Colloque de Royaumont

"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1


LA CONSULTATION MEDICALE : REPERES LINGUISTIQUES



Monique THURIN


Le but que s'est fixé l'ECOLE LACANIENNE DE PSYCHOSOMATIQUE depuis sa création est de donner un outil susceptible d'ouvrir les perspectives de soins.

Un groupe de médecins généralistes réunis autour de Jean Michel THURIN est à l'origine de ce travail. L'ECOLE regroupe maintenant philosophes, psychanalystes, médecins, psychologues qui ont dû aborder d'autres disciplines comme la physique ou la linguistique qui ne relevaient pas de leur compétences. Ce colloque est donc une suite logique et indispensable pour ouvrir et serrer au plus près notre objet. C'est pourquoi il est pluridisciplinaire et je remercie au nom de l'ECOLE tous les intervenants.

Jean Michel THURIN disait tout à l'heure "l'homme est un système dans un système."....Dans un système, je dirais où puisent les sciences , transformant en sous systèmes leur objet commun : l'homme. Il est évident que s'il a fallu reconnaitre autant de sciences pour un même objet c'est qu'il parait impossible de cerner un système unique dans sa forme, du fonctionnement humain. Pourtant quelques sciences, peut être toutes, ont pensé qu'il fallait regrouper toutes les autres sciences autour de leur propre discipline.

Notre travail à l'ECOLE s'appuie essentiellement sur la clinique, notre réflexion a souvent buté sur l'organisation langagière des patients.
Ceci est la base de mon travail.
A partir d'une consultation médicale chez un généraliste, je vais essayer de repérer comment s'organise le dialogue et ce que l'on peut entendre de la parole sans analyse du contenu. Je n'ai pas assisté à cette consultation , je ne sais rien de la patiente, j'ai seulement entendu cette consultation sur un magnétophone, que j'ai transcrite en essayant de noter tout ce que j'entendais. Ce travail très long est une méthode utilisée par les linguistes pour faire les analyses de discours de toutes sortes. P. AGUTTES ici présente est spécialiste de cette méthode et m'en a donné les bases.

Le rapport préliminaire qui se crée dans une consultation médicale est bien souvent un rapport hiérarchique. Je veux dire que l'échange est plutot directif, sous forme d'interrogatoire. La patiente se découvre au niveau de son identité, son nom, son âge, d'où elle vient, où elle habite etc..... Déjà, dans ce premier contact rituel, une problèmatique complexe peut se découvrir. Dans la consultation que j'ai utilisé comme instrument de travail la patiente agée de 25 ans n'a pas eu d'handicap scolaire, elle est secrétaire médicale de formation.

La première partie de l'interrogatoire n'est constituée que de questions fermées, n'offrant aucun choix de réponse, c'est à dire à la question : comment vous appelez vous ?, elle ne peut répondre que par un nom. Elle répond donc à toutes ces questions très précisément.

Je ne vais pas relater ici tout l'entretien, mais résumer ce que dit la patiente : sa situation est précaire, elle est au chomage, elle s'est inscrite à un stage qui n'a pas pu se réaliser, elle est en position d'échec. L'entretien se transforme lorsque le médecin lui demande : "qu'est ce que vous faites comme métier ?"
Voici quelques signes extérieurs au contenu de son discours : Elle commence à retarder la réponse par une pause, puis reprend contact, mais avec un phatème, c'est à dire ce qui nous sert sous différentes formes et selon chacun à maintenir le contact sans rien dire ; pour elle il s'agit d'un heu.....puis elle rit, ce n'est pas un éclat de rire, plûtot un petit rire nerveux "comme on dit", le ton de la voix a changé, le débit de la parole s'accélère et la construction de la phrase se détériore " pour l'instant, je suis au chômage mais au départ je suis, j'étais..........etc... Au cours de cette deuxième partie le médecin ouvre son interrogatoire par des questions catégorielles, c'est-à-dire qui donne le choix d'une réponse dans un domaine précis par exemple "Et qu'est ce que vous cherchez ?...Vous cherchez un travail ? La patiente parle plus et on peut remarquer de plus en plus de troubles au niveau de la parole, beaucoup de phatèmes, de pauses et un tremblement dans la voix que je nommerais "émotion".

Ce que j'appellerais la troisième partie c'est celle où nous passons aux questions ouvertes du médecin " Bon ; racontez moi vos malheurs à vous ?" Cet enchaînement peut paraître curieux, de qui parlions nous donc avant ? Cependant le "BON" allongé du médecin au début de sa formulation laisse comprendre à la patiente ( et elle le comprend ) que cette partie ne relève pas de son domaine et que " malheurs à vous" c'est en quelques sorte une régulation dans ce dialogue précis " je suis médecin , vous êtes malade, parlez moi de ça. A cette question ouverte la patiente répond par une question : Par quoi je commence ? puis elle rit.

Il faut relever ici une infraction : on ne répond pas, en principe, à une question par une autre question sauf lorsque l'on ne sait pas quoi dire, que l'on est embarrassé et quelques professionnels de cette infraction au discours pourraient nous en dire plus long. La réponse du médecin est elle aussi embarrassée, la question de sa patiente romp quelque chose dans la logique de la consultation.

L'exposé de ses maux par la malade est très interessant. Elle emploie un pronom indéfini là où elle devrait rapporter son récit à elle. Par exemple, elle dit "au départ il y a une circulation du sang" ou bien ........" un petit peu de constipation " etc.......... Elle devrait dire : " J'ai une mauvaise circulation du sang et je suis un petit peu constipée."
Une autre remarque : cette patiente après avoir nommé son symptôme, ce qui est beaucoup dire, fait un catalogue causal étonnant. On a quitté ici l'interrogatoire qui reprendra ensuite jusque la fin de l'entretien .


Ce petit résumé donnant quelques points de repères dans le langage est le début d'un travail que s'est fixé l'ECOLE LACANIENNE DE PSYCHOSOMATIQUE .

Ce travail vise plusieurs buts :

- le premier est d'apporter au médecin des précisions sur tout ce qu'un entretien médical contient qui peut constituer un outil.
Cette approche peut l'aider à sortir d'un échange fermé, tel qu'il peut se produire si l'on relie automatiquement un symptome à un médicament, et à établir un véritable dialogue thérapeutique.
Il s'agit de montrer tout ce que le patient apporte dans la consultation médicale, par sa parole, et qui peut être utilisé par le médecin, pour repérer la vraie demande du malade, et parler son histoire.
- le deuxième s'appuie sur le fait qu'une personne se transforme au cours de la relation médicale . Cette transformation s'inscrit dans son langage.
Il nous semblerait intéressant de faire une étude sur la transformation qui s'opère dans le langage lorsqu'un patient atteint de troubles psychosomatiques s'est engagé dans un travail sur lui même. Concrètement il s'agirait de faire une analyse linguistique des premiers entretiens et de faire une comparaison un mois après , 6 mois après etc....
- Le troisième est de repérer que le discours contient des éléments diagnostics . L'étude des mots clefs et des transformations linguistiques peut constituer une partie importante d'une nouvelle sémiologie qui associerait aux signaux organiques des signes linguistiques.

- Cette recherche permettra de donner au praticien des outils pour utiliser toutes les ressources thérapeutiques que contient le langage .

Cette démarche n'est pas vraiment nouvelle .
En effet, en 1890, FREUD* écrivait, ( mais sans avoir les moyens modernes et scientifiques de la linguistique ), pour expliquer aux médecins ce qu'etait le traitement psychique :
" Un tel moyen est avant tout le mot, et les mots sont bien l'outil essentiel du traitement psychique. Le profane trouvera sans doute difficilement concevable que des troubles morbides du corps ou de l'âme puissent être dissipés par la "simple" parole du médecin . Il pensera qu'on lui demande de croire à la magie. En quoi il n'aura pas tout à fait tort ; les mots de nos discours quotidiens ne sont rien d'autre que magie décolorée. Il sera cependant nécessaire d'emprunter un plus long détour, afin de faire comprendre comment la science procède pour restituer au mot au moins une partie de sa force magique d'antan".


* FREUD "Traitement psychique" in RESULTATS, IDEES, PROBLEMES. PUF


Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin