Grande Instance de Paris, 25 octobre 2002, jugement n° 0206301288

[33] Avis du CES, précité, pp 60-61.

[34] B.Lapérou, La notion de harcèlement moral dans les relations de travail (2), RJS 6/00, Editions Francis Lefebvre, p 433.

[35] Le harcèlement moral devant la juridiction prud’homale, Cahiers prud’homaux, Chronique du cahier n° 3, 2003.

[36] Conseil des prud’hommes de Longjumeau, section activités diverses, 21 mai 2001, Mme R.G./Ass Jean Lachenaud

[37] S. Perrette, Harcèlement moral au travail, quel devenir pour les patients, mémoire pour le DES en médecine du travail, Faculté de médecine de Cochin, 2002.

[38] C.Daburon, Loi relative au harcèlement moral, chronique RJS 8-9/02, p 719.

[39] M. Hautefort, Harcèlement moral : les prud’hommes sur la réserve, Les Echos, 19 novembre 2002.

[40] Dans cette catégorie, nous avons classé les agissements particulièrement dépendants du contexte et qui, pris isolément, n’apportent aucune indication relative à la présence ou non d’une situation de harcèlement.

[41] A noter que l’inspecteur du travail n’est pas tenu d’effectuer une visite sur le site. S’il se rend dans l’entreprise suite à un signalement de harcèlement moral, il s’agira d’une démarche nouvelle, s’apparentant à une véritable investigation et nécessitant une bonne connaissance du harcèlement moral.

[42] Secrétariat d’Etat à l’Economie Suisse, Mobbing et autres tensions psychosociales sur le lieu de travail en Suisse, Conditions de travail n° 3, mai 2003, p.30.

[43] Voir la retranscription de l’entretien de Marie Pezé dans le chapitre II de ce mémoire.

[44] Par enquête, nous entendons les investigations qui peuvent être ouvertes à la suite d’une plainte pénale, mais également au cours d’une action prud’homale. En effet, le conseil des prud’hommes peut ordonner une enquête qui l’amènera à procéder à l’audition de salariés de l’entreprise ; si ces enquêtes ne sont pas courantes, elles n’ont pas pour autant un caractère exceptionnel.

[45] Op. cit. P. 25

[46] Leymann Inventory of Psychological Terrorization, 1996, (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée).

[47] H. Selye, Le stress de la vie, Gallimard, Paris 1956

[48] J.M. Thurin, Stress, pathologies et immunité, Flammarion, Paris 2003, p. 20

[49] J.M. Thurin, op. cit. P. 18

[50] Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail, http://osha.eu.int/ew2002

[51] N. Maggi-Germain, Le stress au travail, Etudes et doctrines, RJS mars 2003, Editions Lefebvre.

[52] Ph. Davezies, Souffrance et organisation du travail, Gazette sociale n° 40, p. 6

[53] Ph. Davezies, Stress, pathologies et immunité ; Stress au travail : actualités, Flammarion, Paris 2003, p. 225

[54] op.cit p. 6

[55]Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, op. cit p. 27

[56] Mobbing, op. cit p. 75-76

[57] M.F. Hirigoyen, Le salarié harcelé : de l’exclusion et de la rupture du contrat de travail, Liaisons sociales (quotidien) 22 février 2000

[58] M.F. Hirigoyen, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, op. cit p. 32

[59] M.F. Hirigoyen,Le harcèlement moral au travail, conférence donnée à Quimper le 13 octobre 2001 dans le cadre de l’association Mots pour Maux au Travail

[60] K Schneider cité par C. Passard, Organisations pathologiques de la personnalité, cours de psychiatrie des DCEM3, Questions d’internat n°247

[61] Ph. Davezies cité par J. Bazerque, Harcèlement moral et inaptitude, Thèse pour le Doctorat en médecine, Lille II, avril 2001

[62]  Leymann Inventory of Psychological Terrorization, 1996, (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée)

 

[63] M. Declercq, F. Lebigot, Les traumatismes psychiques, éditions Masson, Paris 2001, p.23-53

[64] C. Duchet, Traumatisme, question d’urgences, Thèse de Doctorat en psychopathologie et psychologie clinique, Paris V, 2001, p. 32- 40

[65] Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, American Psychiatric Association.

[66] Classification Internationale des maladies - 10° édition, Organisation Mondiale de la Santé.

[67] A.Waddington, ESPT, le syndrome aux différents visages, L’Encéphale, vol XXIX, janv-fév 2003

[68] M.J. Scott, S.G. Stradling, PTSD without the trauma, Bristish Journal of Clinic Psychology, 1994, n° 33

[69] J.M. Thurin, N. Baumann, Stress, pathologies et immunité, Flammarion, Paris 2003

[70] N.B. : chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.

[71] N.B. : chez les jeunes enfants, peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.

[72] N.B. : chez les jeunes enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.

[73] N.B. : chez les jeunes enfants, des reconstitutions spécifiques du traumatisme peuvent survenir.

[74] Par ex, incapacité à éprouver des sentiments tendres.

[75] Par ex, pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie.

[76] L. Jehel, Cours Diplôme Universitaire « Stress Trauma et pathologies »,Paris, 14 mars 2003

[77] Présenté en annexe p. 37

[78] Traduction par Brunet et coll, 1998

[79] Traduction par Brunet et coll, 1995

[80] Présenté en annexe p. 38-39

[81] Diplôme Universitaire “Stress, Trauma et Pathologies”, Situations cliniques et leur abord thérapeutique, Cours du Dr Lopez, 14 mars 2003

[82] J.M. Ravin, C.K. Boal, PTSD in the wok setting: psychic injury, medical diagnosis, treatment and litigation, American Journal of Forensic Psychiatry, vol 10 n°2, 1989/5, pp 21-22

[83] M.J. Scott, M.G. Stradling, PTSD without the trauma, British Journal of Clinical Psychology, 1994, n° 33, pp 71-74

[84] Le terme de PTSD Complexe est préféré par d’autres auteurs, notamment au Royaume Uni.

[85] D. Groeblinghoff, M.Becker, A case study of mobbing and the clinical treatment of mobbing victims, European Journal of Work and Organizational Psychology, 1995, vol 5(2), pp 277-294.

[86] [86] J.M. Ravin, C.K. Boal, PTSD in the wok setting: psychic injury, medical diagnosis, treatment and litigation, American Journal of Forensic Psychiatry, vol 10 n°2, 1989/5, p 16.

 

[87] H.Leyman, Mobbing. La persécution au travail, Editions du Seuil, Paris 1996, p 140.

[88] M.F.Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Editions Syros, Paris,1998 p 199.

 

[89] Réalisée par la CAWB (Campaign Against Bullying at Work), organisation américaine sans but lucratif

[90] Source : A. Soares, Quand le travail deviens indécent, Université du Québec, Montréal, 2002

[91] Présenté en annexe p.37

[92] Echelle des symptômes post-traumatiques mesurant les symptômes d’intrusion cognitive

[93]Negativ Act Questionnaire (liste des actes constitutifs de mobbing avec critères de fréquence et de durée), établi par Enarsein

[94] Source : S. Enarsein, E. Mikkelsen, Basic assumptions and symptoms of post-traumatic stress among victims of bullying at work, European Journal of Work and Organizational Psychology, mars 2002, vol 11 n°1, p 94

[95] Echelle de diagnostic post-traumatique construite par Foa en 1995 évaluant tous les critères de diagnostic du DSM-IV et précisant la gravité des symptômes.

[96] Incluant une étude réalisée dans le cadre d’un mémoire de psychologie clinique sur le lien entre harcèlement moral au travail et ESPT : A. De Troz, Le harcèlement moral au travail et ses effets à long terme sur le bien-être des travailleurs qui y ont été exposés, UCL, Louvain (Belgique), 2002

[97] Questionnaire construit par Sidor et al. (1994-1996), sur la base des critères diagnostiques du DSM IV. La validation de ce questionnaire n’étant pas terminée, il n’a pas été utilisé comme instrument de diagnostic. Le nombre de cas supposés d’ESPT dans cet échantillon est donc présenté à titre indicatif.

[98] Docteur en psychologie, psychanalyste

[99] Voir recensement des techniques en annexe 4 et 5

[100] La grille d’analyse comprend au total 300 items explorant le parcours professionnel du salarié, les évènements importants de sa vie, la chronologie de la dégradation de la situation de travail, le repérage des techniques de harcèlement et l’identification d’une névrose traumatique

Les items en rapport avec la santé sont présentés en annexe 18 et 19.

[101] résultats extrait du mémoire pour le diplôme d’études spécialisées en médecine du travail de S. Rondey : Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, Paris V, 2001-2002.

[102] Voir recensement des techniques en annexes 4 et 5

[103] Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés

[104] DSM IV, Critère A : le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

1)     le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des évènements graves durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.

2)     La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.

 

[105] L. Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Editions Odile Jacob, Paris, 1999

[106] Voir annales médico-psychologiques n° 160, pp. 506-511

[107] Voir CIM-10, description clinique de l’ESPT en annexes p.20

[108] Dr S. Rondet, Etude rétrospective de patients adressés à la consultation de pathologie professionnelle de Garches pour harcèlement moral, Université René Descartes Paris V, 2002

Dr S Perette, Harcèlement moral au travail, quel devenir pour les patients ?, Université René Descartes Paris V, 2002

Citons également un travail de recherche en cours dans le cadre d’un DESS de psychologie sur les conséquences de la mise en inaptitude en cas de harcèlement moral au travail

[109] Voir liste détaillée des techniques en annexe.

[110] Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés

[111] voir étude de Maître Coroller p 24. A noter que Maître Coroller-Becquet précise qu’aucun des agissements cités, s’il est envisagé indépendamment du contexte de travail, ne pourra apporter la preuve d’un harcèlement : la présence d’un agissement, même répété, n’a en soi aucune signification.

[112] La névrose traumatique de la nosographie classique européenne coïncide avec les cas d’ESPT qui sont devenus organisés, inscrits dans la durée (L. Crocq, Les victimes psychiques, Victimologie, nov 1994 (1)

[113] Maris-France Hirigoyen, Malaise dans le travail. Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Syros, Paris, 2001, p. 179.

[114] Association Française de Psychiatrie et de Psychologies Sociales

[115] Les situations concrètes se rapportant à chaque type d’agissement sont présentées en annexes pp23-34

[116] H. Leymann 1996, op.cit. p. 74. Voir tableau des quatre stades en annexe p 35

[117] Association Mots pour Maux au travail, 47 rue de la Course 67 000 Strasbourg http://membres.lycos.fr

[118] Construit parEndler et Parker (1990), traduction française par Rolland (1994). Présenté en annexe pp 53-54

[119] L. JEHEL,Victimes et soignants face au traumatisme psychique, étude de facteurs péritraumatiques et validation d’instruments de mesure, thèse de doctorat, Paris VI 2002, p. 41

[120] Nield K., Mobbing and well-being : economic and personnel development implications, European Journal of Work and Organizational Psychology, 1996, vol 5(2), pp.239-249

[121] Voir annexe

[122] E. Semereab, Violences au travail, harcèlement moral et sexuel : évolution des stratégies d’adaptation, Mémoire de recherche en psychologie sociale et des organisations, Université Catholique de Louvain, Belgique 2002. Le travail d’investigation a été effectué sur la base d’entretiens semi-directifs sur un panel de 10 personnes identifiées comme victimes de harcèlement moral.

[123] M.F. Hirigoyen 2001, op cit., pp.195-223

[124] J. et P. Chiaroni, Données épidémiologiques des situations de mobbing au travail d’après une enquête effectuée auprès des médecins du travail en région PACA, Arch. Mal. Prof., 2001, 62, n° 2, pp. 96-107

[125] M. Pezé, M.C. Soula, Harcèlement au travail : l’interrompre en urgence, La revue du praticien, Tome 15, n° 537, 7 mai 2002

[126] questionnaires présentés en annexes 38 à48

[127] B.L. Green (1996), adaptation française, L. Jehel, E. Ménager et col (2000)

[128] D. Goldberg et al .(1988), traduction française Pariente et coll (1989)

[129]Maslach (1982), traduction française Girault- Lidvan (1989)

[130] Beck (1997), traduction française, ECPA (1998)

[131] Il s’agit d’une adaptation du PTSD I (PTSD interview) construit par Watson et coll. (1991), traduit en français par Brunet et coll, (1995)et adapté en auto-questionnaire par Jehel (QSPT 1999).

[132] S. Perrette, Harcèlement moral : quel devenir pour les patients ?,mémoire pour le DES en médecine du travail, Université Paris V 2002

[133] B. Cyrulnic, Un merveilleux malheur,Editions Odile Jacob, Paris 1999  p.10

[134] C. Duchet, Traumatisme, question d’urgence : étude des troubles psycho- traumatiques et de la résilience chez des victimes de l’attentat du RER Port Royal,  de psychopathologie et psychologie clinique, Paris V 2001

[135] op cit. p. 400

[136] construit par K.M. Conner et col.

[137]Connor et Davidson,; Résilience Scale, Depression and Anxiety, 2003;"sous presse"

[138] N. Josso, Le harcèlement moral au travail, Enquête Ethic 2000, thèse pour le Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Rennes 2001

B. Seiler Van Daal, Evaluation du harcèlement moral, thèse pour le Doctorat en médecine, Faculté de médecine de Strasbourg 2000

J. Chiaroni, P. Chiaroni, Données épidémiologiques des situations de mobbing au travail d’après une enquête effectuée auprès des médecins du travail en région PACA, Masson, Paris 2001

C. de Gasparo, M. Pezé, Résultats de l’étude quantitative d’une cohorte de 100 patients harcelés : approche sociologique, Consultation « souffrance et travail », CASH de Nanterre, 2002

[139] Ph. Devezies Les impasses du harcèlement moral, projet de publication 2003

[140] Cette forme de harcèlement, le « whistleblowing » touchant les employés révélant des pratiques frauduleuses au sein de leur institution  a suscité de nombreux travaux de recherche. Des dispositions législatives visant à protéger les « whistleblowers » ont été adoptées dans des pays comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, la Hollande ou encore la Nouvele-Zélande. Une étude australienne, « Whistleblowing : a broad definition and some issues for Australia », a établi que 71 % d’entre eux on souffert de représailles officielles et que 94 % ont subi des représailles inofficielles.