Colloque de Royaumont

"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1


SYNDROME DE DISREGULATION THERMIQUE


Pr Jean-Louis VILDE


W. PESCAROLO - Le professeur VILDE est professeur de pathologie infectieuse à l'hopital CLAUDE BERNARD.

Pr VILDE - Je suis très honoré d'avoir été invité dans votre assemblée; la pathologie infectieuse est évidemment très organiciste : une bactérie / une maladie ; et pourtant nous avons très souvent le sentiment que l'âme intervient dans certains états d'infections récidivantes : herpès , infections staphyllococciques et autres, et nous avons également le sentiment d'un certain nombre de manques , manque de temps, manque de compétence pour une prise en charge très complète de ces malades .
Ce n'est pas exactement d'infection proprement dite que je voudrais vous entretenir mais de malades qui sont atteints de fièvre prolongée, ce qui est aussi un mode de venue dans un service de pathologie infectieuse, extrêmement fréquent . Il est évident que dans tout ce lot de malades qui ont une fièvre prolongée et isolée, le plus souvent nous trouvons une infection organique : la tuberculose, un foyer infectieux, un cancer etc..... Je ne vais pas vous en énumérer les causes, elles sont nombreuses et ceci impose souvent un bilan très lourd .
Par ailleurs, il y a cinq à dix pour cent des cas où l'on ne trouve rien malgré les données anatomo-pathologiques . Il existe enfin un petit groupe de malades que nous avons remarqué, ayant un air de famille et pour lesquels nous nous demandons s'il ne s'agit pas plutôt d'une dysrégulation de la température centrale .
Ce sont un peu ces faits et réflexions préliminaires que je voudrais vous livrer de façon à recueillir également les réflexions des uns et des autres et savoir si de tels faits ont été observés par d'autres .
De quoi s'agit il exactement ? Ce sont 25 malades que nous avons regroupés ici, mais il y en a beaucoup plus qui ont été étudiés . Il s'agit de 25 cas adultes ; nous avons écarté tout ce qui etait enfants . Vous constaterez ici, la prédominance du sexe féminin : 20 femmes pour 5 hommes, adultes d'âge moyen, en pleine activité . L'âge moyen est de 35 ans avec des extrêmes de 20 et 70 ans ; une seule personne de 7O ans, ensuite, des âges de 45 ou 50 ans . Donc une moyenne encore plus jeune si l'on exclue ce seul malade d'âge un peu plus avancé.
Ce qui définit ce groupe , c'est tout d'abord l'existence d'un état sub-fébrile qui durait depuis au moins un mois et qui était constamment associé avec une asthénie . La température alléguée était inférieure à 38 °, donc assez différente déjà des grandes causes organiques de fièvres prolongées qui se traduisent toujours par une fièvre nettement supérieure à 38 ° . Aucune cause organique décelable chez ces malades ; bien entendu leur fièvre avait donné lieu à de très nombreux examens sur lesquels je n'insiste pas . Les examens biologiques standards étaient normaux , la VS, l'hémogramme, l'examen clinique normal. Certes il n'est pas exceptionnel , même assez fréquent de trouver çà ou là un petit foyer infectieux mais qui n'explique pas, à notre sens, l'état fébrile . Par ailleurs , dans ces cas, le traitement est inefficace
Autre élément : l'ancienneté des troubles , supérieure à un an chez 2O malades mais supérieure à 5 ans chez les 5 autres .
Nous avons cherché à analyser d'un peu plus près les circonstances d'apparition de cet état pour lequel l'asthénie est un des symptômes dominants . Le malade ralentit considérablement ses activités sociales et professionnelles, par des arrêts de travail.
En ce qui concerne le terrain et la profession, on voit que ce sont des gens parfaitement insérés, avec une très grosse activité professionnelle : cadres supérieurs, professions libérales (avocats, médecins, artistes) , directeurs d'entreprise à grosse responsabilité professionnelle dans 9 cas sur 25, cadres moyens 13 sur 25 et, dans 5 cas sur 25, des personnes ayant une activité paramédicale : infirmière, kinésithérapeute, ..... . Enfin, 3 personnes n'avaient pas de profession .
Les facteurs déclenchants apparents étaient dans 12 cas sur 25 une infection survenue 6 mois ou un an avant , infection saisonnière assez banale, une grippe, 2 ou 3 fois une infection un peu plus complexe comme une infection à cytomégalo-virus, mais qui avait guéri sans incident particulier ; à partir de cette infection , la fièvre se prolongeait mais sur un mode beaucoup moins élevé avec un état d'asthénie persistante .
Un autre mode de déclenchement nous paraît assez important . Un facteur gynécologique a pu être retrouvé comme élément déclenchant chez 14 des 20 femmes : stress, acte, ou grossesse interrompue . Dans deux autres cas, c'étaient des interventions chirurgicales plus banales et dans quatre cas nous n'avons pas retrouvé de facteur déclenchant .
Nous avons pu ainsi retrouver 14 fois la notion d'un "traumatisme" gynécologique , et parmi ceux-ci sept cas etaient liés à la maternité : interruption de grossesse, stérilité, mort néo-natale ou ligature des trompes ; je vous en donnerai quelques exemples . Sept malades étaient sous oestro-progestatifs.
Nous avons cherché à analyser avec nos amis physiologistes cet état fébrile, à le décomposer. Nous avons d'abord procédé à l'enregistrement au moyen d'une sonde rectale pendant une période de 24 heures. Chez ces malades au repos, hospitalisés cet enregistrement a été parfaitement supporté .
Ceci a permis un enregistrement continu sur un appareil qui a été mis au point par nos amis physiologistes avec l'aide d'un programme informatique : il y a un point qui est enregistré, toutes les minutes par exemple, et qui permet d'avoir une courbe extrêmement précise dans des conditions basales. Cette courbe brute est ensuite décomposée selon un modèle mathématique qui fait appel à la loi des séries de FOURIER : on sait que la température est un phénomène périodique, cyclique au cours de la journée et qu'il y a plusieurs sinusoïdes d'amplitude et de périodes différentes . Cette loi des sinusoïdes de FOURIER permet de décomposer les phénomènes cycliques en toute une série de sinusoïdes, de période et d'amplitude différentes dont la somme va finalement reproduire la courbe brute que l'on obtient par l'enregistrement de la température . Chaque harmonique a un rang 1, 2, 3, 4,.. et la période de chaque harmonique est la période de 24 h. divisée par le rang . Ainsi la première harmonique a une période de 24 h. qui est la plus importante, celle que l'on constate et que chacun connaît. Mais à côté de cela il y a l'harmonique de période 12 h. que vous voyez ici ( ceci est très schématique naturellement ). L'harmonique 3 a une période de 8 heures et on peut décomposer ainsi presque jusqu'à l'infini.
Nos mathématiciens se sont arrêtés au rang 8, mais on peut aller encore beaucoup plus loin avec des amplitudes qui seront régulièrement décroissantes, cela va de soi. Je le répète, la somme de toutes ces harmoniques va reproduire la courbe brute obtenue à partir de laquelle on fait cette décomposition en harmoniques.
Voilà les résultats que nous avons obtenus : tout d'abord la température moyenne, déterminée de façon extrêmement précise, varie très peu (36,9° + ou - O,05 ou 0,01.) et avec surtout une première harmonique qui croise l'axe de la température moyenne en principe à 0 heure et à 12 heures avec une variation assez faible de plus ou moins une heure par exemple . D'autre part, la décroissance d'amplitude des harmoniques suivantes se fait d'une façon harmonieuse . Chez ces 25 malades nous avons observé une température moyenne qui était peut-être un tout petit peu supérieure à la normale chez 10 des 25 malades mais la température restait toujours inférieure à 37.4° et était loin des grands accès fébriles des fièvres organiques. L'amplitude a été souvent un peu plus élevée que chez les sujets normaux mais ce qui nous a paru le plus intéressant et le plus significatif est une sorte de décalage . En effet chez les sujets normaux, l'harmonique n°1 (H 1) croise la température moyenne, par ex. 37°, assez précisément à 0 heure et à 12 h. ; chez 20 des 25 malades nous avons observé que la 1° harmonique croisait cet axe de la température moyenne avec un décalage de 2 heures ,( en général moins 2heures , c'est à dire avant, et une fois + 2 ou 3 heures). Ce décalage n'était pas significatif chez 5 des 25 malades.
Un autre point que nous ne savons pas interpréter encore est que nous voyons dans certaines harmoniques de rang supérieur, c'est à dire 3 , 4, 5, 6 , 7, 8, avec des courbes qui sont à la limite de la lisibilité , une amplitude plus importante que les harmoniques de rang 1 ou 2 qui sont beaucoup plus évidentes. Tout se passait comme s'il y avait un phénomène cyclique de période brève qui se répétait toutes les 3 ou 4 h, 3 ou 5 heures selon les cas, sans que nous puissions savoir la cause de ces phénomènes cycliques . En effet l'analyse selon les lois de FOURIER permet deux choses : d'une part d'éliminer certains phénomènes aléatoires et d'autre part de repérer certains phénomènes cycliques qui peuvent se produire et qui n'apparaissent pas à une première analyse .
Voilà donc les deux anomalies que nous avons retrouvées, la première nous ayant parue la plus importante . Nous nous sommes demandés s'il pouvait y avoir une relation avec cet état d'asthénie, si ces malades ne seraient pas en permanence comme quelqu'un qui va de Paris à New-York puis de New-York à Los-Angelès , etc ...., s'il n'y avait pas une sorte de mauvaise adaptation au rythme de vie , à l'environnement qui expliquerait cet état de malaise et d'asthénie . Nous en sommes là de notre réflexion et de notre analyse .
Je voudrais simplement, pour conclure, illustrer cet exposé par deux exemples :
D'abord celui d'une malade de 29 ans , ambulancière, ayant une très grosse activité professionnelle, travaillant avec son mari, ayant peiné pour réussir, ayant franchi tous les échelons . Elle a comme antécédent un ulcère gastro-duodénal et surtout, en 78, une césarienne qui se termine par une mort néo-natale et qui est vécue de façon catastrophique d'autant que cette mort néo- natale ne lui est pas annoncée immédiatement mais avec un retard. Elle avait déjà une fille bien portante . En 1980 une endométriose, en 1981, une autre césarienne à la suite de laquelle est faite une ligature des trompes : l'enfant est bien portant , mais c'est une fille et elle désirait un garçon . Depuis novembre 81, juste aprés cette césarienne un état d'asthénie s'installe avec état sub-fébrile . Une première hospitalisation est faite le 18 janvier jusqu'au milieu du mois de février 82 . On fera des examens nombreux, inévitables et réglementaires qui ne montreront rien de particulier . Nous la voyons en sept 82 alors que cette situation dure depuis presqu'un an et nous faisons les mêmes conclusions que nos collègues de province : absence de foyer infectieux . Nous faisons un enregistrement de la température qui montre un déphasage de la première harmonique de moins 3 H avec une élévation d'amplitude de l'harmonique très inférieure de rangs 9 et 10 . Elle est examinée également comme certaines de ces malades l'ont été par le Dr CAROLI à Ste Anne pour essayer d'aborder un petit peu la personnalité de ces malades . Il nous a indiqué que cette situation gynécologique avait certainement été très traumatisante, qu'existait par ailleurs une hyperactivité professionnelle considérable, un énorme investissement dans le travail et que cette patiente se trouvait dans une situation un peu bloquée, ne pouvant plus , du fait de son asthénie, assurer ses performances professionnelles antérieures .
Je vous donnerai un dernier exemple , celui d'une femme de 28 ans qui travaille à l'ANPE , qui est mariée et n'a pas d'enfant ; elle a des antécédents de RAA et a pris des oestro-progestatifs . Son histoire commence en Nov 79 avec une toxémie gravidique qui aboutit à l'interruption spontanée de la gestation ( c'est une première grossesse) et à la mort néo-natale de l'enfant . Ici aussi s'installe cet état d'asthénie subfébrile pendant un an qui va motiver de nombreux arrêts de travail . L'examen gynécologique est tout à fait normal . Elle est hospitalisée 3 ou 4 mois après , en Février 80 . Les examens clinique et paraclinique sont normaux : aucun foyer infectieux, ; la fonction thyroïdienne explorée comme chez pratiquement toutes ces malades ( compte tenu du décalage thermique ) est tout à fait normale . On retrouve d'autre part une température moyenne un tout petit peu élevée (37,25 °), une amplitude également un peu élevée et surtout un déphasage de moins 2 heures trente indiscutable, avec là encore une élévation d'amplitude d'harmoniques de rang inférieur . Nous prescrivons un petit traitement et cette femme peut reprendre son travail, les choses s'étant améliorées . Une grossesse interviendra normalement 1 ou 2 ans plus tard, l'asthénie disparaîtra, elle retrouvera son activité normale mais la dysrégulation persistera néanmoins .
Il y a d'autres exemples ( 8 ou 9 ) où la situation s'est améliorée . Reste un grand nombre de malades pour lesquels nous n'avons pas de suite ; il faudrait enquêter chez leur médecin ou auprès d'eux-mêmes .
Ces faits sont encore très préliminaires . Nous nous interrogeons sur leur signification mais je pense que ce sont des situations qui sont sans doute beaucoup plus fréquentes qu'on ne le croit. Non seulement l'analyse mathématique, très scientifique, mais aussi l'approche de l'âme, de la personnalité de ces malades, devraient permettre de comprendre et certainement d'améliorer ces situations .


Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin